Cinéma, mon amour de Driss Chouika: ANORA, UNE PROFONDE RÉFLEXION SUR LA QUÊTE DE SOI

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Avec « Anora », Sean Baker, réalisateur américain indépendant connu pour ses portraits intimes et sans fioritures des marges de la société américaine, continue d'explorer les thèmes qui lui sont chers : la précarité, la résilience et les rêves brisés.

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« Chaque individu a une histoire à raconter, et parfois, il suffit de regarder au bon endroit pour la découvrir ».

Sean Baker.

« Anora », le dernier film de Sean Baker, occupe une place particulière dans la carrière de ce cinéaste américain indépendant qui a bien affirmé à son propos : «Pour ce film, j’ai eu le privilège de collaborer avec la plus incroyable des équipes qui soit, devant autant que derrière la caméra. Ça m’a pris huit films pour enfin arriver dans cet espace créatif privilégié où j’avais la certitude de travailler uniquement avec des gens partageant les mêmes idées et les mêmes visées artistiques, sans toxicité, et avec un vrai amour du cinéma». Son premier grand succès a été la Palme d’Or de Cannes 2024, confirmé par le triomphe lors de la cérémonie des Oscars 2025 au cours de laquelle il a décroché pas moins de 05 Oscars : Meilleur film, Meilleure actrice pour Mikey Madison, Meilleur réalisateur, Meilleur scénario original et meilleur montage pour Sean Baker himself ; sans évoquer la quantité impressionnante des nominations et prix prestigieux qu’il a récolté dont le César du Meilleur film étranger, en plus de sa nomination comme l’un des dix meilleurs films de 2024 par le National Board of review et l’American Film Institute.

Le film s’attache au parcours atypique de Ani, une jeune strip-teaseuse du milieu new yorkais de Brooklyn qui va voir sa vie changer radicalement lorsqu’elle rencontre Ivan, le fils d’un grand oligarque russe. Elle vit alors une idylle irrésistible avec son amoureux qui la pousse à l’épouser sans trop réfléchir. Mais lorsque la nouvelle arrive à Moscou, leur idylle est menacée car les parents d’Ani décident de partir à New York avec la ferme intention de faire annuler le mariage de leur fille.

Avec « Anora », Sean Baker, réalisateur américain indépendant connu pour ses portraits intimes et sans fioritures des marges de la société américaine, continue d'explorer les thèmes qui lui sont chers : la précarité, la résilience et les rêves brisés. Après des œuvres bien reçues et acclamées comme « The Florida Project »  et « Tangerine », Baker plonge une nouvelle fois dans les vies de personnages de la marge, tout en offrant une vision à la fois tendre et critique de leur existence. Salué pour son authenticité et sa sensibilité, il soulève également des questions sur les limites du réalisme social et la représentation des communautés marginalisées.

PROFONDE RÉFLEXION SUR LA QUÊTE DE SOI

Dès le début, Sean Baker installe une esthétique résolument réaliste. Les plans serrés, les décors naturels et l'utilisation de la lumière naturelle créent une immersion immédiate dans le quotidien des personnages. Baker a toujours été un maître dans l'art de capturer la beauté brute de la vie ordinaire, et « Anora » ne fait pas exception. Les scènes de rue, les intérieurs modestes et les interactions spontanées sont filmés avec une telle précision qu'ils semblent presque documentaires. De ce traitement réaliste, même s’il a semblé à certains critiques comme une glorification de la pauvreté et une esthétisation de la souffrance humaine, le réalisateur propose une profonde réflexion sur la quête de soi dans les milieux de la marge, rangés par la précarité. Baker a un talent indéniable de capture de la vie telle qu’elle est, dans ses moindres détails.

Le cœur du film réside dans ses personnages, tous interprétés avec une authenticité troublante. Anora, le personnage principal, est une jeune femme en quête de stabilité dans un monde qui lui offre peu d'opportunités. Son parcours, marqué par des sacrifices et des choix difficiles, est à la fois poignant et frustrant. Baker réussit à humaniser ses personnages, à montrer leurs forces et leurs faiblesses sans jamais les juger. Bien que certains aspects de la caractérisation d’Ani et des autres personnages peuvent être perçus comme problématiques, et la représentation des communautés marginalisées peuvent paraître comme des archétypes (la mère célibataire, le travailleur immigré, le jeune délinquant), le réalisateur parvient à rendre leur histoire bien convaincante.

Le scénario d’Anora suit une structure non linéaire, alternant entre des moments de poésie visuelle et des séquences plus réalistes dans leur spontanéité. Cette approche reflète certainement la vie désordonnée des personnages, même si elle risque aussi de dérouter le spectateur. Les ellipses narratives, bien que souvent efficaces, laissent parfois des lacunes dans la compréhension des motivations des personnages. Mais c’est un choix que le réalisateur assume, reconnaissant que « Les acteurs m’ont fourni plein d’idées qui m’ont permis de donner encore plus de profondeur aux personnages. Ross Brodar, mon directeur de lieux de tournage, a trouvé ce club, qui est devenu un personnage à part entière dans le film. Justine Sierakowski, ma responsable des coiffures, est celle qui a pensé à greffer ces fines guirlandes dans les cheveux d’Ani : ça ajoute tellement au personnage ! Parce que dans chaque plan d’Ani, on a ces petits chatoiements de couleur et de lumière. Je n’ai pas souvenir d’avoir déjà vu ça dans un film. Tout ce que j’espère pour la suite, c’est de parvenir à répéter une expérience comme celle que j’ai vécue sur Anora ».

Ainsi, malgré ces limites, « Anora » réussit à offrir une critique sociale subtile mais percutante. Le film aborde des thèmes comme l'exploitation économique, les inégalités raciales et les défaillances du système de protection sociale. Baker ne propose pas de solutions faciles ou de messages moralisateurs. Au contraire, il présente les situations dans toute leur complexité, laissant le spectateur tirer ses propres conclusions. 

FILMOGRAPHIE DE SEAN BAKER (LM)

« Four Letter Words » (2000) ; « Prince of Broadway » (2008) ; « Starlet » (2012) ; « Tangerine » (2015) ; « The Florida Project » (2017) ; « Red Rocket »  (2021) ; « Anora » (2024).

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