société
Les pèlerins racontent l'horreur de la chaleur pendant la journée à La Meca
De l'eau froide avec une bouteille sur la tête pour se rafraîchir pendant qu'il attend dans la ville sainte de La Mecque, en Arabie Saoudite, le 20 juin 2024. (Photo de Abdel Ghani BASHIR / AFP)
Après avoir essayé pendant des années d'obtenir un permis pour le hajj à La Mecque sans succès, Yasser a décidé de l'accomplir illégalement, un choix qu'il regrette amèrement aujourd'hui.
S'il a survécu aux rituels éprouvants menés la semaine dernière dans l'ouest de l'Arabie saoudite, sous une chaleur étouffante, il n'a pas vu sa femme depuis dimanche et craint qu'elle ne fasse partie des plus de 1.100 morts recensés, la plupart des Egyptiens non enregistrés comme lui.
"J'ai fouillé tous les hôpitaux de La Mecque", affirme à l'AFP cet ingénieur retraité de 60 ans, joint par téléphone dans son hôtel, où il hésite à faire la valise de sa femme.
Plus de la moitié des pèlerins décédés lors des temps forts du grand pèlerinage musulman annuel la semaine dernière, venaient d'Egypte: 658 des 1.100 morts, selon un décompte réalisé par l'AFP à partir des données fournies par une dizaine de pays et diplomates impliqués dans les opérations de recherches.
Le département d'Etat a fait état de "plusieurs" citoyens américains morts pendant le hajj sans fournir davantage de détails.
Selon un diplomate arabe, l'écrasante majorité des Egyptiens décédés n'avaient pas les autorisations nécessaires qui permettent d'accéder aux commodités durant le pèlerinage, telles les tentes climatisées offrant un répit aux fidèles sous des températures ayant grimpé à 51,8 degrés Celsius à la Grande Mosquée de La Mecque.
Vendredi, dans un premier commentaire saoudien sur ces décès, un haut responsable a défendu la gestion du pèlerinage, assurant que l'Etat "n'a pas failli".
Selon lui, les autorités ont confirmé 577 décès pour les deux jours du hajj les plus chargés: samedi, quand les pèlerins se sont rassemblés sous un soleil de plomb sur le mont Arafat, et dimanche, quand ils ont participé au rituel de la "lapidation du diable" à Mina.
"Cela s'est produit dans un contexte de conditions météorologiques difficiles et de températures très sévères", a-t-il dit à l'AFP, en reconnaissant que le chiffre de 577 était partiel et ne couvrait pas la totalité du hajj, qui s'est officiellement terminé mercredi.
Contourner les circuits officiels
Le hajj est l'un des cinq piliers de l'islam et tout musulman qui en a les moyens doit le faire au moins une fois dans sa vie.
Les permis sont attribués sur la base de quotas, puis octroyés dans des pays comme l'Egypte à travers une loterie. S'ils obtiennent le permis, les pèlerins doivent ensuite passer par des prestataires accrédités, souvent chers.
De nombreux fidèles essayent donc de contourner les circuits officiels.
Yasser, un clandestin qui a requis l'anonymat, a vite compris les inconvénients de ne pas avoir le fameux permis. Avant même le début du hajj, certains magasins et restaurants ont refusé de le servir. Et lorsque les rituels ont commencé, il n'a pas pu accéder aux bus officiels.
Mais pire, il a perdu sa femme, Safaa, dans la foule lors du rituel de "lapidation du diable" à Mina, près de la Mecque.
Depuis, il ne cesse de reporter leur vol de retour.
D'autres pèlerins clandestins égyptiens, interrogés par l'AFP, ont décrit des scènes dramatiques sur le chemin des fidèles à Mina.
L'Egypte est triste
"Il y avait des cadavres par terre. J'ai vu des gens s'effondrer soudainement et mourir d'épuisement", dit Mohammed, 31 ans, un Egyptien qui vit en Arabie saoudite et qui a effectué le hajj avec sa mère de 56 ans.
Une autre Egyptienne, résidente à Ryad, affirme avoir vu sa mère mourir avant l'arrivée d'une ambulance. Son corps a ensuite été transporté vers un lieu inconnu.
Même certains pèlerins enregistrés ont eu du mal à accéder aux services d'urgence, ce qui montre que le système était débordé, affirme Moustafa, dont les deux parents âgés - qui avaient leur permis de hajj - sont morts après avoir été séparés des proches qui les accompagnaient.
"Nous savions qu'ils étaient fatigués", raconte-t-il au téléphone depuis l'Egypte. "Ils marchaient beaucoup, ne trouvaient pas d'eau et il faisait si chaud". "Nous ne les reverrons jamais."
"Toute l'Egypte est triste", regrette-t-il, affirmant que sa seule consolation est que ses parents aient été enterrés à La Mecque, la ville la plus sainte de l'islam. (AFP)