Inyenzi : Une sépulture de mots - Par Samir Belahsen

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Scholastique Mucasonga (photo) aborde le génocide rwandais avec une profonde sensibilité, mais elle reste prudente sur le thème du pardon à la fin du roman.

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« Ma mère a été assassinée, comme tous les Tutsi de Nyamata, en Avril 1994, je n’ai pu recouvrir son corps, ses restes ont disparu. Ce livre est le linceul dont je n’ai pu parer ma mère » 

Scholastique Mucasonga

« Ailleurs, dans beaucoup d'églises, les tueurs ont brisé les statues de la Vierge. On lui avait donné, estimaient-ils, le visage d'une Tutsi. Ils ne supportaient pas son petit nez trop droit. »

Scholastique Mucasonga

Scholastique Mucasonga est une écrivaine rwandaise née en 1956. Elle a bien connu les affres des conflits ethniques, la violence et les humiliations qu’a subi le Rwanda pendant la deuxième moitié du XXème siècle et qui ont culminé avec le génocide en 1994. 

Un million de morts en cent jours.

« Les premiers pogromes contre les Tutsi, rappelle Mucasonga, éclatèrent à la Toussaint 1959. L'engrenage du génocide s'était mis en marche. Il ne s'arrêterait plus. Jusqu'à la solution finale. Il ne s'arrêterait plus ».

La fameuse communauté internationale, les puissances coloniales, les organismes internationaux, l'église auraient pu arrêter cet engrenage. Ils ont préféré être les témoins hypocrites des atrocités perpétrées.

L’Histoire et l’histoire 

Scholastique Mukasonga raconte d’abord l'histoire familiale faite de déplacements, de peurs, de violence, de morts, d'humiliations…

Il y a aussi des espoirs notamment avec l'école puis l’exil…

Ce faisant, elle nous raconte la grande Histoire de cette terre de collines. L'Histoire du Rwanda, est chargée de dualités. Deux grands groupes ethniques, les Tutsis, des éleveurs, et les Hutus, des agriculteurs, composent la population de ce pays qui fut colonisé par la Belgique et rattaché au Congo belge. 

C’est en 1962 que les Hutus ont proclamé l'indépendance du Rwanda. Ils chassèrent et déportèrent les Tutsis .

Après un coup d'état, Juvénal Habyarimana devint président. Les exilés Tutsis fondèrent le Front Patriotique Rwandais qui chercha à renverser ce président hutu.

 Le président est assassiné en avril 1994 et près d’un million de Tutsis seront massacrés en 100 jours entre avril et juillet 1994. 

Beaucoup de monde a vu la genèse du génocide, son déroulement, sa monstruosité, l'escalade et l'engrenage meurtrier et pourtant le monde a laissé faire. Si la passivité criminelle est aujourd’hui établie, pour la France, la communauté internationale, les organismes internationaux et l'église….il reste des zones d’ombre.

Le témoignage de Scholastique Mukasonga est d'abord celui d'une petite fille qui dit les choses simplement, sans détour, presque naïvement. 

Son récit évolue, il devient plus subtile, elle affronte avec courage et dignité les humiliations. Affublée du sobriquet de « Inyenzi », c'est-à-dire Cafard, insecte pestiféré, nuisible, invasif et sale. Écrasable sans regret sinon avec plaisir…

Les racismes développent, toujours et partout, leurs mots, un vocabulaire de haine. 

Quand Mukasonga a trois ans, l'engrenage du génocide commence par l'exclusion et la déportation vers les ghettos et la persécution violente puis meurtrière. 

On passe  des crachats aux coups, des insultes aux menaces. Les jeunes miliciens sont chargés d'humilier et de terroriser une population sans défense. 

À douze ans, après sa réussite à l'examen national malgré les quotas ethniques, Mukasonga accède à l'enseignement secondaire sans échapper à l'humiliation et au rejet. Comme les autres rares Tutsies admises au lycée, elle est traitée de cafard et doit se mettre au service des autres élèves.

A l'école d'assistante sociale, elle perçoit les signes de l'accumulation inexorable des menaces. Elle en est chassée et sauvée. Elle s'exile au Burundi avec un de ses frères, pour survivre et garder la mémoire.

La réfugiée parvient à exercer la profession d'assistante sociale pour des projets de l'UNICEF : elle se reconstruit loin du Rwanda, pays toujours interdit pour les Tutsis.

L'horreur du génocide de 1994 est indicible. Un million de morts dont les trente-sept membres de la famille de Mukasonga. 

Le difficile pardon

Scholastique Mukasonga, aborde le génocide rwandais avec une profonde sensibilité, mais elle reste prudente sur le thème du pardon à la fin du roman. Elle ne s'avance pas trop sur cette notion, elle reconnaît la complexité des émotions et des traumatismes qui persistent après un tel événement. 

Le pardon ne peut pas être imposé ou attendu, surtout dans un contexte où les victimes et les bourreaux continuent de coexister dans un espace partagé, ce qui rend la réconciliation encore plus délicate.

Le Rwanda a tenté de tourner la page par des initiatives de réconciliation, comme les tribunaux « gacaca », qui visaient à juger les crimes du génocide tout en favorisant le dialogue entre les communautés. Ce processus a été complexe, car il a nécessité de se confronter à des douleurs profondes et des injustices.

D'une manière générale, atteindre le pardon nécessite un engagement sincère de toutes les parties, une reconnaissance des souffrances vécues, et souvent, un processus de guérison collective. Cela implique aussi d'accepter la douleur et de travailler ensemble pour construire un avenir commun, en dépit des blessures du passé.

Depuis les œuvres de Scholastique Mukasonga, la littérature sur le génocide rwandais a évolué en intégrant divers récits et perspectives, tout en continuant à explorer les thèmes de la mémoire, du traumatisme et de la réconciliation.

Des écrivains comme Yolande Mukagasana et d'autres ont suivi Mukasonga, apportant leurs propres expériences et réflexions sur le génocide. Mukagasana, par exemple, a écrit pour pleurer ses proches et pour encourager les Rwandais à raconter leur histoire, afin de préserver la mémoire collective et de favoriser la réconciliation.

La littérature rwandaise a également vu une diversification des genres, allant des mémoires aux romans de fiction, en passant par des essais. Les auteurs explorent aussi les dynamiques sociales et culturelles qui ont précédé le génocide et celle qui l’ont suivi. 

Les œuvres contemporaines abordent aussi la question de la réconciliation d'une manière plus nuancée, reconnaissant les défis persistants dans un pays où les victimes et les bourreaux cohabitent. 

L'écriture devient, alors, un moyen de traiter les douleurs et de construire des ponts entre les communautés, tout en gardant à l'esprit la nécessité d'une mémoire vivante et surtout respectueuse.

« Possible ou impossible, le pardon nous tourne vers le passé. Il y a aussi de l'à-venir dans le pardon. » disait Jacques Derrida et c’est l’essentiel.

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