En Europe, la vague brune n’en est qu’à ses débuts – Par Bilal Talidi

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Une affiche électorale de Marine Le Pen et de son lièvre Jordan Bardella, éraflée. Il faudra bien plus aujourd’hui pour extraire l’extrême droite du paysage politique européen 

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La priorité qui aurait dû être donnée à l'explication des raisons de la montée de l'extrême droite lors de ces élections a été supplantée par l'analyse de la décision audacieuse et risquée prise par le président français Emmanuel Macron (dissolution de l'Assemblée nationale et appel à des élections législatives anticipées). 

La question a tout de suite consisté a savoir si le président français a pris un risque inconsidéré, offrant ainsi un précieux cadeau à l'extrême droite de Marine Le Pen, vainqueur des européennes, pour conquérir Matignon en attendant, l'Élysée, ou si sa décision est une habile manœuvre calculée pour mettre les Français et leurs partis devant la responsabilité historique de la très potentielle prise de pouvoir par l'extrême droite lors des échéances électorales à venir, législatives ce mois-ci et présidentielle, au plus tard, en 2027.

Audacieuse et aventureuse

Dans le contexte européen et mondiale actuelle, marquée par la rechute dans l’extrémisme de droit et le nationalisme étriqué, où l’on assiste à la réémergence des courants fascisant décomplexés, la France et l’Allemagne, appariassent comme autrefois le lit de toutes les belligérances qui avaient mené l’Europe et peuvent encore la mener à la catastrophe. Un peu partout, l’extrême droite s’installe confortablement et progressivement dans les habits du pouvoir, mais de par leur poids géopolitique et économique, mais aussi de par le poids que l’extrême droite a repris dans ces deux pays, Paris comme Berlin lui ouvrent aujourd’hui une voie royale pour à terme se saisir des rênes. 

Mais à l’heure qu’il est c’est surtout la France qui semble la plus mûre pour tomber dans l’escarcelle du Front national, rebaptisé par une grossière manœuvre, Rassemblement National (RN), fondé en 1972 par Jean Marie Le Pen. Après bien des péripéties, celui-ci a connu à partir de 2002, quand son fondateur s’est retrouvé au deuxième tour de la présidentielle face au président sortant, le RPR Jacques Chirac, une ascension constante, d’abord aux élections européennes avant de faire, enfin, une entrée fracassante à l’Assemblée nationale en 2022.  

Aux européennes, le RN avait obtenu moins de 6,5 % des voix en 2009, et en 2014, il était déjà à 25 %. Il dépasse aujourd’hui de quelques poussières les 31 % auxquels il faut ajouter, au moins, les 5% de Reconquête, le parti de Marion Marshall, la « petite » nièce de Marine Le Pen. Le RN a également réalisé des progrès similaires aux élections présidentielles. Exceptés les reculs successifs en 2007 et 2012, où il a perdu environ deux points par rapport aux résultats de 2002 (16,9 %), il a réussi à inverser la tendance et a progressé continuellement. En 2017, au premier tour, il a obtenu 21,3 %, ajoutant environ deux points en 2022 avec 23,15 %.

Si bien que contrairement à il y a une décennie, où elle était impensable, l’accession de l’extrême droite à la magistrature suprême en France est devenu non seulement probable mais souhaitable pour une bonne partie des Français. M. Macron, par la dissolution, audacieuse ou aventureuse, exprime sans doute son désir d'empêcher que cela ne se produise. Avant que la vague brune qui n’en est qu’à ses débuts, se transforme en tsunami. 

L’Europe, plus soumise que jamais à Washington

Vue de l’étranger, cette situation peut paraitre comme l’expression de la volonté d’enrayer, par un sursaut salvateur des consciences, cette marche de l’extrême droite sur le pouvoir en Europe où partout elle remporte des batailles. Tant il est clair que généraliser la situation de l'Italie, où Georgia Meloni a banalisé la relation avec un gouvernement d’extrême droite, conduirait à terme à la catastrophe et ouvrirait la voie dans toutes les capitales occidentales à la vague brune.

L’inquiétude européenne face à la montée de l'extrême droite et des craintes de menaces aux intérêts stratégiques européens, ne doit pas nous faire oublier d'analyser les raisons du séisme politique provoqué par la victoire de l'extrême droite aux élections européennes et jusqu'à quel point cela peut être lié aux contextes internationaux.

Le paradoxe est que certains tentent de lire ces résultats en tenant compte de la marée extrémiste et du type de lecture que propose l'extrême droite de la réalité de la guerre à Gaza, la présentant comme une réponse à un défi existentiel pour l'État d'Israël, nécessitant une mobilisation totale de l'extrême droite, pourtant terreau traditionnel et historique de l’antisémitisme, pour faire face à l'état de siège international imposé à Israël.

Mais c’est une ‘’peu beaucoup court’’. Si la situation au Moyen Orient est impactante, c’est principalement les angoisses des Européens face au déclassement économique et géopolitique de leur continent autrefois épicentre du Monde, ainsi que l'incertitude croissante en Europe depuis la pandémie de COVID-19, suivie par la guerre russo-ukrainienne et les crises énergétiques, économiques et sociales qui en ont découlé, qui ont Fait le lit de l'extrême droite. Inflation, déclassement social, chômage persistant, dégradation culturelle, déperdition des valeurs, retrait de l’État des services sociaux, soumission aux options américaines, notamment face à Moscou, ont été les ingrédients de la montée irrésistible des extrêmes droites. Certaines de ses composants mènent une campagne systématique contre la politique étrangère européenne vis-à-vis de la guerre russo-ukrainienne, accusant l'Europe de se sacrifier pour les intérêts américains.