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Face aux pressions US, les cartouches périmées d’Alger - Par Bilal TALIDI
Abdelmadjid Tebboune soumettant Antony Blinken à un laïus lénifiant
Fin novembre début avril, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken s’est rendu à Rabat et Alger. Le chef de la diplomatie américaine a tenu à entamer sa visite dans la région par la capitale marocaine, au lendemain d’une réunion avec les ministres des Affaires étrangères d’Israël, du Maroc, d’Egypte, de Bahreïn et des Emirats arabes unis dans le désert de Néguev.
Le plus probable est que la visite de M. Blinken dans la région ne rentre pas dans le cadre de l’équilibre stratégique qu’entretient traditionnellement l’administration américaine dans ses rapports avec les deux pays. Elle s’inscrirait plutôt dans le contexte d’une pression américaine sur l’Algérie pour l’amener à augmenter sa production gazière en vue de compenser une partie considérable des exportations du gaz russe vers l’Europe.
Des démentis hors sujet
En entamant sa visite par Rabat où il a réitéré que la proposition marocaine d’autonomie est une solution réaliste et crédible, M. Blinken a sans doute voulu faire d’une pierre faire deux coups. Satisfaire Rabat et faire pression sur les locataires d’El Mouardia, en vue de les mettre devant des répercussions potentielles s’ils n’interagissent pas avec la volonté américaine d’éloigner l’Algérie du giron russe et l’engager activement dans le blocus économique de la Russie, conçu pour épuiser économiquement, financièrement et militairement Moscou.
L’Algérie n’a officiellement évoqué aucune pression américaine dans ce sens. Elle a, en même temps, assuré n’avoir pas reçu de demande de remise en service du Maghreb-Europe, estimant que le gazoduc Medgaz, reliant l’Algérie et l’Espagne, suffit à tous les besoins énergétiques et ne pose aucun problème en termes d’acheminement vers l’Europe.
Cette double négation est d’autant hors sujet que le Maroc, suite à la décision d’Alger de suspendre le gazoduc Maghreb-Europe (GME), a abandonné cette option et a engagé un dialogue avec Madrid pour l’utilisation du GME en sens inverse, pour assurer son approvisionnement en gaz. Un approvisionnement provisoire en attendant le début de l’exploitation des champs gaziers de Tendrara (2022) et de Larache (2024), sachant que les deux champs de ce dernier, selon les récentes déclarations de la société de prospection britannique Sound Enregy, renferment des gisements importants et de très bonne qualité.
Mais le plus intrigant à la suite de cette visite est la fuite de l’allocution du président algérien Abdelmadjid Tebboune devant Anthony Blinken et le tollé de critiques acerbes épinglant sa longueur démesurée (27 longues minutes) et sa teneur articulée sur des complaintes contre le Maroc qu’elle accuse de nourrir des « visées expansionnistes » (Sic).
Un laïus lénifiant
Reste qu’abstraction faite des leçons lénifiantes que M. Tebboune s’est échiné à asséner à son hôte américain, c’est l’interrogation lancinante sur les origines de la fuite de cette allocution qui a fini par capter toute l’attention : s’agit-il d’une œuvre de la partie américaine ou des services sécuritaires et militaires algériens ?
Des médias algériens soutiennent que l’allocution a été fuitée hors de l’Algérie dans l’objectif de brouiller les rapports d’Alger avec ses alliés (Russie et Italie), du fait que M. Tebboune a utilisé à leur égard des termes qui ne manqueraient pas de surprendre à Moscou et à Rome. La digression sur les efforts que mènerait l’Algérie contre l’oligarchie locale qui entretient des liens étroits avec les mafias russe et italienne sont de nature à mécontenter plus d’un dans les deux capitales.
Effet pervers de cette fuite, l’opinion publique algérienne a surtout découvert un président qui prêche des positions à l’égard d’Israël aux antipodes de ceux que déversent à coup de rhétorique engagée les médias officiels du pays. En assurant que l’Algérie, hormis la question palestinienne, n’a aucun problème avec Israël, que d’habitude il désigne par « l’entité sioniste », Abdelmadjid Tebboune s’est mis en porte-à-faux avec le discours officiel du régime qu’il est censé présider.
Une bonne partie de cette opinion publique et nombre d’observateurs de la chose algérienne croient mordicus que la fuite a été savamment orchestrée par des sphères influentes à Alger dans l’objectif de dévoiler au grand jour les limites du président Tebboune, son incompétence et son inaptitude à s’adresser d’égal à égal au chef de la diplomatie américaine.
