Intégration des étudiants marocains d’Ukraine : une option à mûrement réfléchir - Par Bilal TALIDI

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des étudiants marocains d’Ukraine

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L’effort consenti par le ministère des Affaires étrangères pour le rapatriement des étudiants marocains d’Ukraine a été, à plus d’un titre, un exploit, tant en termes d’alerte précoce que de célérité, de mobilisation des moyens logistiques (vols spéciaux à parti des pays limitrophes d’Ukraine) et de réduction des prix des billets (750 Dh).

Si cette dynamique vertueuse a permis d’extraire ces Marocains du drame de la guerre, le traitement de leur avenir, une fois de retour au pays appelle réflexion. Ce retour n’est pas sans incertitudes quant à leur avenir en relation avec la durée de la guerre pour déterminer si elle va permettre un retour plus ou moins rapide à leurs universités, ou au contraire leur cursus ukrainien s’achève ici, auquel cas il faut leur trouver les voies et moyens de reprendre  leurs études au Maroc. C’est ce qui semble aujourd’hui le plus probable, et le traitement de cette situation ne devrait pas obéir à la même logique de rapidité qui a, heureusement d’ailleurs, prévalu pour leur rapatriement. Des formules élaborées à la hâte et de solutions clés-en-main pourraient à terme s’avérer sources de complications et de problèmes. 

Le chemin de l’enfer…

Certes, nombre d’entre eux, très proches de l’obtention de leurs diplômes, sont dans le trouble, incertains de ce qu’il adviendra de leurs années d’étude et peu sûrs de pouvoir les  reprendre, même si le guerre ne dure pas longtemps, là où ils les ont laissées en Ukraine. 

A chaud, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation, Abdellatif Miraoui, a réagi rapidement (hâtivement ?) en assurant que son département permettra à ces étudiants de parachever leurs études dans les universités du Royaume, qu’ils ne seront pas abandonnés, que leurs dossiers seront examinés, qu’une plateforme dédiée a été mise en place à cet effet pour recevoir leurs demandes (3000 en l’espace d’une semaine !), en vue d’étudier leurs dossiers pour les homologuer.

Si l’intention est bonne, sur le plan pratique, elle se heurte à une contrainte de taille que le ministre a préféré taire, tant est grande la distance entre le principe de l’intégration de ces étudiants dans le cursus universitaire marocain et sa concrétisation. Cette difficulté ne concerne pas uniquement la question de la langue, mais se confronte aussi et surtout au reclassement des niveaux des intéressés selon les standards nationaux en vigueur.

Le problème prend d’autres dimensions si l’on tient compte du fait que la majorité de ces étudiants, partis faire des études de médecine en Ukraine, ont opté par passion pour une discipline dont ils ont été exclus au Maroc, faute d’une note (seuil) leur permettant de le faire.

La décision clé-en-main pourrait créer chez les étudiants concernés un contentement éphémère et absorber momentanément leur frustration. Ainsi se vérifiera l’adage qui veut que souvent le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. Car, cet état de fait ne devrait pas éluder les problèmes qu’engendrerait une éventuelle intégration dans le système marocain de larges promotions d’étudiants traînant un handicap linguistique certain, ni la capacité des facultés de médecine, par exemple, à  absorber ces nouvelles recrues en leur assurant des niveaux de formation, d’encadrement, et d’accompagnement de qualité.

Les chiffres sont à ce niveau édifiant, notamment pour les facultés de médecine, une discipline majoritairement prisée par les étudiants en Ukraine. Au Maroc, 2090 médecins sortent des facultés marocaines chaque année, et le ministère table, selon un plan stratégique visant à réduire le déficit en personnel médical, sur un plafond de 6530 lauréats à l’horizon 2025, et 8770 en 2030.

Une capacité limitée

Le ministre de tutelle sait bien, pertinemment, que la structure d’encadrement ne permet guère l’intégration d’un grand effectif d’étudiants de la taille de ceux qui ont fui l’Ukraine. Par le passé récent et pour des contraintes moindres, la seule proposition d’ajouter 100 places pour chaque faculté de médecine (ce fut avant l’arrivée de M. Miraoui), s’est heurtée au refus ferme du personnel médical encadrant qui a soulevé l’insuffisance des moyens.

La contrainte linguistique n’est pas, non plus, une mince affaire que l’on pourrait contourner, en arguant de la maîtrise réelle ou supposée de certains étudiants du français ou même de l’anglais, en vue de leur intégration rapide. Le Maroc, on le sait, a opté pour le français dans l’enseignement préparatoire et secondaire, dans la perspective de surmonter justement la contrainte linguistique dont souffrent les élèves à leur arrivée dans les universitaires, sachant que la proximité entre l’ukrainien et le français est autrement moindre qu’entre l’arabe et le français !

Une autre difficulté de taille complique l’intégration souhaitée. A savoir le reclassement des niveaux des intéressés selon les normes nationales, qui fait courir le risque d’enclencher un incendie dont l’étendue serait difficile à circonscrire. Il serait, en effet, impensable de demander à un étudiant, à deux ou trois mois de l’obtention de son diplôme, d’accepter un nouveau reclassement à des niveaux subalternes, d’oublier dans la foulée l’idée de sa diplomation, et de recommencer à des niveaux inférieurs, ou inversement ce qui ne manquerait pas de frustrer les ‘’locaux’’ !

A cela s’ajoute le fait que la plupart des étudiants marocains en Ukraine, rapatriés en catastrophe, ne disposent pas de documents attestant de leurs situations académiques, en raison d’une guerre qui les prive de prendre contact avec leurs universités hôtes.

Ainsi et à supposer que l’on surmonte le problème du reclassement des niveaux et que ces étudiants soient réadmis dans les niveaux d’origine qu’ils avaient dans les universités ukrainiennes, rien n’empêche leurs pairs dans les facultés de médecine au Maroc de crier à l’inégalité des chances. Et pour cause, ces derniers se retrouveront forcément égaux, dans le grade comme dans le niveau, à d’autres étudiants n’ayant pas atteint le seuil, le sésame qui leur avait permis d’accéder à la faculté de médecine, mais qui viennent aujourd’hui leur livrer concurrence, y compris sur le marché de l’emploi.

Il est certes nécessaire de faire preuve d’un esprit de patriotisme dans le traitement de ce problème, et tout aussi impératif d’y trouver une solution. Mais l’option d’intégrer l’ensemble de ces effectifs dans les universités marocaines requiert néanmoins une étude préalable qui tienne compte des différents aspects et dimensions et explore d’autres options potentielles.

Entre autres options à considérer sérieusement, l’implication des universités partenaires, comme l’université Abulcasis et d’autres, que l’Etat soutient financièrement en vue d’intégrer gratuitement un certain nombre d’étudiants, sans que l’on sache si effectivement ces institutions satisfont à cette mission. Le temps est peut-être venu de les mettre concrètement à contribution en intégrant les étudiants marocains d’Ukraine aptes à l’adaptation tant au plan de leur formation que leurs aptitudes linguistiques.

L’Union Européenne devrait être également sollicitée pour prendre sa part du problème. Le dialogue avec les pays de l’UE devrait s’ouvrir à ce sujet, surtout que leur générosité de ce partenaire avancé est sans précédent dans l’accueil et l’intégration des réfugiés et des victimes de la guerre russe en Ukraine et dont les Marocains sont autant de dégâts collatéraux. 

 

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