Le dilemme intellectuel du Mouvement Unicité et Réformes - Par Bilal TALIDI

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Aouss Remmal est le nouveau président du MUR. Docteur en Biologie, docteur en sciences de la charia, jusque-là vice-président du MUR, inspecteur pédagogique principal au MEN, responsable du cursus formation et éducation du Mouvement, imam du vendredi, il a notamment été responsable de la Grande région Al Quaraouiyine du MUR qui épouse le contour territorial de la Région Fès- Meknès

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L'Etat, au-dessus des lobbies - Par Bilal TALIDI

Le Mouvement unicité et réforme (MUR) a tenu en fin de semaine sa 7ème Assemblée générale dans un contexte d’interrogations sur l’attractivité de son projet, la pertinence de sa vision et l’efficience de sa gestion précédente de l’action des réformes. En question également l’aptitude de sa direction actuelle à élaborer une nouvelle offre en mesure de revitaliser son rôle d’acteur civil qui participe avec force dans la création de l’événement et l’animation du débat public

Il y a huit ans, à la 5ème Assemblée générale, Abdalilah Benkirane avait évoqué, en sa qualité de congressiste, le choix limité pour la désignation d’une nouvelle direction du Mouvement, et présenté un diagnostic sévère selon lequel le MUR passait par une crise de leadership. Il a privilégié à la direction du Mouvement, Abderrahim Chikhi comme le meilleur candidat disponible, et non pas comme la personne idoine dotée des qualités nécessaires à un dirigeant

La voie du déclin

Le MUR était alors confronté à deux questions fondamentales : la rationalisation de la pratique religieuse et le renforcement de l’efficacité du Mouvement dans le débat sociétal en tant qu’acteur civil. Après quatre ans du mandat de M. Chikhi, la deuxième priorité s’est réduite comme peau de chagrin et le MUR est entré dans une phase de repli marquée par la régression de son action civile et la faiblesse de son influence sur le débat public des questions sociétale

Il en a résulté le déclin de sa contribution à l’évolution de la société, notamment à travers des thématiques en lien avec l’identité et les valeurs. En témoignent son absence des débats autour des libertés individuelles, et sa résistance quasi-inexistante à l’appel de certaines ONG à la dépénalisation de la rupture du jeûne en public pendant le mois de Ramadan, à la permissivité à l’égard de la débauche, ou au plaidoyer pour l’abolition de la peine de mort

Le Mouvement s’est notamment désengagé du débat sociétal autour de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), ratifiée par le Parlement avec la bénédiction des députés du PJD. Le MUR a fait pâle figure devant le débat sur les peines prévues par le Code pénal au sujet de la rupture du jeûne en public pendant le mois de Ramadan. Son président a même soutenu la dépénalisation de cet acte, en faisant sien l’avis de son prédécesseur Ahmed Raissouni qui avait appelé au retrait des autorités du champ cultuel, la rupture volontaire du jeûne étant régie par des dispenses légales qui relèvent du rapport strictement exclusif entre l’homme et son Créateur

Un indicateur de taille sur la régression du rôle du MUR consiste en la liquidation du journal Attajdid. Elle signe l’importante régression du Mouvement. Plus qu’un organe officiel, Attajdid était un instrument efficace dans ses combats en relation avec les valeurs et l’identité. Il incarnait concrètement sa participation active au débat public et civil et portait le partenariat stratégique avec le PJD dans la bataille pour la réforme politique et institutionnelle

Le partenariat MUR-PJD en question

Le débat interne au MUR sur les effets de ce partenariat dans le recul du Mouvement divise. Un courant influent estime que le passage du PJD à la tête du gouvernement (10 ans) a eu un impact profond sur le rôle du Mouvement qui, de par son soutien au parti, s’est retrouvé dans bien des cas, sinon tout le temps, obligé de s’emmurer dans le silence au sujet de nombre de questions qu’il avait auparavant prises à bras le corps, notamment celles en rapport avec la convention CEDAW, le baccalauréat français et bien d’autres

Un deuxième courant soutient que le silence du MUR, ou du moins son effacement du débat autour des valeurs, ne s’explique pas par son appui au PJD en lui-même, mais par son souci d’éviter des guéguerres d’usure où il serait amené à revoir la conception de son partenariat avec le parti. De ce point de vue, le MUR aurait choisi de faire profil bas afin de déjouer les plans des adversaires de la réforme politique et institutionnelle, qui cherchent à disloquer le front réformiste en distillant entre les deux composantes des tensions de nature à entamer leur partenariat