Qu’importe la source de cette fuite et ses raisons. Indépendamment de ces éléments, l’allocution de M. Tebboune est porteuse d’éclairages intéressants sur la position des maîtres d’El Mouradia. L’insistance du laïus présidentiel sur la politique de l’Algérie durant des décennies ainsi que sur les risques fantasmatiques de l’expansion régionale du Maroc, révèle une partie considérable de la teneur des entretiens à l’ordre du jour que le propos du Secrétaire d’Etat américain, soit dit en passant, a tues.
Tout indique, en effet, que l’Algérie, qui a catégoriquement démenti toute pression de Washington au cours de cette visite, a, bien au contraire, mis sur la table sa propre une offre politique en réponse à la demande américaine. Elle consiste à soutirer aux Etats Unis, en contrepartie de l’augmentation de la production algérienne pour compenser le gaz russe, une position hostile aux intérêts du Maroc, dans l’espoir d’inverser le cours des évènements dans la région au profit de la thèse algérienne.
LTrois indicateurs étayent cette lecture. Le premier concerne l’évocation de la position de l’Algérie contre l’Apartheid en Afrique du Sud et comment cette position a été d’abord mal perçue avant d’être appréciée par la suite à sa juste valeur après la victoire de Nelson Mandela. Le deuxième se rapporte à sa digression sur le péril d’un prétendu expansionnisme du Maroc et les menaces qu’il constituerait pour la région, tandis que le troisième indicateur transparait dans son propos inhabituellement pondéré à l’égard de l’Etat d’Israël.
Le message que portent les éléments constitutifs de laïus de M. Tebboune, est clair. Il consiste à signifier que l’Algérie est prête à répondre favorablement aux requêtes américaines si Washington s’avise à «rectifier sa position » au sujet du Sahara et à se montrer sensible à la théorie des risques de l’expansion régionale du Maroc. En filigrane, le président algérien suggérait que si l’administration américaine a payé par sa position sur le Sahara l’adhésion du Maroc au processus de normalisation, l’Algérie est prédisposée, sous une forme ou une autre, à s’engager dans le processus de normalisation, pour peu qu’on lui donne les moyens de convaincre l’opinion publique interne avec entre autres arguments à faire prévaloir auprès des Algériens, que la question palestinienne trouverait une solution dans le cadre de ce processus. Sinon son affirmation aussi inattendue qu’inaccoutumée sur l’Algérie qui n’aurait pas de problème avec Israël, n’aurait aucun sens.
Sinon encore, on ne comprendrait pas pourquoi Alger a dû attendre plusieurs jours avant que sa société pétrolière et gazière d’Etat Sonatrach accouche d’un communiqué où elle assure que le pays n’était pas en mesure de compenser le gaz russe. Ce qu’il faut retenir de cette déclaration c’est qu’elle se barricade derrière des obstacles techniques au lieu des considérations politiques pour rejeter la demande de l’augmentation de la production gazière.
Le probable refus américain
Visiblement ou fort probablement, Washington n’a pas donné suite aux sollicitations algériennes. Et c’est dans le cadre de ce refus qu’il faut restituer la visite effectuée à Moscou par le ministre algérien des Affaires étrangères Ramtane Lamamra sous couvert de la médiation arabe pour mettre un terme à la guerre russe en Ukraine. Et c’est dans le même sens qu’il faut interpréter la sortie, deux semaines après l’annonce de la nouvelle position espagnole, et deux jours après la visite de Blinken, de l’ambassadeur de Russie à Alger, Igor Belyaev, dans des médias algériens au sujet de la question du Sahara. Sollicité ou mandaté, il se déclare subitement étonné du changement de position de l’Espagne et fustige la politique des tables rondes qui exigent la présence de l’Algérie comme partie prenante, tout en appelant le Maroc et le Polisario à un dialogue bilatéral pour parvenir à une solution politique.
Mais soucieuse de se prémunir contre les réactions américaines potentielles, Alger cherche à se frayer un chemin en ménageant le choux et la chèvre. La première consiste à entrer en contact avec Moscou pour entraver les succès diplomatiques du Maroc afin de ne pas trancher la question du Sahara à la faveur d’une résolution du Conseil de sécurité courant avril. La seconde consiste à garder un canal ouvert avec Washington en justifiant le refus d’augmenter la production du gaz pour des raisons techniques et non politiques, et en dissimulant les raisons de ses contacts avec le Kremlin derrière une médiation qui laisserait croire que l’Algérie ne s’aligne pas sur la Russie, mais plutôt sur une position arabe commune à équidistance de Moscou et de Kiev, appelant à une solution par les moyens pacifiques du conflit entre les deux parties. Ce que le vote contre la résolution suspendant la Fédération de Russie du CDH n’ pas arrangé.