Raissouni en dehors de son champ de compétence – Par Bilal Talidi

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Ahmed Raissouni n’en est pas à son premier dérapage. Un précédent lui a déjà valu d’être qualifié ‘’d’idiot’’ par son mentor Andelkrim El Khatib

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Les récentes déclarations du Dr Ahmed Raissouni sur la question du Sahara marocain suscitent de sérieuses interrogations sur la culture politique du théologien et sur les limites de la relation entre le théologique et le politique. Elles appellent également à l’ouverture d’un débat sur ‘’la science des Finalités de la charia (‘ilm al-makassid)’’ pour déterminer clairement si son rayon de réflexion et d’action se limite à la jurisprudence islamique ou peut s’étendre, et comment, au champ politique.

Le Dr Raissouni, de l’avis des oulémas du Maroc et d’Orient, occupe un rang estimable parmi les théologiens des Finalités de la charia. Grâce notamment à ses travaux académiques durant plusieurs années sur ce sujet. Plus particulièrement sa thèse pour l’obtention du diplôme des études supérieures (DES) qui a porté sur ‘’la théorie des Finalités chez Al-Imam Chattebi’’. Mais entre la recherche académique et le déploiement dans le champ politique, il existe bien plus qu’une nuance, notamment lorsqu’ils ces deux vecteurs se rapportent aux relations internationales et à la gestion des conflits. 

La Raison des Finalités 

Les Finalités au regard des oulémas consistent à sonder les desseins du Législateur (Allah en l’occurrence) pour définir le bien qu’il veut instaurer et le mal qu’il entend proscrire.  De par cette définition, la science des Finalités converge quelque part avec la méthodologie politique dans l’administration des gens, l’exercice du pouvoir et la gestion des relations internationales et des litiges. Ce qui nécessite toutefois la maitrise des deux rayons. 

Traitant une affaire politique nationale, internationalement versée au dossier de la gestion des conflits et connue pour être un foyer de tension régionale, le Dr Ahmed Raissouni était précisément supposé recourir à la Raison des Finalités qui distingue le bien du mal, le bénéfique du nocif, l’utile de l’inutile. Mais ses dernières déclarations ont laissé voir qu’il agissait à l’encontre de sa science, en dehors de son champ de compétence et loin d’une vision politique sage et judicieuse fondée sur le principe de l’intérêt national. 

Je n’entends pas discuter les déclarations de Raissouni sous l’angle politique. Le secrétaire général du PJD a bien saisi sa grossière faute et s’est dépêché à démentir tout rapport de sa formation avec les positions du théologien, non sans rappeler que seuls les organes du parti sont habiletés à s’exprimer en son nom.

L’exploit raissounien

Le débat avec Raissouni part de sa spécialité académique, la science des Finalités de la charia en faisant la part entre bienfaits et méfaits qu’elle induit, pour cerner l’intérêt de ses déclarations et à qui profitent-elles. 

Raissouni a évoqué le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie réussissant l’exploit de nuire aux trois ensemble. Il a critiqué la gestion de la question du Sahara par l’Etat marocain sous deux angles : la mise à l’écart du peuple dans cette gestion et le recours au soutien d’Israël à travers la normalisation des relations avec Tel-Aviv.  Il a aussi causé un problème avec la Mauritanie en qualifiant sa reconnaissance d’erreur historique et a enfin exaspéré l’Algérie en appelant au jihad pour Tindouf. 

Le grand dilemme du fquih Raissouni est qu’il n’a gagné à lui aucune des parties, y compris l’Union Mondiale des Oulémas des Musulmans dont le secrétaire général a publié un communiqué rejetant toute relation avec les déclarations de Raissouni, son président pourtant, qui n’engagent que lui et aucunement l’Union. 

En définitive, il n’a fait ni le bonheur du Maroc en mécontentant l’Algérie, ni de l’Algérie en indisposant le Maroc, ni encore pris en considération la position de la Mauritanie qui fait l’objet d’une forte pression pour son ralliement à Alger. En termes de perdant sur tous les tableaux, on n’a pas vu mieux. 

Les Algériens supposés se complaire dans ses déclarations dénonçant la normalisation avec Israël l’ont qualifié, en dépit de sa critique de la gestion de l’affaire du Sahara, de ‘’théologien du palais provocateur de la discorde’’. Il a de même fortement mécontenté les Mauritaniens, dont les oulémas qui ont vertement répondu à ce qu’ils considèrent préjudiciable à leur Etat. 

Bien plus qu’une erreur

Raissouni s’est par la suite empêtré dans les explications de son propos. Il a commencé par se justifier en arguant de ne pas avoir parlé de politique, mais d’histoire et de charia. Il a ensuite tenté d’expliquer que ses déclarations étaient globales et avaient besoin d’être détaillées, ce que le temps ne lui aurait pas permis. Certains de ses adeptes ont préféré considérer qu’il faisait l’objet d’une campagne orchestrée plutôt que de l’inciter à s’en tenir à son terrain de jeu et à présenter des excuses pour ce qui est bien plus qu’une erreur, une faute. 

