Pour le Maroc et le reste du monde, les leçons de Kaboul – Par Abdelahad Idrissi Kaitouni

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Le spectacle affligeant de ces desperados courant derrière un avion où s’agrippant aux réacteurs comme pour prendre un rendez-vous imminent avec la mort

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Sommes-nous une grande nation ?

La chute de Kaboul, comme il y a une cinquantaine d’années celle de Saïgon, rappelle, s’il en est besoin que l’oncle Sam vient de signer une nouvelle forfaiture dont il est coutumier. On ne s’attardera pas sur le tragique de la situation car les Américains semblent dépourvus de la moindre empathie pour les victimes non occidentales. Le plus révoltant c’est qu’ils n’aient même pas fait semblant de chercher à éviter cette catastrophe où les victimes finissent par perdre toute ce qui subsiste d’humain en elles.

J’imagine que 90% des Terriens ont été pris d’effroi et sont du coup traumatisés par le spectacle affligeant de ces desperados courant derrière un avion où s’agrippant aux réacteurs comme pour prendre un rendez-vous imminent avec la mort. Je ne serais point étonné que les Occidentaux en général et les Américains en particulier regardent le même spectacle avec indifférence, esquissant un simple haussement d’épaules ou étouffant leur ricanement. Un spectacle qui ne va guère les offusquer car ils savent qu’ils ne sont jamais à court de prétextes pour repartir dans de nouvelles aventures et semer davantage de morts et de dévastations.

Une accalmie de courte durée

Ceux de ma génération qui ont vécu la cinglante défaite américaine au Vietnam n’ont pas pavoisé au moment de la chute de Saïgon malgré notre militantisme avéré contre cette sale guerre. La fin du conflit signifiait pour nous l’avènement d’une ère nouvelle où plus jamais les puissants n’iraient guerroyer en toute impunité contre les plus petits. C’était aussi pour faire écho au «Plus jamais ça ! », un slogan venu des campus américains (qui avaient puissamment contribué à précipiter la fin de la guerre).

L’accalmie a été de courte durée. Très vite les Américains se sont embarqués dans de nouvelles aventures guerrières avec des moyens plus sophistiqués et des méthodes encore plus féroces. A aucun moment ils n’ont privilégié la voie de la raison en consacrant une partie de leurs gigantesques ressources au développement des nations qu’ils combattaient.

Les vingt ans de guerre en Afghanistan ont couté officiellement 2 000 milliards de Dollars. C’est du moins le montant cumulé de ce qui a été budgétisé annuellement. Si à ce montant faramineux on devait ajouter les dépenses survenant d’autres rubriques budgétaires, on se retrouverait avec au moins le double. Autrement dit 4 000 milliards engloutis en 20 ans, soit une moyenne de 200 milliards par an ! Il y a longtemps que les Talibans auraient été défaits si le quart ou le tiers de ce montant avait été consacré au développement de l’Afghanistan.

A croire que la débauche de moyens et les centaines de milliers de morts visaient le contraire, c’est à dire figer le développement. C’était donc une guerre pour rien, vraiment pour rien, et le développement y apparaissait comme une obscénité.

On ne refait pas l’histoire avec des «si». Ce qui importe maintenant c’est de savoir quelles leçons le monde va tirer de cette tragédie. Les Américains n’en tireront aucune. Ils sont juste en train de peaufiner des prétextes, genre guerre contre le terrorisme, arme de destruction massive, avant de fondre sur de nouvelles victimes.

L’esprit du Far West

La désinvolture américaine et plus généralement des Occidentaux doit constituer pour le reste de la planète, la première leçon à retenir de la chute de Kaboul. Évidemment pour eux, Occidentaux, c’est un non-évènement, comme l’a été naguère la chute de Saïgon.

