A Istanbul, le blues des vendeurs de rue face à l'inflation

5437685854_d630fceaff_b-

Un vendeur ambulant vend des produits traditionnels turcs  alors qu'il attend dans le quartier d'Eminonu à Istanbul, le 30 août 2024. les vendeurs de rue, figures populaires héritées de l'Empire ottoman, ruminent la perte d'une grande partie de leur clientèle. (AFP)

1
Partager :

Vers des "lendemains incertains"? À Istanbul, les vendeurs de rue, figures populaires héritées de l'empire ottoman, broient du noir, inquiets de la perte d'une grosse partie de leur clientèle turque, assommée par l'inflation.

De bon matin et sous un soleil éclatant, Hakan Deniz pousse sa carriole rouge et dorée vers le parvis de la mosquée de Rüstem Pacha, dans un secteur touristique du vieil Istanbul. Le jeune homme s'installe et rapidement l'odeur du maïs et des châtaignes grillés embaume l'air.

Le vendeur, âgé de 18 ans, aime son métier, qu'il a choisi il y a six ans lorsqu'il a hérité du chariot de son père. Mais ces derniers mois, il a le vague à l'âme.

"À cause de l'inflation (52% sur un an en août, NDLR), j'ai perdu quasiment la moitié de mes clients", soupire-t-il en servant à une touriste américaine un sachet de châtaignes consciencieusement pesé sur une balance à poids.

"Nos lendemains sont incertains", estime-t-il, se demandant parfois comment ce métier précaire - sans salaire garanti, ni sécurité sociale, ni retraite - "pourra encore exister dans le futur".

La figure du vendeur itinérant de nourriture est pourtant indissociable de l'image d'Istanbul. À la nuit tombée, leurs petites gargotes ambulantes surmontées de néons forment des îlots de lumière. Et les odeurs qui s'en dégagent, de l'entêtante moule farcie jusqu'au sésame chaud des simits, petits pains ronds traditionnels, habitent depuis des générations les rues de la métropole, aujourd'hui peuplée de 16 millions d'habitants.

"Tradition ottomane" 

Ces marchands jouissent d'"une image globalement positive", explique Osman Sirkeci, chercheur à l'Université d'économie d'Izmir. Certains, comme les vendeurs de macun (pâte sucrée et colorée à base d'épices), sont vus comme les héritiers de toute une "tradition ottomane".

Aux lendemains du Covid, cette profession séculaire a connu un boom: selon le chercheur, un million de personnes sont venues grossir ses rangs, le métier offrant une solution de repli à ceux peinant à trouver un emploi.

Le pays compte aujourd'hui 7 millions de vendeurs de rue de toutes sortes, légaux et illégaux, selon M. Sirkeci.

Mais le boom de l'inflation est venu percuter de plein fouet cette profession souvent caractérisée par de bas salaires et de faibles marges.

"Les charges des marchands ambulants sont bien inférieures à  celles des commerces traditionnels, puisqu'ils ne payent ni loyer ni d'électricité", explique M. Sirkeci, mais ils achètent cher leurs matières premières, car ils entretiennent "rarement un lien direct avec les producteurs" et passent par d'onéreux intermédiaires qui répercutent l'inflation.

"Le prix du sésame a grimpé en flèche, celui de la farine aussi. Tout est trop cher !", confirme Nuri Geyik, 54 ans. Il y a quelques années, "je vendais mes simits 1 livre turque pièce, maintenant je suis obligé de les vendre 15 livres !".

Réservé aux touristes ? 

"Le prix du transport a aussi augmenté", souligne Mithat Atilgan, vendeur de fruits et légumes cultivés dans la région de Bursa, à 150 km d'Istanbul.

Résultat: "les ventes vont mal" car les Stambouliotes ne peuvent pas suivre les augmentations de prix, soupire-t-il derrière son chariot de fortune, sur lequel s'étalent des figues fraîches. "Aujourd'hui, il n'y a que les riches qui ont les moyens de m'acheter des fruits !".

Pour Hakan Deniz, la conséquence est concrète: "avant, ma clientèle était essentiellement turque", explique le vendeur de maïs, mais "ce n'est plus le cas, désormais 70% sont des touristes".

A quelques pas, Mustafa Demir craint de subir le même sort. Le vendeur de cornichons marinés (et leur jus salé) a encore une "bonne base d'habitués turcs"... Mais pour combien de temps ? "J'ai honte de vendre mes verres à 40 livres à mes clients fidèles", glisse-t-il, quand ils "coûtaient à peine 15 centimes à une époque".

A terme, sans ces clients locaux, "le métier va disparaître", estime Hakan Deniz, même si des chercheurs comme Osman Sirkeci jugent un tel scénario improbable. "Regardez les vendeurs de boza (boisson fermentée à base de céréales, NDLR) !", affirme M. Deniz, "Aujourd'hui, il n'y en a quasiment plus à Istanbul !". (AFP)

lire aussi