C’était le Chili : VICTOR JARA, CINQUANTE ANS APRÈS - PAR MUSTAPHA SAHA

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Les Américains soutiennent le coup d’Etat. Des militaires s’écharnent sur Victor Jara. Le chanteur se lève en titubant, pour chanter l’hymne de l’Unité populaire « El pueblo unido jamàs será vencido », « Le peuple uni ne sera jamais vaincu », écrit en 1973 par Sergio Ortega. Victor Jara est criblé de balles

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Paris. Jeudi, 31 août 2023. L’histoire sanglante de l’Amérique du Sud se rappelle au présent. Le lundi 28 août 2023, la Cour suprême de Santiago prononce la condamnation définitive de sept militaires impliqués dans la torture et le meurtre du poète et chanteur chilien Victor Jara pendant le putsch d’Augusto Pinochet. Des faits tragiques remontent à la mémoire. Opération Condor. Assassinats systématiques des révolutionnaires et des opposants dirigés par les Etats-Unis d’Amérique en collaboration avec les services secrets de l’Argentine, du Brésil, du Chili, de la Bolivie, de l’Uruguay, du Paraguay. Des dictatures militaires monstrueuses. Des dissidents politiques liquidés jusqu’en Europe, en France, en Italie, en Espagne, au Portugal. La terreur impérialiste règne sur la planète. Je finalise une peinture sur toile représentant Victor Para. 

Santiago. Mardi, 11 septembre 1973. Le général fasciste Augusto Pinochet renverse le gouvernement de gauche de Salvador Allende, élu trois ans plus tôt. Les chars d’assaut occupent la ville. Le palais présidentiel est bombardé. Salvador Allende se suicide. Des milliers de personnes, des syndicalistes, des journalistes, des artistes, des étudiants sont parqués dans le Stade National. D’autres sont sommairement abattus dans la rue. Les Américains soutiennent le coup d’Etat. Des militaires s’écharnent sur Victor Jara. Le chanteur se lève en titubant, les mains broyées à coups de crosse et de botte, pour chanter l’hymne de l’Unité populaire « El pueblo unido jamàs será vencido », « Le peuple uni ne sera jamais vaincu », écrit en 1973 par Sergio Ortega. Victor Jara est criblé de balles

Victor Jara écrit entre le 12 et le 15 septembre 1973, pendant son enfermement dans le Stade Chile, puis dans le Stade National, un ultime poème, sauvegardé par ses codétenus. « Nous sommes cinq-mille ici / Dans cette petite partie de la ville / Nous sommes cinq-mille / Combien sommes-nous en tout / dans les villes et dans tout le pays ? / Juste ici nous sommes dix-mille mains / qui semons et faisons marcher les usines / Humanité tenaillée par la faim, le froid, la panique, la douleur / Les pressions morales, la terreur et la folie ! / Six des nôtres se sont perdus / Dans l’immense étendue des étoiles / Un mort, bastonné comme jamais je n’aurais cru / Qu’on puisse battre un être humain / Les quatre autres  se sont défaits de la peur / L’un d’eux en sautant dans le vide / Un autre en se frappant la tête contre le mur / Regard impassible de la mort / Le fascisme ne provoque que la terreur / Ses plans s’exécutent sans état d’âme / La sang des autres vaut pour eux des médailles /  Le massacre des autres est pour eux un acte d’héroïsme Entre ces quatre murailles le compteur égrène les morts / Des marées humaines réduites en cadavres / Nous sommes dix-mille mains en moins / Combien de fusillés dans le pays ? Le sang du camarade-président / Retentit plus fort que les bombes et la mitraille / Quel horizon pour le silence et le cri / Quand je dois chanter d’effroi ? ».

Les assassins de Victor Jara, militaires à la retraite après une carrière confortable, sont aujourd’hui âgés de soixante-treize à quatre-vingt-cinq ans. Ils doivent purger des peines de huit à vingt-cinq ans. Trois autres inculpés sont morts avant la fin de la procédure. Le dernier, qui achevé Victor Jara d’une balle dans la tête, est réfugié aux Etats-Unis. Le Chili demande son extradition. La bête immonde n’est pas pour autant extirpée. Une partie de la classe politique chilienne  revendique encore l’héritage d’Augusto Pinochet. L’immense majorité des militaires criminels n’a jamais été jugée. 

Victor Lidio Jara Martninez (1932-1973), auteur auteur-compositeur-interprète, homme de théâtre, représentant de la Nueva canción avec la  chilienne Violetta Parra, le cubain Carlos Puebla, l’argentine Mercedes Sosa, animateur des groupes QuilapayúnInti Illimani et Illapu. La Nueva canción est un mouvement musical aux confluences des traditions andines, des sagas populaires et  des chansons protestataires. Membre du Parti communiste chilien, Victor Jara est un soutien du gouvernement socialiste, qui le nomme ambassadeur culturel.

Une chanson de Victor Jara, dédiée à la lutte des vietnamiens, composée en 1971, s’intitule El Derecho de vivir en paz, Le Droit de vivre en paix. « Le droit de vivre en paix / Poète Ho Chi Minh  S’adresse du Vietnam / A l’humanité entière / Aucun canon n’effacera / Les sillons de tes rizières / Le droit de vivre en paix / Au Vietnam au-delà des mers / Au-delà des champs de fleurs détruits au napalm / Le droit de vivre en paix / Oncle Ho / Notre chant est un feu d’amour / Une colombe sans entraves / Un olivier de braves / Un chant universel / Pour le droit de vivre en paix ». Manifeste : « Je ne chante pas pour chanter / Je chante pour ma guitare / qui joue juste et crée du sens / Mon chant surgit des entrailles de la terre / Pour atteindre les étoiles / Je chante le monde / Où tout arrive / Où tout s’avive / Il y aura toujours une nouvelle chanson / Il y aura toujours une nouvelle chanson ».

Bio express

Mustapha Saha, sociologue, écrivain, artiste peintre, cofondateur du Mouvement du 22 Mars et figure nanterroise de Mai 68. Sociologue-conseiller au Palais de l’Elysée pendant la présidence de François Hollande. Livres récents : Haïm Zafrani Penseur de la diversité (éditions Hémisphères/éditions Maisonneuve & Larose, Paris), « Le Calligraphe des sables » (éditions Orion, Casablanca).

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