La mentalité Far West est là, prégnante, car l’oncle Sam est prêt à dégainer à la première occasion. La position de force est outrageusement privilégiée dans ses rapports avec des tiers. Les négociations ne sont que des apparences, en fait c’est des diktats à peine déguisés.

Imbus de cette culture suprémaciste, les Américains ne peuvent pas avoir d’alliés. Pas même le Japon ou l’Europe qui se morfondent dans une pitoyable vassalité. Macron vient d’en donner la preuve cinglante avec son discours télévisé en ce 16 Août. Un discours pathétique à la limite de l’indigence intellectuelle. Il ressasse avec un affligeant aplomb la formule maintes fois cuite et recuites de la guerre contre le terrorisme. Pour expliquer et donc justifier les 89 morts français en Afghanistan il a poussé l’outrecuidance à édulcorer la pseudo lutte contre le terrorisme avec des accents pathétiques sur la liberté, la démocratie, le droit des femmes etc… Des valeurs qui recueillent l’adhésion de tous, mais dont les Français s’estiment les uniques dépositaires.

Après tant de dévastations et après tant de millions de morts la mission civilisatrice de la France a tourné court. Après les USA, la France, dans sa quête désespérée du statut de grande puissance, est le pays qui a été très présent dans la plupart des théâtres d’opérations. Alors que les Américains s’inscrivent dans une toute autre logique, les Français brandissent l’étendard de leur sempiternelle mission civilisatrice, une mission qui peine à se frayer un chemin au milieu de ces cortèges de la mort. Sauf qu’à chaque mort c’est un pan de la France que nous aimons qui se meurt !

Pauvre France, ton Président a été une fois de plus en ce 16 Août, des plus…..

Et le Maroc…

Être allié des États Unis, c’est accepter sans rechigner tous ses débordements. Être allié des États Unis c’est accepter la prééminence absolue de leurs intérêts sur tous les autres y compris l’intérêt de celui sensé être l’allié. Être allié des États Unis, c’est accepter le rôle de simple pion sur leur échiquier géopolitique. Donc le statut d’allié n’a rien de pérenne et peut changer au gré de nouveaux événements. L’alliance avec l’Amérique est une forme d’allégeance. Allégeance au libéralisme, au Dollar, bref à toutes les valeurs qui consacrent la puissance américaine.

Alors pourquoi le Maroc, qui a toujours su mesurer les enjeux géopolitiques, s’est-il fourvoyé dans cette alliance à la fois pesante et imprévisible ? Nombreux sont les observateurs qui s’accordent à dire que nous y sommes allés à notre corps défendant. L’acharnement démentiel de la junte militaire algérienne qui a mobilisé l’ensemble des ressources de son pays pour nuire au notre, explique amplement notre alliance.

L’Algérie nous tient à la gorge depuis un demi-siècle, alors que nous avons bouté le protectorat en 44 ans. Une situation qui entrave notre développement, et pourrait, en perdurant, compromettre l’avenir. Car le climat de haine que les généraux algériens cultivent depuis des décennies ne laissent présager rien de bon quant à cet avenir.

Contraint et forcé, le Maroc a été amené à nouer des alliances pour desserrer l’étreinte d’un pays qui cherche depuis toujours notre perte. Dans ce cas pourquoi refuser de pactiser avec le diable ? Il est de bien meilleure compagnie que le prétendu frère qui use des traîtrises les plus sournoises et les vilénies les plus abjectes pour saper les fondements du pays. La compagnie du diable apparaît aujourd’hui comme un acte de salubrité.

Alors poursuivons notre alliance avec les USA sans jamais perdre de vue la précarité de cette alliance. Sans jamais non plus nous méprendre, les Américains n’ont pas d’amis, mais que des intérêts. Gageons que nous ferons encore partie de leurs intérêts pour un temps. Le temps de créer une situation irréversible à nos frontières. Si après coup des vents contraires survenaient, nous aurions gagné quelque chose. Ce qui n’est pas le cas de l’Afghanistan !

 

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