Les messages d’un discours tout en filigrane – Par Bilal TALIDI

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Le Roi Mohammed VI adressant un discours à la Nation à l'occasion du 46ème anniversaire de la Marche verte, 6 novembre 2021

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Le dernier discours royal a été un rare moment de haute politique. Assuré et serein, le Roi Mohammed VI a rassuré. Dans un discours tout en filigrane, le Souverain a joint l’art à la manière pour dire sans bellicisme inutile ce qu’un Maroc qui s’inscrit dans la légalité internationale, qui a déjà fait beaucoup pour une solution politique au Sahara, peut faire ou ne pas faire pour sauvegarder la paix et la stabilité de la région. Dans cet article, Bilal Talidi tente le décryptage d’un discours « tiroir à l’anglaise ». 

Le discours du Roi à l’occasion du 46ème anniversaire de la Marche Verte était très attendu. Le large spectre des attentes brassait des pays voisins, des observateurs internationaux, des analystes politiques concernés par les tensions qui agitent les relations maroco-algériennes, des pans entiers de la société, et l’opinion publique marocaine. Tous aspiraient à entrevoir l’approche royale des développements du dossier de l’intégrité territoriale du pays.

Le respect de la légalité internationale

Le voisin de l’Est, menaçant et vociférant, qui bat les tambours de guerre, s’attendait à ce que le discours du Souverain soit une réponse à ses gesticulations. Mais le Roi a choisi de ne pas se référer, pas une seule fois, à l’Algérie. Même au registre des vœux à la fin du discours, il s’est limité à souhaiter « unité, stabilité, progrès et prospérité aux cinq peuples du Maghreb, sans la moindre référence aux Etats ou à leurs dirigeants. Le discours n’a pas non plus comporté la moindre réaction à l’escalade d’Alger ou à sa décision de ne pas reconduire l’accord du gazoduc Maghreb-Europe, qui passe par le Maroc.

Implicitement pourtant, le discours a porté une réponse politique sereine à travers le message adressé au Secrétaire général de l’ONU. L’Algérie ne manquera sans doute pas d’en mesurer la profonde portée. Le Roi a ainsi mis le Conseil de sécurité devant ses responsabilités, rappelant l’attachement du Maroc à la stricte légalité internationale et aux paramètres stricto sensu définis par les résolutions successives du Conseil de sécurité. Il a également réitéré son engagement pour le maintien du cessez-le-feu et la poursuite du processus politique pour parvenir à un règlement définitif de ce conflit régional artificiel autour du Sahara marocain. Traduire : C’est Alger qui, après avoir longtemps fait pression pour la reprise du processus politique, renie ses engagements et menace, aujourd’hui que l’évolution du dossier ne penche pas en sa faveur, de ne pas prendre part aux tables rondes, voire s’engage dans des dynamiques militaires belliqueuses pour pousser encore plus le Polisario à l’option de la guerre en vue de torpiller le processus du règlement politique.

Le discours royal, lui s’est abstenu de toute référence à la guerre, ou à la prédisposition du Maroc face à cette éventualité. Au mieux, il a salué les Forces armées royales pour avoir restauré pacifiquement la libre circulation des personnes et des marchandises entre le Maroc et la Mauritanie, et au-delà vers le prolongement africain du Royaume. Et tout au plus il a rendu un vibrant hommage et exprimé sa « considération aux Forces Armées Royales, à la Gendarmerie Royale, à la Sûreté nationale, aux Forces auxiliaires, à l’Administration territoriale et à la Protection Civile, toutes composantes confondues, pour leur mobilisation constante, sous [son] commandement, à défendre l’unité nationale et à préserver la sécurité et la stabilité du pays. »

Exigence de clarification

Le message est clair et l’Algérie n’est quasiment pas en mesure de céder à sa tentation militaire tant sa position à l’international n’est pas des plus confortables : Les circonstances ayant entouré la dernière résolution du Conseil de sécurité au sujet du Sahara ont en effet mis au grand jour l’isolement d’Alger sur la scène internationale, y compris face à la Russie que les médias algériens ont vainement tenté d’exploiter pour véhiculer l’idée d’une crise profonde entre Rabat et Moscou. L’abstention de la Russie lors du vote de la dernière résolution du Conseil de sécurité, au lieu de recourir au véto ou au moins menacer de le faire pour la modifier - comme elle l’a déjà souvent fait par le passé – dans un sens qui ne dérangerait pas la diplomatie algérienne, conforte cette impression d’isolement de l’Algérie. 

