En marge du rapport annoncé sur le Numérique – Par Mohammed Germouni

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«Digitaliser les services publics et dynamiser l’économie », ne saurait remplacer un début de réflexion sur certaines des difficultés réelles et potentielles qui concernent l’ensemble du processus de croissance économique future du pays, dont celle du numérique

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Il est intéressant de se projeter dans le futur, en marge d’un rapport relatif à la question du numérique au Maroc, élaboré récemment par Boston Consulting Group (BCG). Cependant, Il serait pour le moins hâtif de proclamer que le pays fera partie du « top 50 mondial de l’e-gvt » dès l’année 2030. 

 Ledit rapport livré par le cabinet conseil, non encore rendu public, élaboré sûrement par d’excellentes compétences locales existantes, semble constituer à ce stade une simple entrée en matière d’un point de vue prospectif. En effet, communiquer sur des objectifs sectoriels, tels que « digitaliser les services publics et dynamiser l’économie », ne saurait remplacer un début de réflexion sur certaines des difficultés réelles et potentielles qui concernent l’ensemble du processus de croissance économique future du pays, dont celle du numérique. Une situation empruntée à l’actualité nationale peut éclairer quelque peu les termes d’un débat risquant de devenir confus.

  En effet, depuis quelque temps, un grand commis de l’État, en l’occurrence l’actuel ministre de l’Education nationale, semble peiner en ne parvenant pas à faire entériner une modeste réforme courageuse et pertinente de nature à permettre de mieux préparer les compétences du Maroc de demain. Au même moment, une de ses honorables collègues, en charge entre autres du numérique, anticipe déjà dans le sillage d’un rapport de cabinet conseil une évolution technologique presque harmonieuse à moyen terme, n’excluant pas un éventuel recours également aux « talents de l’extérieur ». Tout sera dans la proportion que ceux-ci occuperaient bien entendu. Une attitude qui ne manque pas de poser néanmoins un problème de cohérence de politiques sectorielles suivies, du moment choisi et du nécessaire soutien du projet d’un statut avancé du personnel éducatif en charge de la formation de futurs talents de la nation. Adopté par les pouvoirs publics en vue d’atteindre quelques modestes résultats qualitatifs si possible, un tel statut en projet serait actuellement remis en question. Tout en considérant les responsabilités des uns et des autres dont celles des centrales syndicales concernées, il y a lieu de rappeler à cet égard la nécessité certes des constants arbitrages politiques, souvent difficiles, mais qui maintiennent le cap tracé longuement discuté et approuvé par la même équipe aux commandes.

   Pour notre propos, en marge des certains effets d’annonce sur le contenu de l’intéressant rapport, nous observons déjà que le numérique est devenu quasi indispensable, pour accomplir une grande part des diverses activités humaines de nos jours jusqu’à essayer d’en faire un des leviers de nature accélérer un développement économique national, tant il s’inscrit à son tour dans l’ensemble du faisceau de stratégies croisées concourant à cette fin. En fait, il est davantage que cela, il est en lui-même une nouvelle composante du développement projeté et dont il contribue à la réalisation. Il requiert de ce fait des ressources humaines et technologiques qui conditionneront les transformations profondes recherchées pour ce faire. 

  À l’instar de toute importante révolution technologique observée et étudiée par le passé, le numérique qui en est la plus récente manifestation, est en voie de provoquer, à son tour, une profonde réorganisation des économies et des sociétés à travers le monde. L’avènement de la machine à vapeur, puis de celui des chemins de fer, de l’électricité ensuite, suivie de l’électronique et ses signes numériques peuvent être considérées comme autant de phases-repères des nouveaux progrès enregistrés depuis par les sociétés et les pays berceaux de l’industrie. Ils intéressèrent lentement et sélectivement diverses régions de la planète, selon des rythmes différents de croissance, que le Maroc tente de maitriser à son tour. 

  Cette même ère numérique en cours rappelle que les pays avancés ont traversé quelques importantes étapes à caractère technique, depuis le milieu du siècle dernier, avec les fameux ordinateurs « 360 » assignés à la gestion et aux calculs scientifiques relevant d’un groupe (IBM) , alors presque seul fabricant américain disposant d’un quasi-monopole mondial, dont les machines n’étaient le plus souvent que louées aux entreprises et administrations. Cependant, depuis trois décennies, une multitude de petites machines puissantes personnelles, désormais peu coûteuses, sont offertes par divers producteurs centrés pour l’essentiel en Asie du sud-est mais nullement dans notre région. Ce n’est pas un simple détail.