Le fait têtu est que Raissouni parlait politique, fut-elle assaisonnée d’une dose d’historicité. 

Son discours sur le Sahara était éminemment politicien et s’inscrivait dans l’évaluation de la politique de l’Etat. Son laïus sur le pays de Chenguit qui faisait partie du Maroc invoquant l’allégeance de ses oulémas aux sultans, n’intégrait pas le simple cours de l’histoire. Mais a formulé une appréciation actuelle, qualifiant d’erreur historique la reconnaissance de la Mauritanie. Sa critique de l’approche de l’Etat dans l’affaire du Sahara n’épousait pas les contours de la lecture historique ou théologique, mais constitue bel et bien une intrusion par effraction dans le politique au sens le plus large, plus particulièrement quand il a parlé d’une marche sur Tindouf ou encore qu’il y aurait une solution consistant pour le sultan à faire appel au peuple (al-jihad pour Tindouf). 

Pas plus que sa justification par la simple évocation de l’histoire, le prétexte de l’étroitesse du temps et du caractère global de ses déclarations ne tienne la route. Une question aussi sensible que celle qui lui a attiré autant de foudres exigeait du théologien des Finalités qu’il est, au fait des bienfaits et des méfaits dans le corpus de la charia,  de ne prononcer que ce qui est de nature à dispenser la sérénité et l’apaisement et non pas ce qui suscite les tensions et sème la discorde. 

Un populisme infécond

Il est du droit de Raissouni et de tout citoyen de critiquer la gestion étatique du dossier du Sahara. Non seulement dans son volet en rapport avec Israël, mais aussi et surtout en ce qui touche à l’association à cette gestion des élites politiques, intellectuelles et religieuses. Encore faudrait-il que la critique soit qualitative et porteuse d’alternatives sérieuses à même de contribuer à l’optimisation de l’approche de l’Etat. Celle de Raissouni se situe malheureusement en dehors de l’histoire et chevauche un populisme infécond. 

Outre les tensions provoquées par les déclarations de Raissouni, l’approche alternative qu’il offre en critiquant hargneusement celle de l’Etat, peine à tenir debout. 

Il couvre de louanges une gestion précédente de l’Etat (la Marche Verte), et estime que le secret de son succès réside dans le recours du pouvoir au peuple. Un truisme, rééditable si et seulement les deux situations, celle se rapportant au Sahara marocain et celle concernant Tindouf, étaient juxtaposables. Or rien n’est plus incertain.

Raissouni avance deux propositions au fond redondantes, l’une similaire à la Marche Verte, la seconde consiste en la proclamation du jihad pour Tindouf. 

Le flagrant populisme délirant de ces propositions ne mérite pas qu’on s’y attarde. En revanche, il est impératif de souligner que les suggestions de Raissouni ne se contentent pas de faire l’impasse sur l’énorme différence entre le contexte de la Marche Verte pour la libération du Sahara marocain du colonialisme espagnol et celui de la sponsorisation et l’accueil du Polisario à Tindouf, une ville considérée algérienne par le droit international.  Mais pousse l’illogisme et l’incongruité jusqu’à l’occultation de l’existence de deux Etats souverains distincts, sans prêter aucune attention au droit international qui gère et régule les relations interétatiques. 

Le devoir des oulémas

Visiblement, Raissouni est incapable de concevoir un instant ce que peut signifier la déclaration du jihad, et ne donne pas l’impression de seulement comprendre qu’un chef d’Etat responsable et conscient de l’environnement contemporain ne peut agir aussi légèrement. Au temps des armées régulières, Raissouni semble vivre encore à l’heure de à l’appel au jihad (Annafir lil jihad) sans percevoir le sens et les conséquences d’un reniement du Maroc de ses engagements internationaux. Il ne soupèse pas non plus les implications de semblables attitudes sur les acquis diplomatiques engrangés par la proposition d’autonomie (reconnaissance américaine et évolution de la position de l’Espagne et de l’Allemagne). Souhaiterait-il saper tout sur quoi le Maroc a fondé sa crédibilité, que Raissouni n’agirait pas différemment. 

Pour éviter pareils égarements, les oulémas, avant de se mêler de la chose politique, sont appelés à s’immerger au préalable dans la réalité de leur société, à correctement comprendre les règles des relations internationales et de la gestion des crises. 

Eux, plus que quiconque, parce que précisément censés mieux comprendre la dualité bienfaits/méfaits, se doivent de procéder à un examen profond de la politique des Etats pour remporter des causes justes dans un environnement international et régional hautement tendu et belligène. Plus que jamais ils sont tenus, s’ils désirent s’adonner à l’exercice de la politique, de prendre garde aux frontières entre l’utopique et le réel, le rationnel et le démagogique, et surtout enfin à différencier ce qui est bénéfique à la Nation de ce qui est susceptible de la perdre dans le cercle vicieux des divergences et des tensions.