Merci mon Roi - Par Seddik MAANINOU

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Trois moments de liesse inégalable de tout un peuple. La première à l’occasion du retour de feu Mohammed V (16 novembre 1955), après un exil de deux ans et demi. La deuxième, à l’annonce de la Marche verte par feu Hassan II dans le discours du 16 octobre 1975. La troisième, en cette fin d’année, après les victoires de l’équipe nationale lors du Mondial 2022.

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Face à la télé

Seul chez moi, attendant le début du match. J’ai toujours préféré suivre ces confrontations loin des rassemblements, familiaux ou amicaux, par pitié pour mes nerfs et par souci d’éviter à mon hypertension de s’adonner à son jeu préféré, les montagnes russes. 

Sur mon canapé face à la télé, un verre d’eau à la menthe à coté, le volume à fond et me voici comme dans les tribunes. Le confort en plus. Les premières images ne me rassurent jamais. Me hante constamment l’impression que l’équipe adverse est plus forte. Je joins ma voix à celles du public de mon pays sur les gradins. Je me suis levé à l’exécution de l’hymne national, mon front perlant déjà de sueurs. Au fil du match, au gré de ses tournures et des tirs cadrés ou non cadrés, je me sens progressivement gagné par l’épuisement. Puis, vint la délivrance et la prosternation des joueurs. Un acte d’humilité qui s’est reproduit à l’issue de chaque match et le nombre des prosternés s’est élargi au fur et à mesure des victoires. Bienvenue aux victorieux.

Prosternation de gratitude

Les joueurs se sont prosternés en groupe après leur victoire méritée. Certains se sont demandé s’il s’agit d’une prière et, si c’est le cas, quels en sont les piliers ? D’autres ont estimé que cet acte de soumission relève de la tradition, sounna, recommandée. 

Mais tous ont béni l’acte qui est une prosternation de gratitude. Ce n’est pas une prière puisque celle-ci suppose un rituel sans rapport avec une prosternation dans un terrain de foot. C’est beaucoup plus un geste inspiré de la prière, un acte de foi et un signe d’appartenance à l’islam, une sorte d’identification à un référentiel religieux. Elle n’est ni licite, ni illicite, ni une obligation divine, ni une sounna. Il s’agit, sans plus ni moins, de «l’expression spirituelle de la joie de la victoire».

Lorsque les joueurs se sont prosternés, ils l’ont fait au nom de millions de leurs semblables partout dans le monde. Ceux qui sont sortis célébrer l’exploit de l’équipe nationale, depuis les jungles d’Afrique aux gratte-ciels de Los Angeles, des steppes d’Australie aux montagnes de Chine, à Al Qods comme à la mosquée Hassan II.

Exutoire

Un frisson parcourt tout mon corps alors que le terrain vibre au son de l’hymne national «Manbita Al Ahrar (Berceau des hommes libres, Source des lumières)». Et quand le public a enchainé en entonnant la chanson «Sawt Al Hasan’’ ( la voix d’Al Hassan appelle en ton nom Sahara), sans ma permission mes larmes se sont mis à couler. Submergé, je l’étais par des souvenances antiques d’un demi-siècle lorsque des centaines de milliers de volontaires ont franchi les fers barbelés séparant la Sahara de son Maroc pour écrire le miracle de la Marche verte.

Voilà des Marocains d’une autre génération qui, comme leurs prédécesseurs manifestant dans toutes les villes leur soutien à la Marche verte, affichent à leur tour avec le même enthousiasme, la même ferveur et le même patriotisme leur soutien à l’équipe nationale. 

Les peuples ont ainsi besoin, de temps à autre, d’un exutoire pour les soulager, d’un objectif pour les rassembler, d’une chanson pour les galvaniser. 

Ils sont incroyables ces Marocains qui entonnent la même chanson en Australe et au Canada, aux Pays-Bas et en Côte d’Ivoire, dans les grandes avenues de New York, Londres et Paris. «Sawt Al Hassan» est absolument une ode nationale et patriotique. Ciel, ce qu’on a besoin de chants d’une pareille charge artistique, littéraire et émotionnelle !

