Le Maroc et le conflit Ukraine-Russie : Ni Zelenski ni Poutine ? Par Mustapha SEHIMI

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Rencontre entre le Roi Mohammed VI et le Président Vladimir Poutine à Moscou le 15 mars 2016

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A l'aube du 24 février, le déclenchement des hostilités par Moscou a conduit à un conflit avec son voisin, l'Ukraine. Une grande puissance militaire - et nucléaire - engage toutes ses capacités contre un pays européen. 

Il y aurait beaucoup à dire pour expliquer une telle situation, en particulier ceci : une réplique de ce qu'a été la stratégie américaine des années 2000. Quels en sont les traits ? Déploiement de toute la puissance diplomatique et militaire pour renverser des régimes – ceux de Milosevic en Serbie, les Talibans en Afghanistan, Saddam Hussein en Irak, puis en 2011 Kaddafi en Libye. 

Une « guerre non linéaire » 

Objectif : une stratégie de "Régime change" (changement de régime). Tout cela a permis d'identifier un matériau et même un mode d'emploi sur ce qu'à Moscou, les cercles spécialisés appellent le "modèle de guerre " américain. Ce serait une nouvelle forme de "guerre non linéaire", développée dans un article de fond de 2013 de Valery Gerasimov - actuel chef d'état-major de l'armée russe. Elle s'articulerait autour de ce principe : celui de mesures non militaires précédant l'action de force. Elle se déclinerait suivant plusieurs modalités : coalition internationale, pressions économiques, négociations puis ruptures diplomatiques, sanctions, soutien à des forces d'opposition paramilitaires, action informationnelle et cybernétique systématique. En somme, un "modelage du théâtre d'opération retenu. En termes stratégiques, c'est l'art d'employer la force pour atteindre ses fins. 

Comment réagir à l'international ? Comme d'autres pays, le Maroc a commencé par des mesures de précaution visant les quelque 10.000 ressortissants en Ukraine, dont 8.000 étudiants. Une décision prise dès le 12 février et rendue publique par l'ambassade à Kiev. Le communiqué leur recommande " de quitter le pays pour leur sécurité via les vols commerciaux disponibles. Deux vols de la compagnie nationale RAM au prix de 4.700 DH ont eu lieu trois jours après avec près de 400 passagers ; 436 Marocains ont pu quitter par voie terrestre l'Ukraine (Roumanie, Hongrie, Pologne); et trois vols aériens sont annoncés par la RAM, cette fois à un prix de 750 DH.  

Service minimum

Puis, la diplomatie a réagi le vendredi 26 février avec un communiqué du ministère des Affaires étrangères précisant que le "Maroc suit avec inquiétude l’évolution de la situation entre la Fédération de Russie et l'Ukraine" ; qu'il "réitère son soutien à l'intégrité territoriale et à l'unité nationale de tous les Etats membres des Nations-Unies" ; et qu’il " rappelle , également, son attachement au principe de non recours à la force pour le règlement des différends entre Etats et actions favorisant un règlement pacifique à es conflits".

Service minimum ? Aucune référence à des notions clés, des crédos même du droit international, comme "indépendance " et " souveraineté". Rabat se soucie de paix, de dialogue et de négociation avec l’Etat ukrainien. Elle n'évoque pas la forme ni la légitimité du régime du président Volodymyr Zelenski, élu en 2019. Une position qui n'est ni inconfortable ni ambiguë tant il est vrai que c'est depuis toujours la doctrine de la politique étrangère. En l'occurrence donc, elle était attendue. Et prévisible. 

Qu'en est-il maintenant du côté de l'ONU ? Le Conseil de sécurité réuni le vendredi 25 février n'a pas adopté une résolution américaine signée par 85 pays condamnant fermement l'invasion de l'Ukraine et demandant à la Russie le rapatriement de ses troupes, La Russie a voté contre et trois pays se sont abstenus (Chine, Inde, Emirats arabes unis). Cette haute instance onusienne a cependant décidé une réunion d'urgence de l'Assemblée générale qui compte 193 Etats membres - il s'agit là d'un vote procédural ne permettant pas aux cinq membres permanents (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Russie et Chine) de pouvoir exercer leur droit de véto. Cette réunion doit avoir lieu ce lundi 28 février ; elle sera suivie dans l'après-midi par une autre demandée par la France pour faire le point cette fois sur la situation humanitaire. 

A noter ici certaines positions significatives de trois membres : la Chine "encourage les efforts en faveur d’un règlement pacifique de la crise ukrainienne"; l'Inde, "profondément troublée par la tournure récente des évènements en Ukraine" ; la discrétion des Emirats arabes unis. Ailleurs, dans les pays du Golfe, l'Arabie saoudite, Oman et Bahrein n'ont pas fait de commentaire ; Le Koweït et Qatar condamnent, eux, les violences sans critiquer la Russie. En Amérique Latine, le Brésil, l'Argentine et la Bolivie n'ont pas signé la Déclaration de l'Organisation des Etats américains (OEA) condamnant Moscou. 

Enfin, dans le continent, le président en exercice de l'UA et président du Sénégal, Macky Sall, et le président de la Commission de l'Union Africaine, le tchadien Moussa Faki Mahamat, "appellent la Fédération de Russie et tout autre acteur régional ou international au respect impératif du droit international, de l'intégrité territoriale et de la souveraineté nationale de l'Ukraine". Ils exhortent aussi les parties à l'instauration immédiate d'un cessez-le-feu et à l'ouverture sans délai de négociations politiques sous l'égide des Nations.

Ni Zelensky ni Poutine

Le primat des principes fondamentaux de la Charte des Nations-Unies. Autrement dit, la " puissance normative" adossée à la paix et à la sécurité internationale - le référentiel de la diplomatie et de la politique étrangère du Royaume.Faut-il le rappeler ?  Comme l’a déclaré SM le Roi, « Le Maroc est libre dans ses décisions et ses choix et n’est la chasse gardée d’aucun pays. Il restera fidèle à l’égard de ces partenaires qui ne devraient y voir aucune atteinte à leurs intérêts » (sommet Maroc-pays du Golfe, Riad, 20 avril 2016).

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