  Aux origines réelles de la révolution numérique ensuite, il y a l’important microprocesseur contenant des circuits intégrés électroniques miniaturisés, de quelques millimètres à peine de côté de nos jours, qui renferme quelque trente ans après, la même puissance de traitement que celle d’un ordinateur des années 1990. À puissance égale, le composant qui valait naguère $40 environ, vaudrait actuellement à peine un centième. Intéressant la partie d’un ordinateur ou d’une machine qui exécute les instructions et traite les données des programmes, un tel microprocesseur occupera une place éminemment stratégique et future tant dans la croissance économique des nations que du développement des équipements militaires des États. Une stratégie nationale réaliste en cette matière est loin d’être aisée à définir.

   La place utile occupée par quelques excellentes structures et sociétés de service numérique au Maroc pourrait être mise à contribution en vue d’améliorer par exemple les langages d’accès aux machines existantes, programmes qui n’ont cessé pour leur part depuis de se rapprocher des langues véhiculaires rendant les programmations en langage courant des réalités. Cela façonnera ultérieurement bien entendu la stratégie concurrentielle des constructeurs de matériels. La facilité de communication a accéléré à son tour la mutation et permis presque toutes les transmissions de données, à travers de vastes et nombreux types de réseaux, en l’espace d’une génération, le tout favorisé par les nombreux satellites mis en place à travers le monde. Les machines sont ainsi devenues reliées les unes aux autres à traves de tels ensembles internationaux.

   La technologie satellitaire a fortement évolué et est devenue un maillon essentiel du développement des réseaux comme de celui des communications et au cœur du développement du numérique. À défaut de satellites, les États ne seraient relativement plus partie prenante en fait au numérique, tant leurs techniques de construction et celles de lancement, outre leur caractère onéreux, demeurent le privilège exclusif de quelques entreprises publiques ou privées se trouvant dans un nombre limité de certaines grandes puissances économiques et militaires. Il faut être conscient de cette nouvelle forme de dépendance et de souveraineté réduite. Il en est de même des nombreux câbles sous-marins appartenant aux grandes plateformes existantes d’occident et de Chine notamment, qui ceinturent par exemple l’Afrique pour acheminer l’essentiel des données du trafic internet entre les continents ,ne peuvent pas ne pas être perçus autrement que comme un simple processus de recolonisation à distance acceptée ou subie. 

  Certes, si le microprocesseur explique l’émergence d’une nouvelle ère pleine de défis, dès lors on ne peut parler du numérique réel sans se comparer humblement à son lieu historique d’émergence et cadre d’incubation datant de la fin de la Seconde Guerre mondiale, à savoir Silicon Valley (SV), en en soulignant le rôle toujours central, comme chacun sait de l’Université Stanford dans la recherche et l’importance prise par son département et ses labo informatiques en particulier. Ces derniers ont gagné en réputation, suite à certaines « success stories », de Google ou d’Apple par exemple, continuant toujours, suite à des concours sélectifs des cohortes d’étudiants provenant de diverses régions du monde (Chine, Corée du sud, Inde, Russie, Europe, monde Arabe), les étudiants américains y demeurant même minoritaires. Depuis, le site a été consacré mondialement, copié ou mimé, ici ou là, partiellement à travers plusieurs campus de par le monde pour son environnement climatique, ses lieux de sport, sa convivialité, des échanges et interactions hors des locaux dans un cadre agréable du site de Palo Alto. 

   On y dénombre des dizaines de milliers d’entreprises, hors GAFAM, dont surtout des petites  « start up », cherchant surtout à gagner de l’argent mais en construisant des outils aidant à la fabrication de nouveaux produits et à la création de services fondés sur l’information et la communication, deux principes constitutifs d’un tel lieu. Les règles de jeu y sont dans l’ensemble bien connues des intervenants et respectées par l’ensemble, car elles sont développées par des blogs d’entrepreneurs à succès dans la région et publiés par Medium notamment. Autant Hollywood lance mondialement des films de différentes qualités dans l’ensemble, autant la SV réalise des produits destinés au reste de la planète, depuis une Californie devenue une grande plateforme inimitable et jusqu’ici unique de la diversité certes dominée par des individualités américaines. Certes mimer une telle expérience, même à très modeste et petite échelle, n’est pas inimaginable pour un bon début pour un pays de la taille du Maroc, mais cela requiert des leaders et chercheurs exemplaires et charismatiques, nationaux et étrangers de talent et qui y croient. 

