Jour d’anniversaire – Par Naïm Kamal

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Les rues désertes avaient l’ambiance des jours de Ramadan à quelques instants du la rupture du jeûne. Seule animation visible, les barrages de la police

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Comme par désenchantement les rues se sont vidées. Pas un chat. Pas une voiture serait plus conforme à la vacance qui s’est installée dans nos emplois du temps. Le temps lui-même ne s’égrenait plus en secondes, mais s’écoulait suivant un décompte erratique : 9, 17, 28, 29 … Les aiguilles de cette macabre comptabilité s’affolent, et ne cesseront depuis de fluctuer, tantôt à la baisse, souvent à la hausse avec deux pics record, 1239 le 5 août 2021 et 127 le 19 du même mois. Le premier touche au nombre de contamination en 24 h, l’autre dit le plus grand nombre de décès en une journée. Un jour je devrais les tenter dans une loterie, histoire de voir ce que ça donnerait.  

Interdits de sortie

C’était un lundi. Seul dans mon bureau, j’entends le Muzzin de la mosquée d’à coté appeler à la prière d’addohr. Un appel dans le vide. Juste pour indiquer que c’était l’heure de la prosternation plus que jamais nécessaire et utile. Les mosquées comme les plages comme le reste étaient fermées. Je me rappelle avoir écrit : J’ai beau être un laïc - ce qu’il ne faut pas, encore une fois, confondre avec athéisme - j’ai un pincement au cœur. Peut-être même qu’à cet appel à la prière, j’avais senti ma gorge se nouer. Culturellement ancré, je me rends compte, plus que la veille, plus que des jours auparavant, que nous vivions des moments inédits qui apporteront à ne pas en douter leur lot de drames.

Sans que l’on sache d’où il sortait, un homme devenait à notre insu et certainement au sien, la star de nos écrans. Mohammed Youbi, patron de la Direction de l’épidémiologie et de lutte contre les maladies allait pendant quelques mois rythmer nos vies confinées. 

Comme des gamins qui n’ont pas été sages, on étaient interdits de sortie. L’Etat de siège et le couvre-feu, j’en avais une idée mais seulement cinématographique. Le moqadam si nécessaire pour l’obtention d’un certificat de résidence, devenait aussi le sésame de la possibilité de mettre le nez dehors. Journaliste, j’avais le privilège de m’offrir quelques escapades en me munissant d’une autorisation signée et cachetée par moi-même et dûment contresignée par cet agent d’autorité dont le pouvoir avait pris des amplitudes nouvelles. 

Les rues désertes avaient l’ambiance des jours de Ramadan à quelques instants du coucher de soleil, juste avant la rupture du jeûne. Seule animation visible, les barrages de la police. On ne savait s’il fallait les détester ou les aimer. Certainement les deux à la fois, superposés et juxtaposés. Eux aussi ont pris très au sérieux leur mission. Parfois, en plus de l’autorisation, il fallait montrer patte blanche, sourire même quand on avait envie de pleurer, expliquer et se justifier même s’il n’y avait rien à dire ni à redire.

 Jour pour jour plus un jour

N’ayons pas peur des mots, on avait peur. Le virus couronné régnait sans partage sur nos émotions. Dans l’échelle des angoisses il y en avait pour toutes les graduations : les effrayés, addicts au gel hydroalcoolique, gants et double masque. Sensibles à toutes les rumeurs alarmantes, les plus folles étant les mieux cotées, ils en étaient les victimes et les colporteurs. Les stoïques qui essayaient de faire contre mauvaise anxiété bonne mine. Et les crâneurs se souciant peu des mesures de distanciation. 

Un jour, sans préavis, Mohamed Youbi disparaissait de nos écrans. Pas le Coronavirus. Mouad Elmerabet prendra sa place. Jamais peut-être les jours passent et se ressemblent n’avait pris autant tout leur sens, se relayant indéfiniment dans une alternance de confinement – déconfinement, fermeture - ouverture, espoir – désespoir. 

A leur tour, les véhicules blindés de l’armée qui patrouillaient dans nos rues pour bien montrer que l’Etat n’avait aucune envie de plaisanter, s’étaient volatilisés sans que l’on s’en rende vraiment compte. Pas le Covid-19 qui a fait officiellement plus de 16 mille morts.  

L’Etat, sans trembler, prenait mesures sur mesures pour briser autant que possible la chaîne de transmission. Vint la vaccination et avec elle l’espoir du bout du tunnel visible à l’horizon. Le Roi qui avait anticipé le mouvement plaçant le Maroc dans le peloton de tête n’était pas payé en retour par ceux-là mêmes qui auraient hurlé au scandale si le Royaume n’avait pas pu vacciner à temps. Ils hululaient maintenant contre le vaccin, puis le pass sanitaire, ensuite les mesures toujours en vigueur, et le ciel avare de pluie, la neige qui a coupé des routes dans certains endroits, Aziz Akhannouch qui a remporté les élections et les merles du printemps qui tardent à faire leur apparition. Ils péroraient et ergotent encore sur le vaccin optionnel ou obligatoire comme ils disserteraient sur le sexe des anges.

Deux ans déjà ! Jour pour jour plus un jour. Hier, 16 mars 2022, je ne sais pas si vous y avez fait attention, c’était jour d’anniversaire. Ce que 2020 peut paraitre lointaine. L’effet sans doute d’un refoulement, l’envie effrénée d’oublier. Pourtant on y est toujours et l’OMS fait encore état d’une nouvelle hausse des contaminations dans plusieurs régions du monde, à commencer par là où ça a commencé, la Chine. Au Maroc, nous avons entamé notre troisième année d’état d’urgence sanitaire. Qui l’eut cru. Encore heureux qu’il y a Mouad Elmrabet pour nous apprendre que la situation est sous contrôle, sans nous affranchir de ce que cette liberté retrouvée a de provisoire, condamnés à rester désespérément accrochés à cette espérance que la fragilité des choses et ce sentiment de précarité constante finiront bien un jour par finir.