chroniques
Occident : Reculade, pas encore la débandade – Par Abdelahad Idrissi Kaitouni
Retrait du drapeau américain de la base au camp Anthonic, sud de l’Afghanistan. C’était en mai 2021 déjà
Au lendemain de la chute de Kaboul, je me suis fendu d’un article pour tenter de tirer une leçon pour notre pays. Venant après la chute de Saïgon, celle de Kaboul est venue rappeler que l’alliance avec les Américains est tout sauf fiable.
Le millier de lectures enregistrées sur mon blog Nouveau Don Quichotte ont généré de nombreux commentaires qui abondent en général dans le même sens, à savoir que les USA ne sauraient aucunement être des alliés fiables sur le moyen et long terme.
D’autres commentaires s’accordent sur le fait que les Américains ne gagnent plus de guerres depuis le deuxième conflit mondial. Même quand ils ne subissent pas de défaites cuisantes comme au Vietnam où en Afghanistan, ils n’atteignent jamais les objectifs pour lesquels ils sont entrés en guerre. Sans remonter jusqu’à la guerre de Corée où leur intervention s’était soldé par la partition du pays qui continue à pourrir la vie des Coréens, on s’arrêtera sur le cas de l’Irak où ils ont tout juste semé morts et dévastations avant de s’apprêter à le quitter définitivement.
Encore une fois les médias veulent nous faire croire qu’il s’agit de la fin d’une simple opération de guerre qui a duré vingt ans. Elle se termine, un peu comme s’étaient terminées les autres aventures de l’armée américaine. Cependant, nombreux sont les observateurs qui s’attendent à des conséquences très fâcheuses.
Le départ désordonné des Américains a précipité l’effondrement de l’armée régulière afghane. Les Talibans s’en sortent doublement vainqueurs. D’abord en prenant le pouvoir à Kaboul, mais aussi en s’emparant d’un armement abondant et sophistiqué auquel ils n’y pensaient pas, même en rêve.
Tout porte à croire que ce formidable arsenal permettra à la faction dirigeante de régler leurs comptes à l’ensemble de ses adversaires, qu’ils soient politiques ou ethniques. Contrairement à une idée communément admise, les Talibans sont loin de faire l’unanimité dans le pays, et ce même dans l’ethnie pachtoune. Ils n’ont réussi à se maintenir au pouvoir que par la terreur.
Pour unifier le pays et réduire toutes les oppositions, ils vont utiliser l’arsenal pris à l’armée régulière pour accentuer la terreur. Ce sera une guerre civile silencieuse qui entraînera de nombreuses victimes et d’importants mouvements de populations. On ne s’étonnera pas de voir déferler d’interminables colonnes de réfugiés vers les frontières.
Lire aussi : Pour le Maroc et le reste du monde, les leçons de Kaboul – Par Abdelahad Idrissi Kaitouni
Tous les pays limitrophes sont inquiets et ne savent pas comment endiguer les vagues de migrants. Le Pakistan peine déjà à gérer le million et demi de réfugiés afghans qui avaient fui la guerre américaine. Malgré les parentés ethniques des deux côtés de la frontière, il y a tout lieu de craindre une confrontation armée si de nouvelles vagues de réfugiés venaient à déferler sur le sol pakistanais. Les plus vindicatifs des Américains tiendraient là une sorte de vengeance sur un ennemi qu’ils n’ont pas réussi à vaincre !
L’Iran pourrait, semble-t-il, être mieux épargné [par ces vagues], car le sunnisme plus ou moins rigoriste des Afghans s’accommode mal avec le chiisme iranien. Par contre la Turquie a déjà fait savoir qu’elle ne gardera aucun réfugié afghan sur son sol, contrairement à ce qu’elle avait fait pour les 3,5 millions de réfugiés syriens.
Où les colonnes de réfugiés vont-elles s’arrêter ? L’Europe reste l’unique réceptacle comme si elle n’était pas suffisamment fragilisée par les vagues successives de migrants venus de tous côtés. Une fois de plus le supposé allié américain se trouve à l’origine de nouveaux déboires pour la vieille Europe.
En face, l’alliance sino-russe, réelle ou supposée, devrait normalement pavoiser. Elle observe la fragilisation rampante de l’Occident et le craquèlement du visage passablement bouffi d’une Europe en mal d’avenir. La Chine sent que l’Occident est désemparé par des échecs successifs, et le moment venu elle va tenter un coup de force pour récupérer Taïwan. La récupération de cette province chinoise permettra aux historiens de dater le début de la fin de l’hégémonie occidentale sur le monde.
Ni l’Amérique et encore moins l’Europe ne donnent l’impression de vouloir garder plus longtemps les rênes du monde. L’Europe en particulier peine à se départir de certaines pratiques datant de l’époque coloniale. On l’a vu récemment quand trois puissances européennes se sont liguées contre le Maroc, coupable à leurs yeux de se développer plus vite que les autres.
Pourquoi soufflent-elles sur les braises du conflit algéro-marocain ? Espèrent-elles gagner le pactole de la reconstruction d’après-guerre ? Ce pactole, pour mirobolant qu’il puisse paraître, serait insignifiant face aux conséquences désastreuses de l’invasion migratoire qui résulterait d’un éventuel conflit au Maghreb. Sans compter les autres vagues migratoires devant venir du Sahel où l’Europe vient d’être défaite. Le Maroc qu’on veut affaiblir, ne pourrait plus alors assurer l’endiguement de ces déferlantes.
L’impuissance de la plus grande puissance à gagner des guerres, ou tout au moins à montrer un minimum de fiabilité avec ses alliés, son incapacité à mesurer les conséquences de ses actes et son goût immodéré pour l’usage de la force fait penser que les Américains sont ceux qui cultivent patiemment et sûrement l’anti-américanisme dans l’opinion mondiale. Aujourd’hui c’est les Américains ou du moins leurs élites qui minent l’Amérique.
L’anti-américanisme est certes plus populaire que le rejet plus général de l’Occident. Il faut dire que l’Europe, incapable de renoncer à ses réflexes coloniaux, participe à son tour à la dégradation de l’image de tout l’Occident.