MAGHREB: MAROC- ALGERIE: LES ELITES HORS-JEU… - Par Mustapha SEHIMI

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De g à d : le tunisien Bahi Lghadam, le marocain Allal El Fassi, l’algérien Farhat Abbas à Tanger27-30 avril 1958 à Tanger - Aujourd'hui, deux générations n'ont connu que des rapports dégradés entre les deux pays. Il y a un cloisonnement qui fait que les Marocains et les Algériens ne se connaissent pas : deux peuples en silos. Il faut donc réoccuper le champ médiatique, culturel et politique, pour que ces peuples si proches se retrouvent. Le Roi a réitéré la politique de la main tendue en direct

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L’état des relations avec l’Algérie est au plus bas. Malgré la main tendue de SM Mohammed VI, en différentes circonstances – la dernière a été le discours du Trône, voici cinq semaines à peine – rien ne vas plus avec le pays voisin. Une tension qui s’accentue, marquée du sceau d’une hostilité témoignant à tout le moins d’un rebond d’une culture de conflictualité prégnante depuis près de six décennies. 

Que faire ? Gérer au mieux cette situation délicate, complexe et espérer que la voie de la responsabilité et de la paix finira par l’emporter. C’est là l’intérêt supérieur du peuple algérien ; celui aussi du Maghreb en panne.

Un vaste dessein

En sollicitant l’histoire, il vaut de rappeler que le projet maghrébin remonte au moins au début des années cinquante du siècle dernier. Marocains, Algériens, Tunisiens étaient mobilisés par ce vaste dessin. Les mouvements nationalistes s’inscrivaient tous en effet dans cette commune perspective. Pour se limiter en particulier au Royaume et à son voisin de l’est, bien des séquences sont à distinguer.

Il y a bien eu des initiatives maghrébines pour un rapprochement entre le Maroc et l'Algérie : l'histoire en témoigne. La décolonisation a été un vecteur de militantisme durant des décennies jusqu'aux indépendances en 1956 pour le Maroc et en 1962 pour l'Algérie. Le mouvement de libération nationale avec l'Istiqlal au Maroc, le FLN en Algérie et le néo-Destour en Tunisie prenaient sans doute en compte les spécificités propres à chacun des trois pays. Mais il était surtout de nature et de dimension maghrébine. A la fin avril 1958, s'était tenue la Conférence sur l'unité maghrébine, en plein conflit algérien. Du côté marocain, il y avait des personnalités de premier plan (Allal El Fassi, Ahmed Belafrej, Abderrahim Bouabid et Mehdi Ben Barka) ; le FLN algérien était présent avec Ferhat Abbas, président du Gouvernement provisoire de la révolution algérienne (GPRA) ; des responsables du néo-Destour tunisien aussi avec Bahi Ladgham, Ahmed Tlili et Ahmed Chaker. 

L’esprit de Tanger

Le rêve de l'Union maghrébine paraissait alors à portée de main. Mais cet esprit de Tanger n'a pas duré avec des difficultés entravant le processus d'unification qui va échouer avec la "guerre des sables" entre le Maroc et l'Algérie, en octobre 1963. Les indépendances acquises n'ont pas pu réactiver cette perspective : tant s'en faut. Le nationalisme d'Etat a fini par prévaloir, accentué par des choix de politique intérieure et des options de politique internationale divergentes. Le Maroc s'est placé dans le camp occidental - celui présenté comme étant celui du "monde libre"- alors que l'Algérie de Ben Bella puis de Boumediene à partir de 1965 s’alignait globalement sur le bloc soviétique en mettant en relief un "socialisme spécifique"… 

I1 faut aussi mentionner le rôle unitaire des étudiants maghrébins, surtout en France. L'idée maghrébine y était vivace dans le cadre de l'Association des étudiants Musulmans Nord-africains (AEMNA) dont le siège historique était la célèbre adresse du "115" boulevard Saint Michel, au quartier Latin, dans le V ème arrondissement de Paris. Cette génération estudiantine avait alors une vingtaine d'années. Les études achevées, elle a rejoint en majorité son pays d'origine, le Maroc et l'Algérie. Son référentiel est resté cependant maghrébin en même temps que national. Ces élites-là ont occupé des fonctions de responsabilité au sein de l'Etat, à des titres divers; elles ont aussi prolongé leur  engagement militant soit dans des formations partisanes marocaines (Istiqlal, UNFP – USFP, et l'ex-PLS, baptisé PPS depuis 1974). Les convictions et les idéaux d'un Maghreb uni étaient encore là ; c'était le socle commun à tous. Mais les parcours de chacun des deux pays ont pesé de tout leur poids pour générer et conforter des politiques et des dynamiques nationales. 

