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Elections 2021 : Les islamistes du PJD face à leur ''Que faire'' ?- Par Bilal Talidi
Une conviction largement partagée au sein du PJD veut que la question n’est pas tant le retour ou non de Benkirane, dès lors qu’il est acquis que ce n’est pas le charisme d’une personne, aussi importante soit-elle, qui fera sortir le parti son ornière actuelle
Sonné par sa défaite électorale, le PJD se retrouve dans le passage obligé et étroit de la remise en cause de ses choix et de ses méthodes d’action. Dans cette chronique, Bilal Talidi, spécialiste des mouvements islamistes et fin connaisseur du PJD et de ses arcanes, décrit l’état des lieux et analyse les cinq opportunités d’une refondation d’un parti appelé par da déroute à une longue traversée du désert.
Une question lancinante taraude le PJD au lendemain de sa débâcle électorale : Que faire ? Cette défaite n’est pas du genre qui interroge habituellement les dysfonctionnements de la machine électorale ou encore la crise du discours et de la rhétorique. Cette déroute remet en question le projet politique même du parti
Des dirigeants s’efforcent d’éluder l’interpellation en détournant l’attention sur la «donne objective», en l’occurrence l’existence réelle ou supposée d’une intervention dans l’opération électorale
Une molle contestation des élections
Le Secrétariat général du parti, dans un communiqué laconique, a opté pour une terminologie soft en apparence, mais qui n’en suggère pas moins des doutes sur l’opération électorale, toutefois dans un style qui manque d’audace politique
Certains dirigeants ont fait montre de plus de hardiesse, mais seulement sur les réseaux sociaux, tandis que d’autres ont tenté de livrer un semblant de lecture sous formes d’interrogations arithmétiques des résultats du scrutin
Dans leur majorité, les composantes du PJD ne croient nullement en cette démarche justificative, et considère que la démission du Secrétariat général est assez éloquente. Sinon la démission et la reddition des comptes n’auront plus aucun sens si la direction croyait que les causes de la déroute étaient ailleurs
Le Secrétaire général du PJD a félicité le Chef de gouvernement désigné Aziz Akhannouch, dans une démarche qui clôt le débat sur la position du parti vis-à-vis de l’opération électorale
En parallèle, le Secrétariat général a convoqué une réunion du Conseil national, donnant par la même l’impression que la solution serait d’ordre organisationnel, comme à chaque fois que le PJD est confronté à une crise. Habituellement, c’est au Congrès de résoudre le problème et c’est à lui que revient la charge de choisir la nouvelle direction
Le Secrétariat général avait aussi la possibilité de réunir le Conseil national dès samedi 11 septembre, mais a opté pour le 18 du même mois. Un report que certains expliquent par la volonté d’apaiser la colère qui couve en interne, tandis que d’autres estiment qu’une période de neuf jours serai assez suffisante pour tâter le pouls d’un Conseil national resté conservateur tout au long du mandat gouvernemental
Un conseil national, deux thèses
Quoi qu’il en soit, la tenue du prochain Conseil national ne sera pas une étape décisive, car cette réunion pourrait au mieux engendrer une opposition entre deux thèses. La première consistera à faire endosser la responsabilité de la débâcle à la direction actuelle du parti, exigeant d’elle d’en remettre les clés. La seconde tentera de faire croire à une intervention autoritaire systématique, et d’appeler à l’élaboration d’une vision et de nouvelles options à la mesure du contexte politique
En définitive, la réunion du Conseil national servira à la fois d’exutoire et d’espace de critiques. Une mixture de reconnaissance de la responsabilité dans l’échec assortie de l’exercice autocritique, et de tentation d’imputer la responsabilité au camps des adversaires du projet de réforme porté par le PJD, et à leurs pratiques habituelles pour l’éviction du parti
La ligne critique sera la plus audible au sein du Conseil national, non seulement du fait que la direction s’est entêtée dans la voie de l’erreur malgré les mises en garde récurrentes, ou encore parce que cette direction a pris un parti fort de 125 sièges qu’elle rend anémique et désarticulé à la prochaine direction (13 sièges), mais aussi et surtout parce que les tenants de cette ligne critique avaient pris leur distance avec la direction actuelle et avec sa gestion des affaires
Les opportunités d’une déroute
Une sourde appréhension travaille en interne le parti face au risque de voir s’aggraver ses fractures et à l’inadéquation des remèdes organisationnels traditionnels avec la profondeur de la crise. Tant il est certain que le conflit interne, au cas où la direction actuelle montrerait des réticences à s’effacer, déboucherait sur l’anéantissement du projet islamiste porté par le PJD
En face, la ligne critique dispose de cinq opportunités pour convaincre et reprendre l’initiative, en vue de reconstruire le parti
La première est que la déroute électorale offre de meilleures conditions au resserrement des rangs, après l’échec de la direction démissionnaire à faire du dialogue interne une opportunité de réconciliation et de redressement des erreurs
La deuxième est que le parti, en quittant le gouvernement, a l’occasion de se consacrer entièrement à sa refondation, mission qui aurait été impossible d’accomplir s’il avait obtenu 40 sièges ou plus. Car, il aurait été difficile dans ce cas de convaincre les dirigeants de regagner l’opposition probablement pour de longues années à venir
La troisième est que la débâcle électorale et ses répercussions, dont la démission collective du Secrétariat général, génèrent les conditions idoines à la relégation de la direction historique. Il serait désormais plus facile de se débarrasser de nombre de caciques, dont certains opteraient d’eux-mêmes pour un départ volontaire
La quatrième consiste en l’éjection hors du parti, une fois en dehors du gouvernement, des rentiers et des opportunistes. De même elle permettrait le démantelant naturel des alliances et blocs formés pour préserver les postes et servir les intérêts d’une caste
La cinquième et dernière opportunité réside dans l’occasion qu’offre la défaite de revoir le projet de réforme et de ses supports péjidistes dans leur intégralité. La défaite du syndicat, couplée à la déroute du parti, ouvrent la voie à sa redéfinition dans ses différentes dimensions (intellectuelle, éducationnelle, culturelle, sociale et politique). Cette double défaite révèle, en effet, un besoin pressant de reconstruction à la lumière des priorités de redéploiement qui se dégageront de l’exercice sans concession du processus autocritique
Une nouvelle direction
Certains estiment que l’heure de Benkirane est arrivée et qu’il a désormais toutes les cartes en main pour réussir un irrésistible come-back pour défaire la direction actuelle à plates coutures. D’autres, par contre, considèrent que les impératifs de la réconciliation exigent peut-être de Benkirane de ne pas revenir aux commandes et de se limiter plutôt à un positionnement de soutien et d’orientation
Une conviction largement partagée au sein du PJD veut que la question n’est pas tant le retour ou non de Benkirane, dès lors qu’il est acquis que ce n’est pas le charisme d’une personne, aussi importante soit-elle, qui fera sortir le parti son ornière actuelle. Mais dans l’urgence pour la direction actuelle de céder les commandes à une nouvelle direction qui réunit les conditions nécessaires pour relever les défis de la réconciliation interne et de la mise en œuvre de l’idéal démocratique