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A ses MRE âgés, le Maroc reconnaissant
Les MRE ?g?s sont-ils une esp?ce humaine en voie d?extinction?? Pos?e de cette mani?re, abrupte, cette question peut, ? priori, appara?tre provocatrice et impertinente. Mais, elle peut aussi ?tre envisag?e comme une hypoth?se de d?part ? une r?flexion sur un sujet ? combien complexe et sensible, celui de la situation des MRE ?g?s au regard de droits et d?avantages l?gitimes non encore satisfaits.
Le souvenir et la comm?moration?: un alibi commode
La journ?e du 10 ao?t que le Maroc consacre depuis 2003 ? ses ressortissants install?s ? l??tranger, ?mane ? ne pas en douter d?une bonne intention et d?une sollicitude royale sinc?re. Seulement, si dans son esprit cette journ?e vise ? offrir aux MRE l?opportunit? de rencontres et d??changes, dans la pratique cette opportunit? a souvent tendance ? se transformer en foire d?empoigne, en un lieu de discours fades et de pugilas. L??dition 2014 eut au moins le m?rite d?apporter un mieux en se pla?ant sous le signe d?un ??hommage rendu ? une g?n?ration g?n?reuse??, ??pionni?re??, entendez, celle des MRE ?g?s. Le pari ?tant de ??mettre en exergue la situation de cette cat?gorie de marocains???. Cette intention est en soit louable et c?est de bons augures. Mais beaucoup reste ? faire tant cette situation est probl?matique.
Nul besoin de rappeler ici que cette situation est humainement dramatique et qu?il serait laborieux de faire l?inventaire des difficult?s auxquelles les MRE ?g?s se trouvent confront?s dans les pays d?accueil comme dans leur propre pays, surtout lorsque l?id?e du retour finit par s?imposer. M?connaissance, oubli, voire rejet et pr?carit? sont les mots clefs qui caract?risent cette situation. En effet, les immigr?s ?g?s, ces braves b?tes de somme, autrefois en ??premi?res lignes?? sont aujourd?hui en ??secondes zones?? cumulant un ensemble de handicaps (socio?conomiques, psychologiques, culturels etc.) qui donnent ? leur vie et m?me ? leur mort une complexit? particuli?re. ??Oubli?s de l?histoire?? (de la recherche universitaire, des livres d?histoire, des lieux de comm?moration et de souvenir?) (1) ils sont les oubli?s des politiques publiques. Mais, nonobstant, ce dont ils souffrent, c?est plus que l?oubli, c?est d?une m?prise et d?un d?ni de droits caract?ris?. . Et pourtant, que n?ont-ils pas donn? (2). Les mines du charbon du Nord de la France, la m?tallurgie, les cha?nes de montage, le m?tro parisien, les BTP et les voies de chemin de fer gardent encore les traces de leurs sueurs et de leurs complaintes. A une ?poque, dite ??glorieuse??, ces b?tisseurs ?taient en premi?re ligne comme l??taient leurs ain?s et leurs fr?res d?armes sur les fronts des batailles qui abreuv?rent la terre de France et de Navarre de leur sang. Les chambres et les couloirs sombres et lugubres des foyers Adoma, de Sonacotra, des h?tels et taudis meubl?s, o? r?gnent en maitre absolu le saturnisme, gardent encore les traces de leurs passages et t?moignent de l?injustice sociale qui les frappe et les singularise. En effet, ??L?injustice sociale tue?? (3) aussi s?r et aussi certain que la p?nibilit? et les accidents de travail ou l?exposition aux produits chimiques et toxiques (? l?origine de maladies canc?rig?nes telle l?amiantose), qui ont d?cim? leurs rangs..
Par del? la reconnaissance formelle (bien tardive) de l?apport des travailleurs immigr?s? aux ?conomies nationales et internationales, que sont donc devenus leurs droits?maintes fois proclam?s ? Le compte n?y est pas. Il y a de quoi douter de cette belle devise (qui date de 1837) qui orne le Panth?on (Paris 5?me)?: "Aux?grands?hommes,?la?patrie?reconnaissante". Que reste-t-il donc de concret (monuments, mus?es, ?crits, archives) du souvenir?de tous ces jeunes tomb?s sur les champs de bataille pour que la France se lib?re de l?occupation nazie ? Il suffit de jeter un coup d??il sur les monuments aux morts, les mus?es et les livres d?histoire relatant les batailles (1914-1918) de la Somme de Verdun et de la Marne, pour se rendre compte que les r?cits et les traces de leur bravoure et de leur sacrifice y sont difficilement rep?rables. Que reste t-il comme souvenir dans la m?moire collective de tous ces contingents d?ouvriers des mines du Nord et des cha?nes de montages de Billancourt?? Rien. Car, ??Avec le temps, va tout s?en va?? dit le po?te (L?o Ferr?). Les discours ?logieux qu?a suscit?s le film ??Indig?nes?? ? sa sortie en France le 27 septembre 2006 n??taient qu?illusion et tromperie. Les larmes du crocodile r?publicain d?vers?es ? l?occasion de?la projection du film, ont vite s?ch? et c?est la d?ception qui prit le relais, faute d?application et de respect des engagements pris en vue de l?am?lioration des conditions de vie (pension) du peu de v?t?rans encore vivants.
