Il y a un siècle jour pour jour, le traité de Lausanne : un fiasco qui continue… Par Dr Samir Belahsen

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Les participants à la cérémonie de signature du traité de Lausanne le 24 juillet 1923, ici devant l’hôtel Beau-Rivage

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Le visiteur … Par Samir Belahsen

Avec « Les enfants de l’oubli », le cinéaste Raffy Shart nous plonge dans une passionnante saga romanesque ancrée dans la tragédie du peuple arménien. 

1913, Bitlis, ancienne province du royaume d'Arménie, dans l'est de l'Empire ottoman. Kévork et Zevart se jurent leur amour, mais doivent se dire adieu. La jeune fille part vivre à Paris, car son père souhaite l'éloigner d'un danger qu'il pressent imminent. A peine un an plus tard, des hommes de Constantinople débarquent à Bitlis. Les "Jeunes-Turcs", qui ont pris le pouvoir, ont donné l'ordre d'arrêter et de déporter des millions d'Arméniens. Kévork et ses proches vont dès lors devenir les victimes d'une traque impitoyable. De la déportation dans les camps de réfugiés à la prison de Topkapi, en passant par les États-Unis d'Amérique et l'essor de la mafia new-yorkaise, ou encore le Paris fou des Années folles, cette saga passionnante nous balade sur plusieurs décennies à travers les destins de Zevart et Kévork. 

Cette fresque historique nous fait traverser le XXe siècle sous un angle différent. On est au cœur de la tragédie arménienne qui nous en rappelle d’autres.

Un fiasco qui continue.

Le traité de Lausanne, signé en 1923, apparaît comme une étape cruciale de l'Histoire, marquant la fin de quatre puissants empires et donnant naissance à la Turquie moderne. Cette étape a enterré les espoirs naissant des Kurdes et des Arméniens.

Le traité de Lausanne a été signé le 24 juillet 1923 au Palais de Rumine à Lausanne pour remplacer le traité de Sèvres signé le 10 août 1920. Il était bien cautionné et mis en œuvre sous l’égide de la Société des Nations.

Il précise les frontières de la nouvelle Turquie et décrète des transferts de populations déjà commencés avec ce que certains appellent les génocides arménien et grec pontique.

Pour les Grecs, ce fut un « nettoyage ethnique » et pour les Turcs « stabilisation de l'homogénéité ethno-religieuse ».

Les puissances de l'époque, dans leur grande sagesse, ont décidé de redessiner la carte du Moyen-Orient, sans imaginer que cette nouvelle configuration préparait en réalité le terrain pour une autre guerre. 

La fin des empires et l'émergence de la Turquie : la nouvelle carte du Moyen-Orient

Le traité de Lausanne a mis un point final (et douloureux pour beaucoup) à la vie des empires ottoman, austro-hongrois, russe et allemand. 

Les puissances de l'époque, armées de leurs compas et de leurs règles, ont griffonné une nouvelle carte pour le Moyen-Orient, sans prendre en compte les bouleversements que cela engendrerait. Ils ont divisé les terres et les peuples, comme s'ils jouaient à un jeu de société géopolitique. Ils ont déclaré : « Laissons les conflits éclater, cela pimentera les choses ! »

Les conséquences inattendues

Et les conflits éclatèrent en effet ! Les frontières dessinées à Lausanne ont créé des tensions et des rivalités sans fin. On aurait dit que les puissances occidentales aimaient, déjà, jouer aux apprentis sorciers en semant les graines du futur chaos. Les troubles au Moyen-Orient n'ont cessé de se multiplier, comme des champignons vénéneux après une pluie de diplomatie maladroite.

La république turque a pu faire reconnaître sa souveraineté sur l’ensemble de l'Anatolie et sur la Thrace orientale.

Le traité reconnaît d’abord la légitimité du régime de Kemal Atatürk à Ankara en échange de la reconnaissance par la république turque des pertes territoriales de l’Empire ottoman à Chypre, dans le Dodécanèse, en Syrie, en Palestine, en Jordanie, en Irak et en Arabie. 

La république a pu faire reconnaître sa souveraineté sur l’ensemble de l'Anatolie et sur la Thrace orientale.

Les puissances victorieuses étaient la France, le royaume d’Italie, le Royaume-Uni, l’empire du Japon, mais le royaume de Grèce, le royaume de Roumanie, le royaume des Serbes, Croates et Slovènes et le royaume de Bulgarie étaient de cosignataires concernés par les échanges de populations exigées par les kémalistes. Il  s’agissait de ramener en Turquie les minorités turques des pays voisins, en les échangeant contre les minorités chrétiennes vivant en Turquie. 

Des centaines de milliers de personnes furent échangées…

Les gros échanges de populations obligatoires furent opérés entre les deux côtés de la mer Égée 1,6 million de Grecs ottomans contre 385 000 musulmans de Grèce. Les historiens rapportent que ces échanges forcés avaient débuté bien avant le traité. Il y aurait eu un demi-million de Grecs de Turquie morts et plus de 400 000 musulmans ont dû quitter la Grèce pour la Turquie. L'échange de population était strictement basé sur l'appartenance religieuse. Les exemptés de cet exil forcé ont dû s'exiler d'eux-mêmes, de sorte qu'aujourd’hui il reste moins de 100 000 musulmans en Grèce et seulement quelques milliers de Grecs en Turquie.

Pour assurer que les détroits restent ouverts, sans restriction ni contrôle de la nouvelle Turquie, le contrôle des Alliés sur les finances et les forces armées turques est aboli ainsi que le régime des capitulations.

L'erreur de jugement

Les puissances de l'époque pensaient qu'en divisant les terres et les peuples, elles apaiseraient les tensions et créeraient une paix durable. Mais ces Maîtres du redécoupage territorial n'ont pas prévu que même la meilleure stratégie ne peut qu’échouer lorsque les acteurs sont des joueurs imprévisibles. 

Les rivalités ethniques et religieuses ont transformé la région en véritable jeu de quilles, où chaque coup lancé provoque un nouvel équilibre fragile.

Quand on regarde la région un siècle après le traité, on mesure l’ampleur des dégâts et des risques à venir…