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Les Tripolitaines
Kamel Benhameda est libyen.? Exil? depuis 1970 aux Pays Bas, ayant fuit dit-il ??la s?cheresse intellectuelle?? de son pays.? Il ?crit en langue fran?aise.? Po?te et romancier, il a publi? un r?cit intitul????La Compagnie des Tripolitaines?? qu?il pr?sente comme un roman.
Mais ce n?est pas un roman.? C?est une autobiographie sans ?tre une autobiographie.? C?est un conte qui ferait plaisir ? mon amie la sociologue Fatima Mernissi puisque le th?me essentiel de ce r?cit est l??vocation d?un ??gyn?c?e libyen??, un harem o? s??panche une parole f?minine qu?elle ne d?savouerait pas. L??criture est po?tique et nostalgique de cette p?riode?monarchique entre la colonisation italienne et l?arriv?e tonitruante du d?sastreux colonel.? Cette parole f?minine a trouv? au Maroc, en Alg?rie et en Tunisie des auteurs courageux et surtout des auteures t?m?raires qui ont su d?passer les mots th?rapeutiques pour nous d?voiler avec talent un monde f?minin opprim?.
J?avoue mon ignorance de la litt?rature francophone en Libye.? Je ne sais donc s?il y a des auteures femmes qui parlent des femmes.? C?est un homme, Kamal Benhamida qui parle des tripolitaines avec sensibilit?, et c?est comme si toutes les femmes maghr?bines dans leur condition de sujettes enferm?es par la loi tyrannique de l?homme dans des demeures closes qui se trouvent r?unies dans un espace imm?morial de violence et de brutalit? pour rire des hommes.
Le narrateur, circoncis par surprise quitte le monde des adultes, mais refuse de quitter le monde des femmes qui continue ? l?accueillir avec r?ticence.? Sa m?re l?exclut parfois, le tol?re encore quelques fois, lui dit qu?il est ??sa punition??, et voit en lui le futur m?le oppresseur.? Il profite de cette p?riode ind?cise, o? le submerge un trouble d?licieux, pour faire le portrait des ces tripolitaines qui le subjuguent, ?veillent en lui une sensualit? inconnue, et laissent sa sexualit? en suspens.? L?auteur nous dit que c?est un narrateur ??pr?sent ? absent??. Discr?tement pr?sent, a?rien dans cette pr?sence.? Absent parce que, prot?geant l?espace d?intimit? qu?elles se sont am?nag?, elles chassent l?intrus masculin, m?me encore enfant.
C?est par inadvertance qu?il d?couvre cette intimit? et il nous la d?voile avec des mots simples et ?mouvants.
Est-ce un r?cit f?ministe??? Dans ces confidences ??de ces filles de la nuit?? selon l?heureuse expression de Fran?ois Bonjean, sourde une r?volte, une haine du monde des hommes.? Leur cr?do se r?sume en une phrase de ce r?cit?: ??Ce qu?on cache, ce qu?on retient en soi trop longtemps sortira un jour ou l?autre comme une explosion??.? Ces tripolitaines ont fini par exploser.? Moralit??: ne renvoyez plus les femmes dans leurs demeures.? Elles y font circuler les mots de la r?volte et finissent par se r?volter.
Leurs univers est fascinant?: la m?re du narrateur a une vie d??mois secrets avec sa compagne, Jamila. Nafissa exprime sa contestation en fumant, buvant, aimant. Fella est ??une d?voreuse d?hommes??.? D?autres sont victimes de l?avarice de leurs ?poux, de leurs violences, de leur m?pris.? Toutes esp?rent un jour se venger.? L?une d?entre elles n?h?site pas ? s?immoler par amour en s?aspergeant d?essence et en s?enflammant aux yeux de tous et de toutes.? L?autre n?attendra pas des lendemains vengeurs pour empoisonner son mari, qui au dehors, est un homme pieux et respectable et qui au-dedans, la battait tellement ??? lui faire voir les ?toiles ? midi??.? La critique qui dans sa majorit? a accueilli ce r?cit favorablement (quelques analystes ont trouv? une faiblesse dans la forme impr?cise du ??roman??, dans l??laboration esth?tique) a fait remarquer que l?univers de ces femmes, multiculturel est un univers de tol?rance, de g?n?rosit?, de fid?lit? dans l?amour et l?amiti?, de solidarit? dans la r?sistance, mais aussi un univers de froids ressentiments.
L?auteur a d?di? ce livre aux femmes qui ??une fois par semaine, pendant des ann?es manifestaient ? Benghazi en Libye devant la direction g?n?rale de la S?curit? pour r?clamer le corps de leurs ?poux, de leurs enfants disparus cette nuit du 24 au 25 Juin 1969, ces dames dont la br?lure du manque a ranim? peu ? peu, secr?tement les flammes de la dignit???.
Cette dignit?, r?cup?r?e un instant au cours d?une saison printani?re qui n?avait rien d?un printemps, vient d??tre arrach?e aux tripolitaines m?dus?es par des hommes toujours frustres, faux d?vots, tartuffes incultes et oppresseurs violents.? Elles furent renvoy?es, retourn?rent, apparemment dociles, dans leurs demeures ? prison, ? leur solitude, ? leur vengeance souterraine dans l?attente d?un vrai printemps, celui qu?elle porte en elle comme un regret.
Mais il y a dans ce r?cit en filigrane une lecture de la colonisation et du brassage des soci?t?s bien diff?rentes de celle qui nous est famili?re.
Signora Filomena, italienne qui a fait souche dans ce quartier depuis trois g?n?rations a peur d??tre expuls?e par les sbires du cynique colonel.? La m?re du narrateur lui dit?:??? Mais pourquoi vous chasserait-on??? Qui vous veut du mal??? Vous ?tes n?s ici, vous ?tre tripolitaine, vous ?tes des gens du pays, tu manges tripolitain, tu parles tripolitain, tu r?ves tripolitain?; ne t?inqui?te pas? Je suis l࠻.? Mais cette relecture de la colonisation est une autre affaire.? Elle est loin d??tre d?actualit?.