Quoi qu’il en soit, le résultat est le même. Ce qui était autrefois de simples critiques sur le recul sociétal du MUR émanant d’observateurs intérieurs ou extérieurs, est désormais un diagnostic interne qui influera sur les orientations du Mouvement pour le futur proche. Le débat autour de cette thématique emprunte deux points de vue différents. La première soutenant la continuité de ce partenariat tout en en reprécisant les termes. Le seconde considérant que ce partenariat est un processus et non pas une décision et que, à ce titre, son contenu, sa conception et les dispositions qui le régissent pourraient à n’importe quel moment faire l’objet d’une révision globale

Les nouvelles priorités

A la veille de ces assises, M. Chikhi s’est félicité de la distinction entre le MUR et le PJD, tout en évoquant trois priorités pour la période à venir : le renouvellement de l’offre réformiste en termes d’éducation et de prédication, le renforcement de la présence sociétale du Mouvement et la consolidation de l’édifice organisationnel interne

De ces priorités émergent deux points complètement nouveaux. Le premier concerne le renouvellement des méthodes et des procédés en matière d’action pédagogique et de prédication mettant particulièrement l’accent sur le numérique. Le second porte sur l’élargissement de la sphère du débat sociétal, en s’appuyant, parallèlement aux actions de contestation, sur les plaidoiries, les propositions et la construction de la participation aux débats des questions sociétales sur la base de la rénovation de l’exégèse. En revanche, sur le troisième volet relatif au renforcement des compétences et des ressources financières, rien n’a pointé de nouveau. Cette carence, qui caractérise le Mouvement depuis des lustres, continue d’handicaper son action, à l’instar de l’ensemble des mouvances islamistes toutes tendances confondues, en raison de la faiblesse de leur capacité de recrutement, ou/et de la préférence de leurs dirigeants pour des créneaux plus attractifs, telles l’action politique ou syndicale, ou même l’action caritative et sociale

Des lacunes intellectuelles

Les ‘’nouvelles’’ priorités ainsi établies préfigurent manifestement une mutation importante : l’intégration du renouvellement intellectuel, tant en termes de recherche de nouvelles méthodes d’action pédagogique et de prédication qu’en termes de changement d’approche dans la bataille des valeurs. Ne se limitant plus à l’acte protestataire, elles privilégient désormais la construction, la proposition et le plaidoyer. Une question subsiste cependant.  Elle se rapporte à l’adéquation des objectifs avec les ressources : le MUR, qui souffre d’une crise de direction depuis huit ans déjà, dispose-t-il des compétences intellectuelles qui rendant ces objectifs réalisables

S’il est prématuré de se prononcer sur l’issue de ce processus, des indicateurs tangibles, dont le rapport du Mouvement à ses intellectuels face à la prédominance des dirigeants des instances, hypothèquent la réalisation de ces deux chantiers. On pourrait s’attendre à un succès au niveau technique, grâce au recours aux plateformes numériques pour faire valoir l’acte pédagogique ou de prédication, dès lors que son aboutissement ne requiert que des compétences techniques du reste disponibles en abondance. En contrepartie, le chantier du renouvellement intellectuel dépend de la forme que prendra le MUR dans sa future configuration après la 7ème Assemblée générale et des éléments d’attractivité et de séduction qui lui permettraient de récupérer les intellectuels qui ont quitté le Mouvement ou marqué momentanément une distance à son égard, voire d’attirer des intellectuels d’autres horizons avec lesquels il peut escompter atteindre son objectif. A contrario, s’il se contente de miser sur les compétences dont il dispose actuellement, il y a fort à parier que le Mouvement ira doit à l’échec

Le renouvellement du corpus intellectuel et discursif n’est pas une sinécure. Le processus de maturation du MUR a montré, depuis la phase de l’union en 1996, les limites du travail intellectuel en son sein, la faiblesse des productions intellectuelles aux plans quantitatif et qualitatif et le manque des compétences intellectuelles, outre l’émigration de nombre d’entre elles vers d’autres disciplines ou d’autres créneaux loin de la matrice du Mouvement

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