Des initiatives, mais…

Il est vrai que des personnalités marocaines de renom ont pris, en différentes circonstances, des initiatives pour réactiver le projet et l'idéal d'un Maghreb uni. L’on peut citer notamment Abderrahmane El Youssoufi, Ait Idder Bensaid et d’autres, pour ce qui est du Maroc. Elles ont toutes un trait commun : celui de faire partie d'une génération des années soixante avec de fortes valeurs militantes de libération nationale, d'indépendance et de solidarité maghrébine. Elles avaient toutes, suivant des conditions particulières propres, des relations étroites avec des dirigeants algériens, soit avant l'indépendance soit lors de la post- indépendance. Référence est faite à Ahmed Ben Bella, premier président algérien ; à d’autres figures aussi comme Hocine Ait Ahmed (Front des Forces Socialistes) ou encore Mohamed Boudiaf, un des dirigeants historiques et fondateurs du FLN créé en novembre 1954. 

Mais ces initiatives prises et les rencontres qu'elles ont pu organiser ont-elles porté leurs fruits ? Il y a bien des déclarations finales, des professions de foi des deux côtés, mais sans véritable empreinte sur la voie d'un rapprochement entre Rabat et Alger. C'est que ces personnalités n’avaient pas de responsabilités publiques pouvant infléchir les positions officielles de chacun des deux pays. Elles étaient toutes en effet dans l'opposition. Même Abderrahmane El Youssoufi, premier secrétaire de l'USFP et Premier ministre du cabinet d'alternance (1998- 2002), n'a pas pu enclencher un processus significatif de détente, d'entente et de coopération avec Alger, il n’a pas réussi à réaliser une avancée dans la voie de l'édification maghrébine. C’est qu’il y avait de gros contentieux entre les deux pays liés notamment à l'hostilité continue des autorités d'Alger à l'endroit de la cause nationale du Sahara marocain. 

Le blocage de l’Algérie

C'est sûr que durant les décennies écoulées, - et plus encore aujourd’hui- le champ maghrébin aujourd'hui témoigne de la panne et de l'échec d'une édification unitaire. Ce qui bloque c'est l'état des relations diplomatiques entre le Maroc et l'Algérie. Le traité de Marrakech, signé entre les cinq Etats du Maghreb, en février 1989, a créé l'Union du Maghreb Arabe (UMA). Des accords sectoriels ont suivi et pour la majorité d'entre eux sont en vigueur. Mais plus de quatre décennies après, les avancées unitaires espérées n'ont pas eu lieu. 

Pourquoi ? Par suite de l'état détestable des relations entre le Maroc et 1’Algérie et de l'hostilité continue de ce pays voisin. L'Algérie héberge, finance, arme et soutient le mouvement séparatiste du "Polisario". Elle ne respecte pas les dispositions de la Charte de Marrakech, ni les principes de la Charte des Nations-Unies. Elle porte atteinte ainsi à l'indépendance, à la souveraineté et à l'intégrité territoriale du Royaume. Comment veut-on et peut-on bâtir un Maghreb uni dans ces conditions ? Les frontières terrestres sont fermées depuis août 1994. Les échanges commerciaux sont marginaux avec un chiffre de 5,4 milliards de DH en 2020.

Que peuvent faire alors les élites pour mettre fin à cette situation et aider à la conjugaison des efforts et des initiatives éventuelles des responsables des deux Etats ? Le discours unitaire demeure dans la littérature officielle, partisane et académique (associations, partis, universités, tink thank,..). Mais tout cela reste bien isolé même si les voix qui s'expriment continuent à entretenir et à nourrir le rêve maghrébin. Un phénomène générationnel ne facilite pas les choses : tant s'en faut. Aujourd'hui, deux générations n'ont connu que des rapports dégradés entre les deux pays. Il y a un cloisonnement qui fait que les Marocains et les Algériens ne se connaissent pas : deux peuples en silos. Il faut donc réoccuper le champ médiatique, culturel et politique, pour que ces peuples si proches se retrouvent. SM Le Roi a réitéré la politique de la main tendue en direction de l'Algérie - il a encore réitéré dans le discours du Trône du 31 juillet dernier. Il n’y a pas eu de retour du côté d'Alger, sinon des réactions encore plus hostiles... 

Le "système" des généraux algériens est rigide, enfermé dans une sorte de "bunker"... Va-t-il évoluer en direction d'une option plus maghrébine ? Cela ne peut se faire que dans des conditions très particulières. La première est celle de facteurs extérieurs poussant dans ce sens, avec notamment d’éventuelles pressions américaines et européennes. Ce n'est pas à exclure, évidemment. Mais c'est sans doute davantage la situation politique intérieure en Algérie qui sera la plus décisive. Il y a eu le hirak de février 2020 qui a généré un grand élan réformateur et démocratique. Cet état d’esprit et sa dynamique contestataire se sont installés. Durablement.

C'est sur la base d'un nouveau logiciel lié à un principe démocratique que l'Algérie pourra mettre fin à une séquence historique d'échec politique - intérieur et maghrébin. La normalisation avec le Maroc passe en effet par la démocratisation. Alors, l'édification d'un Maghreb uni pourra emprunter la voie du rapprochement auquel les deux peuples aspirent depuis toujours. Et, dans cette perspective-là, les élites ne pourront sans doute que retrouver leur statut et leur rôle dans la circulation des idées, l’élargissement des débats et la mobilisation autour d’un rêve maghrébin. Un destin commun…