   À cet égard, il convient de préciser une importante réalité propre à ce genre d’expérience réussie,  à savoir que sur 100 projets lancés sur le site californien par exemple, sur la base de données statistiques relevées , seuls 2 en moyenne connaissent un succès notoire, car les bug et les échecs sont plus fréquents et sont  considérés culturellement comme formateurs. 

 En effet, aux côtés des quelques entrepreneurs devenus millionnaires, voire milliardaires en $, qui font l’actualité par leurs faits et gestes, il y a une diversité de petits et moyens entrepreneurs vivant avec des salaires annuels moyens de $50 000 à $60 000, à peine, soit des niveaux plutôt faibles dans un environnement où les seuls loyers et coûts sont déjà prohibitifs. Par ailleurs, de nouveaux investissements sont nécessaires tous les trois semestres en moyenne pour s’y maintenir.  Et c’est ici qu’intervient le fameux « capital risque » qui constitue le nerf de la guerre technologique en cet endroit fétiche.

     Certains organismes spécialisés dans ce type de financement, comme Sequoia Capital ou Mosaic Capital, ont été à l’origine de la plupart des principaux succès technologiques enregistrés. Outre le financement, ces importants organismes encadrent l’entreprise retenue par des conseils techniques, des avis, des orientations commerciales voire des recommandations favorables auprès d’entreprises et d’organismes publics. Il y a une networking ou un réseautage, un échange de messages favorisant « une force de liens faibles » en jouant le jeu en vue de disposer d’un crédit social au cœur de la Vallée constamment adossée à l’enceinte universitaire (Stanford) comme cheville ouvrière et force de frappe. Ainsi pas de compréhension pour les fraudeurs et les menteurs comme éthique partagée. 

   En témoignent les procès du fameux cryptomane accusé d’une fraude de $17 milliards, ou du cas récent de SV Bank en cessation de paiement qui a été aggravée par une information encore plus rapide en raison du lieu entrainant le retrait massif et immédiat de capitaux, de dépôts placés et de fonds souverains. À défaut d’un capital risque disponible et dynamique, la problématique du financement de certaines activités numériques nationales est à repenser de fond en comble.

   En guise de conclusion de cette réflexion nécessairement partielle, il est intéressant de noter que le numérique, en modifiant la capacité concurrentielle des agents économiques, améliore la situation des uns et réduit les avantages des autres. Il a permis ainsi le développement de la monnaie électronique, des réseaux, des systèmes de réservation ou de l’informatisation des marchés comme autant d’illustrations réelles. Aussi, la diffusion large et rendue démocratique met en porte à faux les divers agents qui tirent parti de l’exploitation privilégiée de certaines données. Par ailleurs, les effets du numérique sur les micro pouvoirs ne se limitent pas aux seuls phénomènes économiques mais s’exercent aussi hors marché, entre les services administratifs, entre ceux-ci, l’État et les collectivités locales. 

Le fort impact du numérique est même en voie de remettre en question également des positions sociales où des groupes entiers, et le Maroc est aussi concerné comme ailleurs, tels par exemple les métiers du corps enseignant ou ceux du médical dont la transformation du travail est en cours. Les syndicats et corporations professionnelles doivent l’aborder avec sérieux. Il affectera aussi les qualifications professionnelles, en forme de réduction de pénibilité ou avec une nouvelle forme de celle-ci, une déqualification de certains métiers qui n’est pas sans conséquences sur le niveau des salaires et des conditions de vie   des concernés.  Autrement dit, Le nouveau travail se vivra à son tour de plus en plus différemment que celui d’aujourd’hui, et un plan global intéressant le numérique marocain ne peut qu’aider à mieux préparer les importantes et délicates évolutions futures.

 International Business Machines Corporation (IBM).

2Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

3 Olivier Alexandre, « La Tech, quand la Silicon Valley refait le monde », Seuil,2023.

 

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