Politique
Un naufrage salutaire – Par Seyf Rémouz
La sanction contre le PJD était attendue. Pas un effondrement de cette ampleur. N’en déplaise à Abdalilah Benkirane qui, deux jours avant le scrutin, a raté une occasion de se taire, ce n’est pas lui qui a sauvé le Maroc du printemps arabe. C’est au contraire le printemps arabe qui l’a sauvé, lui.
Il ne faut pas être grand clerc politique pour tirer, y compris dans la hâte, quelques premiers enseignements des résultats du scrutin du 8 septembre. Le premier, c’est que le modèle démocratique que les Marocains se sont choisis est conforté, et de belle manière.
Le point le plus saillant, reste le taux de participation. N’en déplaise aux cassandres, avec plus 50% de participation, Il y a là de quoi se pourlécher les babines. Cela devient carrément savoureux lorsqu’on prend en compte la participation dans les provinces du sud. Ce scrutin est un signe manifeste de confiance adressé par l’électeur marocain. Si l’on juge à l’aune de derniers scrutins tenus, dans certains pays, ces derniers mois, il n’y a pas de quoi rougir. En France, le taux de participation était, en juin dernier, de 34,69% pour les régionales et, dans le même mois, ce taux ne dépassera pas 23%, en Algérie. En plus d’être un fait politique, c’est une bonne et une grande nouvelle. En faisant, les Marocains, qui avaient toutes les raisons du monde de bouder les urnes, ont non seulement fait preuve de citoyenneté mais ont délivré plusieurs messages. Ils ont dit au monde combien ils sont mobilisés derrière leurs institutions, monarchie en tête. Surtout en ces temps difficiles où le pays, en plus de la pandémie, eut à subir de violents assauts et des hostilités insensées et hystériques. Le peuple marocain vient d’infliger une leçon magistrale aux Algériens, aux Espagnols, aux Allemands, et aux Pegasus et consorts.
Et puis il y a les résultats. La sanction contre le PJD était attendue. Pas un effondrement de cette ampleur. N’en déplaise à Abdalilah Benkirane qui, deux jours avant le scrutin, a raté une occasion de se taire, ce n’est pas lui qui a sauvé le Maroc du printemps arabe. C’est au contraire le printemps arabe qui l’a sauvé lui. Ce fut son aubaine et sa planche de salut. Au lendemain de l’adoption de nouvelle constitution proposée par sa Majesté le 9 mars 2011, Benkirane et son parti arrivèrent par les urnes, 5 mois plus tard. Et ce sont les mêmes urnes, dans un naufrage historique, qui vont les engloutir, après dix ans à la tête du gouvernement. Même Saad Dine El Otmani, certes pâle figure comme chef de gouvernement, a été écarté de manière avilissante. Et il n’est pas le seul. Ce qui est exceptionnel, c’est la manière massive et dégradante dont les Marocains se sont, pacifiquement, démocratiquement débarrassés de leurs islamistes. Il est de tradition, dans le monde arabe et musulman, partout où ils prirent le pouvoir, les islamistes s’incrustent durablement. Le Maroc vient encore une fois de faire exception. Avec dix fois moins de sièges, la sanction qui leur est infligée, outre d’être un puissant châtiment, peut se lire comme une leçon magistrale pour le monde. En chassant la bigoterie de l’hémicycle et en délogeant ses thuriféraires comme des mal propres, les électeurs ont signifié qu’il est temps d’en finir avec le business politique qui instrumentalise le fait religieux. Ainsi, les Marocains ont corrigé eux même une anomalie démocratique.
Ici, il y a lieu de retenir, pour l’avenir, une première leçon. Durant ces dix dernières années, la politique au Maroc fut otage d’un populisme mortifère. D’aucuns crurent, aux élections de 2016, que pour battre le populisme de Benkirane, il fallait surenchérir dans la même voie en privilégiant un populisme encore plus vulgaire. On a vu le résultat. Le personnel politique qui, cette fois-ci s’est heureusement ressaisi a préféré laisser les islamistes, les Azami, les Bouano et les Aftati à leur vociférations et braillements. Ils leur ont opposé, de la civilité, de la bonne tenue, des réponses programmatiques et des alternatives. C’est ce qui leur a assuré une victoire nette et sans bavures.
Par cet acte inédit, il faut espérer que, dans notre pays, c’en est fini avec l’ère du verbe débridé et de cette arrogance qui, en brandissant chapelet et barbe, crut pouvoir duper les Marocains en dissimulant la crasse incompétence.
Le Maroc s’apprête donc à rentrer dans sa troisième alternance. Il y a bien eu celle de 1998, puis celle de 2011. Les trois premiers partis arrivés, aujourd’hui, en tête semblent disposer d’un personnel politique capable de relever les défis du moment et d’accompagner la dynamique marocaine fermement engagé par sa Majesté le Roi Mohamed VI. Mais ce dont ils devraient surtout se souvenir, c’est que les Marocains ont pris, avec cette séquence politique que nous venons de vivre, le goût de la sanction. Et comme il viennent de le montrer, ils peuvent être impitoyables.