Dans cette situation, le pire que pourrait produire l’Algérie est d’essayer de pousser encore plus le Polisario vers la zone-tampon et lui fournir une plus forte assistance militaire, en vue de raviver conséquemment la confrontation militaire avec le Maroc. Sauf que cette option elle-même est tout sauf une sinécure, du fait que les armes développées dont dispose le Maroc, les drones en particulier, rendent cette éventualité quasi-impossible. Bien mieux, cette option comporte le risque pour Alger et le Polisario de mettre le Maroc dans une position diplomatique similaire à celle d’avant la libération du passage d’El Guergarat : Elle lui fournirait l’alibi politique pour une intervention des Forces Armées Royales dans la zone tampon*.

Le discours royal ne s’est pas contenté de donner une fine lecture de la situation et les réponses qu’elle requiert. Il a également été adressé aux partenaires. Il a comporté une exigence de clarification. Le Roi visant probablement exclusivement la France et l’Espagne, il les a appelés à clairement à reconnaître la souveraineté du Maroc sur son Sahara, au lieu de camper dans une zone de confort dite de neutralité. Les messages royaux ont été aussi adressés à d’autres pays «qui affichent des positions floues ou ambivalentes», notamment l’Allemagne. A Berlin et aux capitales qui épousent des attitudes similaires, le Souverain a signifié nettement qu’«aucune démarche d’ordre économique ou commercial qui exclurait le Sahara marocain» ne serait concevable, laissant entendre qu’ils seraient exclus des opportunités économiques qu’offre le Maroc en tant que plateforme d’investissements continentale.

Sérénité et confiance

En interne, c’est un message de sérénité et d’assurance qui a été envoyé. Il a rassuré sur les progrès réalisés dans la défense de la cause nationale et des développements positifs enregistrés ces trois derniers mois, réitérant solennellement que le Sahara n’est pas à négocier, et que les négociations ne peuvent porter que sur la recherche d’une solution politique dans le cadre de la souveraineté marocaine.

L’ensemble de ces messages conforte la percée de la diplomatie marocaine sur fond d’une évolution internationale notable en faveur du Maroc. Il confirme que le secret de ce succès réside dans la méthodologie mise en œuvre, celle qui consiste à ériger la question du Sahara en déterminant incontournable dans la politique étrangère du Royaume, qu’il s’agisse des partenaires ou des pays aux positions floues et ambivalentes.

Le discours laisse supposer que la France et l’Espagne pourraient être en passe de préciser leur position et d’emboîter le pas à l’administration américaine reconnaissant la souveraineté pleine et entière du Maroc sur son Sahara, tandis que la tension tiède avec l’Allemagne a de fortes chances de perdurer pour un certain temps, jusqu’à ce que Berlin clarifie ses positions.

Quant à l’Algérie, tout porte à croire que l’escalade et les menaces de représailles qu’elle ne cesse de brandir ne sont que des gesticulations à l’intention de la consommation médiatique interne, tant la conjoncture internationale limite drastiquement la capacité des généraux d’Alger à s’aventurer dans un quelconque scénario irréfléchi.

*NDLR : Lors de la construction des murs de défense au milieu des années 1980, la défunt Roi Hassan II a délibérément laissé la zone dite tampon, que le Polisario claironne comme des « territoires libérés » pour éviter le contact direct avec les frontières algériennes, dans le souci de ne pas insulter l’avenir et de ne pas compliquer le présent.