Pour un Maroc digne du sacrifice de ses MRE ?g?s
Les MRE ?g?s que le Maroc f?te le 10 ao?t de cette ann?e 2014 ont g?n?reusement et courageusement tout donn? ? leur pays et au pays d?accueil. Au premier ils ont r?serv? le plus cons?quent du fruit d?un labeur harassant et souvent ingrat, au second ils ont livr? des ann?es de leur jeunesse marqu?es par le sacrifice. Ils m?ritent donc plus qu?une journ?e comm?morative, des ?loges et des ??dipl?mes?? en papiers kraft en guise de reconnaissance. Car le temps presse et il est temps de leur rendre justice.
En effet. Il ne peut suffire aujourd?hui de louer l?apport des premi?res g?n?rations de MRE au d?veloppement ?conomique et humain du Maroc. Il ne peut suffire de d?noncer la situation socio?conomique d?plorable qui est la leur (sant?, habitat, retraite) dans les pays de r?sidence. Il ne peut suffire aussi de critiquer les politiques discriminantes (cas des Pays Bas) qui portent atteinte ? leur libert? de circuler, de se soigner et d?acc?der ? des droits fondamentaux partout reconnus comme des ?l?ments de base de la dignit? humaine. Dans nombre de pays d?accueil (notamment en France) des services sociaux (CAF) et fiscaux sont de plus en plus port?s ? sanctionner et ? p?naliser, sous des pr?textes divers, des immigr?s ?g?s que toutes les ?tudes classent aujourd?hui en t?te des populations les plus marginalis?es et les plus pr?caris?es. Des inspections inopin?es et humiliantes, des redressements fiscaux abusifs viennent souvent aggraver une situation psychologique et sociale difficile. Il serait donc plus juste, s?agissant du Maroc, de d?cr?ter leur dossier priorit? nationale et de mettre en ?uvre les m?canismes et les politiques ? m?me de r?parer les injustices fiscales et sociales qui les frappent. Il serait plus productif d?initier des politiques publiques adapt?es et efficientes pour assurer ? ceux d?entre eux qui souhaitent s?installer dans leur pays, les conditions optimales d?une vie sociale et ?conomique meilleure.
Les racines du mal
Tout compte fait, ce sont la m?connaissance (du dossier), l?inconsistance et l?inadaptation des politiques publiques qui constituent la source premi?re des difficult?s et du drame humain que vivent les immigr?s ?g?s. Loin de favoriser leur acc?s ? des droits (soins, aides diverses, retraite, libert? de circuler) reconnus et ouverts aux nationaux, ces politiques ont produit des effets inverses, pervers. Pire, ? force de stigmatiser les immigr?s, de d?nigrer leur religion et leur culture, ces politiques, et le discours politique qui les porte, ont g?n?r? des r?actions ?pidermiques au sein de l?opinion publique occidentale basculant souvent entre la x?nophobie, le rejet et le d?dain. En France, la plupart des dispositifs socio?conomiques d?aide et de solidarit? (allocation familiale, allocation vieillesse, allocation femme isol?e, allocation de logement, acc?s au logement HLM et autres) sont impr?gn?s de cette philosophie et, par cons?quent, leur sont difficilement accessibles. Les auditions de la mission parlementaire lanc?e au mois de novembre 2012 par Mr Claude Bartolone, pr?sident de l'Assembl?e Nationale, eurent au moins le m?rite de confirmer ce constat en mettant en exergue cette double r?alit? qui caract?rise les politiques publiques fran?aises : volont? de bien faire et r?alit? (politique et sociale) du terrain. En mati?re de logement, domaine o? les immigr?s connaissent les plus grandes difficult?s, ces auditions ont r?v?l? de v?ritables dysfonctionnements dans l?application de certaines lois (telles la loi Quilliot de 1982, la loi Besson de 1990 et la loi de mars 2007 sur le droit opposable au logement, dite loi Dalo). Elles ont ?galement permis de d?voiler quelques unes des motivations de politiques (de gauche et de droite) et d?organismes (Adoma, Sonacotra etc.) qui, en v?ritables lobbyistes, s?opposaient ? toute tentative visant ? am?liorer la situation de ces populations en mati?re de mobilit? sociale et d?acc?s au logement (tels les 2 amendements ? la Loi Dalo pr?sent?s par l?ancien ministre de la Coh?sion sociale et ex-ministre d?l?gu? ? la Ville et ? la R?novation urbaine de 2002 ? 2004, Jean Louis Borloo) 3.
