UN BUDGET 2024 SOUS TENSION - Par Mustapha SEHIMI

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L'économie nationale a fait preuve de résilience face aux fortes contraintes endogènes et exogènes depuis 2020 (pandémie Covid-19, conflit Ukraine Russie, séisme de la région d'Al Haouz). Pour autant, il importe de redresser l'équilibre budgétaire

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Le projet de loi de finances 2024 a été déposé au Parlement dans le délai constitutionnel prévu, à savoir le 20 octobre. La ministre de l’Économie et des Finances en a présenté les grandes lignes. Les délibérations ont commencé pour son adoption à la fin décembre. Comment se présente-t-il ? De fortes contraintes pèsent sur la conjoncture de cette fin d’années, et, plus durablement, sur 2024 et même au-delà.

A grands traits, le budget général de l’État enregistre une hausse avec un chiffre de 436 MMDH par rapport à celui de 2023 (403 MMDH). Le budget de fonctionnement s’élève à 280 MMDH (+3,6 %) soit 64% du total ; celui de 1'investissement a été arrêté à 118 MMDH (+ 11,4 %) ; et les charges du service de la dette sont en forte augmentation avec 38 MMDH (+ 23%). Quatre axes prioritaires sont retenus : la reconstruction des régions sinistrées après le séisme du 8 septembre, le renforcement des fondements de l'État social, la poursuite des réformes structurelles (justice, code de la famille, fiscalité,...) et enfin la soutenabilité des finances publiques. C'est précisément sur cette question-là qu'il faut revenir ici : en 2023, les besoins de financement avaient été de 64 DH ; en 2024, ils ont été évalués pratiquement à un même palier.

Soutenabilité des finances publiques

Cela dit, pour le financement du programme de réformes, quelles sont les marges de manœuvres du gouvernement ? Il est question de réduire à 4% le déficit budgétaire qui est de 4,5% en 2023, d'inscrire les finances publiques sur une trajectoire de réduction du niveau d'endettement et ainsi de renforcer l'équilibre financier. Dans le détail, de quoi s'agit- il ? Se pose, pour commencer la poursuite de la réforme fiscale : une meilleure visibilité pour les opérateurs, stabilité du système fiscal à 1'horizon 2026. La TVA sera modifiée avec la consécration du principe de la neutralité, l'alignement progressif des taux d'ici 2026 (un taux normal de 20% et un taux réduit de 10 %), l'élargissement de l'exonération à certains produits de base (médicaments, fournitures scolaires, etc.). Il est également fait référence au renforcement du cadre juridique et institutionnel de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. Autre secteur de réforme : les établissements et entreprises publics (EEP). Un dossier ouvert en 2021 avec la loi-cadre 50-21 puis par la loi n° 82-20 créant 1'Agence nationale de gestion stratégique des participations de 1’État et de suivi des performances des établissements et entreprises publiques (ANGSPE). Elle est opérationnelle depuis la fin 2022 et elle doit faire approuver par le gouvernement son projet de politique actionnariale de 1’État. Il s’agit de redéfinir la taille du portefeuille public et de renforcer les modèles financiers et économiques de certains EEP (gouvernance, contrôle financier de 1'État, processus de contractualisation entre 1'État et les EEP).

I1 Faut encore mentionner, par ailleurs, le réforme de la loi organique relative à la loi de finances (n° 130-19), pour plusieurs raisons : meilleure précision du cadre normatif, renforcement des principes et des règles budgétaire, gouvernance des finances publiques,... De même, il est prévu une nouvelle approche de gestion des investissements publics : amélioration de la performance, amélioration de l'impact socio-économique, optimisation et efficience, adéquation avec les bonnes pratiques internationales.

L'économie nationale a fait preuve de résilience face aux fortes contraintes endogènes et exogènes depuis 2020 (pandémie Covid 19, conflit Ukraine Russie, séisme de la région d'Al Haouz). Pour autant, il importe de redresser l'équilibre budgétaire. En 2023, rappelons-le, il s'est réduit à 4,5% du PIB par rapport à 2022 (5,2 %), après 5,9% en 2021 et 7,1% en 2020. Reste le poids de la dette du trésor par rapport au PIB qui est de 71,5% en 2023. Des dépenses ont du être priorisées pour faire face à des conjonctures particulières : un crédit supplémentaire de 10 MMDH en mai 2023 pour 1'appui à certains EEP et secteurs ; financement de programmes liés à des conventions -cadres ou de nouvelles stratégies ; répercussion de l'inflation sur le pouvoir d'achat des citoyens. Pour 2024, le gouvernement fait état de sa détermination à poursuivre sa politique volontariste de stabilité de l'équilibre budgétaire : elle est articulée notamment sur la rationalisation des dépenses publiques et la mobilisation des marges budgétaires nécessaires vers les secteurs prioritaires. Des arbitrages sont à faire dans ces domaines. 

Quelle maîtrise des dépenses ?

Comment assurer dès lors la maîtrise des dépenses ? Que fera-t-on de bien concret pour les dépenses du personnel ? L'administration publique compte quelque 800.000 fonctionnaires en comptant les collectivités territoriales. Mais 90.000 d'entre eux sont des "fonctionnaires fantômes "dans l'administration et les collectivités publiques, sans que ce problème ne paraisse préoccuper le gouvernement pas plus d'ailleurs que les 2.400" fonctionnaires fantômes" signalés - sans suite…- par la maire de Rabat. Parler de "rationalisation des dépenses de fonctionnement", oui sans doute : une ardente obligation même. Mais il faut sans doute aller plus loin que celles relatives à 1'utilisation de l'eau, à la réduction de la consommation d'eau et d'autres rubriques (déplacements, frais de réception et d'hôtellerie, conférences, études...). La note d'orientation du PLF 2024 mentionne la réduction" au maximum des dépenses d'acquisition de véhicules, de construction et d'aménagement des locaux administratifs". N'est-ce pas une annonce sans lendemain alors que le parc automobile de l'État est de 160.000 véhicules ! Avec 2 de frais d'essence... Un parc qui est plus du double de celui de la France, de l'Espagne, du Japon, du Royaume-Uni et des États-Unis...

L'année 2024 doit à être celle d'une nouvelle dynamique réformatrice. Le Maroc bénéficie d'une crédibilité pour ce qui est de ses politiques économiques et des réformes en cours ou à venir. Les partenaires internationaux lui accordent leur confiance et son attractivité aux investissements est consolidée. Depuis avril 2023, le Maroc a accédé à la Ligne de Crédit Modulable (LCM) du Fonds Monétaire International, - un instrument d'un montant de 5 milliards de dollars dédié à certains pays dont les fondamentaux sont solides. Il a aussi conclu avec ce même FMI, à la fin du mois dernier, un accord au titre de la nouvelle facilité pour la résilience et la durabilité (RSF) d'un montant de 1,3 milliard de dollars pour le soutien de réformes relatives surtout à l'atténuation et à l'adaptation au changement politique.

2024 ? Une année difficile par suite d'une conjoncture économique internationale préoccupante et sans rebond. Mais elle doit être aussi l'occasion pour accélérer le rythme des réformes conjugué à la poursuite des stratégies de modernisation, de développement et d'édification d'un "État social". Le catalogue optimiste de la loi de Finances 2024 suffit-il ? Voire…