L’Avocat

Le sélectionneur national Walid Regragui dispose de plusieurs atouts. Mais, en tant que journaliste, je lui reconnais une capacité phénoménale en matière de communication. Avant de réussir sur le terrain footballistique, il avait déjà remporté la manche de la communication avec un langage accessible au peuple. «Les gars se tuent à la tâche. Ma calvitie est douée de baraka. Le public nous envoie des ondes positives. Pour réussir, il faut rêver. Il faut faire la niya» (avoir la ferme et bonne intention). Ses phrases aussi concises que poignantes sont désormais sur toutes les langues et les gens leur ont ajouté, à sa demande, le désormais mythique slogan «Siiir, Siiiiir, Siiiiir... »

Cette capacité communicationnelle fait naturellement partie du jeu, du football. Et Walid est si talentueux qu’on se prend à rêver de Regragui porte-parole du gouvernement pour apprendre à celui qui en a la charge officiellement et à ses collègues du Cabinet l’art de communiquer. Car, la majorité de nos ministres sont silencieux dans un monde où, justement, la communication est une force de frappe et de succès

Elégance et beauté

Ce qu’elle est étonnante la femme marocaine ! Elle a activement participé à l’épopée de la Marche verte, les femmes d’Errachidia (Ksar Essouk à l’époque) ont été les premières à franchir les frontières du Sahara. Certaines d’entre elles marchaient pieds nus. Comme leurs mères et grand-mères de la Marche, les Marocaines d’aujourd’hui ont été présentes en force au Mondial, avec fougue et élégance, beauté et détermination. Les filles de mon pays font preuve de maturité et réalisent en moins d’un match qu’il ne faut pour le dire, une « révolution sociale » et font preuve d’une grande maturité. Elles sont des mamans, des jeunes filles et même des grand-mères à danser, heureuses, dans les rues. 

La victoire au féminin a une saveur singulière et la femme marocaine au Qatar 2022 confère une plus-value certaine au succès de ce tournoi.

Le paradis et l’enfer

A des moments de leur parcours, les peuples sentent l’impérieux besoin de saisir l’occasion pour faire la fête.  Cela peut durer des jours ou des semaines. C’est une période suffisante pour oublier la routine quotidienne, ses tracas et ses frustrations, ses problèmes et ses malheurs pour n’en garder que le bonheur. 

Dans les rues, j’ai vu les gens danser, se trémousser, sautiller, chanter, crier... Leurs expressions vocales et corporelles se succédaient en répliques positives contagieuses comme l’est souvent la vraie joie. Sans mot d’ordre, ils se libèrent des tensions et se dégagent des frustrations. Spontanément ils se mettent à se débarrasser des haillons de la tristesse, de la pauvreté, de la colère et de l’injustice. Ils s’enivrent d’un moment de bonheur qu’ils cherchent à exploiter à fond et à étendre au maximum. 

Dans la liesse, le langage des foules est un paradis, dans les moments de colère il se transforme en enfer.

La monarchie

Au cours de ma vie, j’ai vécu à trois reprises ces moments de liesse de tout un peuple. La première à l’occasion du retour de feu Mohammed V (16 novembre 1955), après un exil de deux ans et demi. La deuxième, à l’annonce de la Marche verte par feu Hassan II dans le discours du 16 octobre 1975. La troisième, en cette fin d’année, après les victoires de l’équipe nationale lors du Mondial 2022. Dans toutes ces manifestations patriotiques, la monarchie marocaine a toujours été en tête des processions, des révoltes et des révolutions, toujours prompte à galvaniser l’enthousiasme et affuter la détermination. Elle en est constamment sortie revigorée, plus populaire et plus légitime. 

En se fondant dans la foule, le long des artères de Rabat au milieu de son peuple avec le maillot de l’équipe national et un drapeau à la main, Mohammed VI a fait davantage que son père et son grand-père. La foule qui entourait sa voiture lui scandant des vivats, savait de science ou d’instinct, ce que ce moment lui doit. Merci mon Roi !

 

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