Le sens de la marche
Rendre justice aux ??Chibanis?? c?est faire pression pour que tombent les lois les discriminant et les emp?chant d?exercer leurs droits les plus ?l?mentaires, telle la libert? de circuler. Jusqu?? quand va-t-on, par exemple, tol?rer cette aberration qui empoisonne la vie des immigr?s qui a pour nom ??la condition de r?sidence???? Cette condition qui leur impose l?obligation de ne pas demeurer hors de France plus de 183 jours?est lourde de cons?quence (suspension du droit ? la couverture maladie)?; elle est la m?re de toutes les difficult?s identifi?es. Sur le plan interne, (souverainet? oblige), le Maroc n?est pas d?pourvu d?outils et de moyens pour pr?server les droits de ses ressortissants ?g?s et pour leur assurer de meilleures conditions de vie. En effet, si le pr?ambule de la constitution de 2011 lui impose le respect des Accords et Conventions sign?s avec des Etats ?trangers, il a ?galement le devoir et le pouvoir d?exiger de ces Etats la r?ciprocit?. A ce titre le recours ? l?article 16 de cette m?me Constitution peut ?tre pour le Maroc d?une grande efficacit??; il ??impose soutien et protection des droits et des int?r?ts de sa composante dans leur pays d?accueil??. C?est dans ce sens qu?il convient d?aller pour exiger le respect des termes du Partenariat de mobilit? UE-Maroc sign? au mois de juin 2013, avec 9 pays europ?ens, afin de ??garantir une bonne gestion de la circulation des personnes??. Il en va de m?me des Conventions Internationales relatives ? la S?curit? Sociales sign?es entre le Maroc et 14 pays qui mettent ? l?honneur deux principes fondamentaux?: la r?ciprocit? et le transfert des droits. D?autres mesures (juridiques, ?conomiques et fiscales) peuvent-?tre ?galement sollicit?es par le gouvernement marocain pour assurer la s?curit? des MRE ?g?s qui souhaitent s?installer au Maroc. Leur accorder, par exemple, le b?n?fice des diff?rents dispositifs ?conomiques et sociaux reconnus aux investisseurs et retrait?s ?trangers ou encore faciliter leur acc?s au logement social et au soin. Les articles 20 , 21 et 22 de la Constitution de 2011 peuvent ?tre ?galement d?un grand secours pour donner confiance aux MRE et favoriser leur insertion dans la vie ?conomique et sociale du pays dans la mesure o? ils pourront assurer ??la s?curit? de leur personne, de leurs proches et de leurs biens?? (article 21), prot?ger leur droit (article 20), pr?server leur ??int?grit? physique et morale?? et les prot?ger ??des traitements cruels, inhumains, d?gradants ou portant atteinte ? la dignit頻 (article 22). Somme toute, ce ne sont pas les dispositifs et les possibilit?s politiques et juridiques qui font d?faut pour rendre la situation des MRE ?g?s meilleure. Tout est affaire de volont? et de courage politiques. Le plus court chemin pour favoriser leur insertion dans la vie ?conomique et sociale du pays c?est la mise en ?uvre de ces dispositifs et l?exploration s?rieuse de ces possibilit?s. En tout ?tat de cause le temps du bricolage et du louvoiement a assez dur?. Les MRE ?g?s ne sont ni une esp?ce immigr?e menac?e ni une cat?gorie de marocains ? part. Les honorer, leur consacrer une journ?e par an et faire l??loge de leurs apports ? la Nation est une chose (respectable et louable), leur octroyer des droits et des avantages (fiscaux, douaniers, ?conomiques etc.) c?est encore mieux.
Notes 1- Les Oubli?s de l'histoire?est un film belge, marocain et fran?ais r?alis? par?Hassan Benjelloun, sorti le?3?mars?2010?au Maroc. 2- Cf. le film ? L?histoire de l?immigration en France ?. Il pr?sente plus de 350 photographies et documents d?archive, ponctu?s d?extraits sonores. 3- Cf. article de Pierre Rimbert dans Le Monde Diplomatique de samedi 6 septembre 2008 4- Ces deux amendements ??proposaient de remplacer les aides au logement (APL) par une aide sp?cifique et ?quivalente ? ceux qui s?engagent ? effectuer des s?jours de longue dur?e dans leur pays d?origine. Ceux qui prenaient un tel engagement pouvaient donc toucher leur retraite et leurs ? APL ? au Maroc?s??, pour les marocains. Mais cette m?daille a son revers car ceux qui adh?rent ? ce dispositif ??perdaient le minimum vieillesse et le droit ? la S?curit? sociale et aux soins de qualit? en France??.