VISA SCHENGEN : SANCTION DIPLOMATIQUE… ET PUNITION COLLECTIVE - Par Mustapha SEHIMI

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Eric Zemmour, Emmanuel Macron : La décision française n’est au fond, qu’une nouvelle variable d’ajustement conjoncturel et électoral alors que la campagne présidentielle en France prend de plus en plus des accents pratiquement hystérisés à propos de l’immigration, de l’islam et de fantasmes. Une instrumentalisation ad nauseam.

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C’est avec préoccupation et consternation que l’on a accueilli la décision du gouvernement français de réduire de moitié la délivrance de visas aux Marocains ainsi qu’aux Algériens et de 30% aux tunisiens. Voilà donc le Maghreb sur la sellette. Comment Paris s’échine à justifier, autant que faire se peut, une telle décision ? 

L’argumentaire mis en avant par Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, a cru bon d’invoquer le refus des autorités des trois pays de délivrer des laisser-passer consulaires, des documents indispensables au retour des immigrés de France. De quels immigrés s’agit-il ? De quelques 14.000 en situation irrégulière assimilés à des clandestins.

Un problème franco-français

Pour ce qui est du Maroc, qu’en est-il au vrai. Ils seraient 3.301 identifiés comme séjournant dans l’hexagone et qui à ce jour n’ont obtenu de Rabat que 138 laisser-passer. Pour l’Alger, ce sont 7.731 avec 31 et pour la Tunisie de 3.424 pour 53. Cette décision inédite de Paris est-elle bien nécessaire et utile ? Le ministre des affaires étrangères, Nasser Bourita, n’a pas manqué, avec beaucoup de réactivité et pertinence, de la démonter et de la déconstruire. Il a souligné pour commencer que le Maroc a pris des mesures strictes dans ce domaine. A ses yeux, cette question migratoire a été traitée sur « la logique de la responsabilité et de la logique de l’équilibre permanent entre la facilitation de la circulation des personnes (étudiants, hommes d’affaires et autres…) et la lutte contre l’immigration clandestine et le traitement ferme réserve aux personnes en situation irrégulière ».

Pour les huit premiers mois de 2021, pas moins de 400 laisser-passer - et non 138 - ont été délivrés au profit de personnes en situation irrégulière. Il a aussi invoqué un problème franco-français qui doit être résolu. Référence est faite à des émigrés refusant de se soumettre à un test de dépistage avant leur retour. Pourquoi le Maroc transgresserait-il sa règlementation en n’exigeant pas la justification de ce test PCR ? De plus, outre cette première condition, il en est une autre : celle de la justification de l’identité marocaine des émigrés incriminés. C’est que des milliers d’entre eux, détruisant leurs papiers dès leur arrivée en France, se déclarent Marocains, préférant invoquer cette nationalité en lieu et place de celle de leur pays d’origine (Syrie, Afghanistan, Irak, Somalie…).

Instrumentalisation électorale

Pour la coopération consulaire entre la France et le Maroc, il faut donc que Paris revoie sa copie. La mesure « drastique, inédite mais nécessaire » que défend le gouvernement français a été qualifiée d’ « injustifiée » et de « regrettable » par Nasser Bourita. Elle ne prend pas en compte la politique responsable du Maroc, comme il a tenu à le rappeler. Et puis encore ceci : elle sert à quoi ? Elle se veut un levier diplomatique pour faire pression sur le Royaume. Pas sûr qu’elle ait quelque résultat ! Au fond, elle n’est qu’une nouvelle variable d’ajustement conjoncturel et électoral alors que la campagne présidentielle en France prend de plus en plus des accents pratiquement hystérisés à propos de l’immigration, de l’islam et de fantasmes : celles des voix de l’extrême – droite (Eric Zemmour, Marine le Pen) et de certains dirigeants du parti Les Républicains ( Valérie Pécresse, Eric Ciotti et d’autres). Une instrumentalisation ad nauseam.

Mais il y a plus et ce n’est pas sans doute le moins préoccupant. C’est qu’en effet l’on a affaire à une sanction diplomatique : Christophe Castaner, ancien ministre de l’intérieur et président du groupe parlementaire de En Marche à l’Assemblée nationale, vient encore de le préciser mardi soir, sur ( LCI). Une forme de punition collective qui a connu bien des séquences mortifères et fatales dans l’histoire. 

Elle se veut un levier dissuasif pour faire pression sur le Maroc. Aura-t-il quelque effet ? Voire. Et puis ceci : Paris s’emploie donc à rechercher une solution à des immigrés clandestins sur son territoire en prenant des mesures contre… des migrants réguliers éligibles à des visas Schengen de court ou long séjour (étudiant, stagiaires, commerçants, hommes d’affaires, touristes,..). Une politique ni recevable ni plaidable.

Comment vivifier le partenariat privilégié entre Paris et Rabat ? Quel horizon offre-t-on aux nouvelles générations alors que la France cède aux sirènes du repli du populisme. De l’ostracisme. De la stigmatisation. Et de l’exclusion.

 

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