Culture
Mohammed Banaïssa, l’idée qui ne peut mourir – Par Hatim Betioui

Au-delà des dimensions culturelle et politique qui ont marqué la personnalité exceptionnelle de Mohamed Benaïssa, c'est la dimension humaine qui a constitué le socle de son parcours remarquable. Dès le lancement de son projet culturel et de développement à Asilah, il a parié sur l'enfant, le considérant comme le pilier de l'avenir.
Mohammed Benaïssa, l’homme qui a transformé Asilah, laisse derrière lui un héritage culturel et humain inestimable. Plus qu’un maire ou un ministre, il était une idée qui ne peut mourir. De la renaissance de sa ville à l’ancrage de la culture comme moteur de développement, son parcours illustre comment l’audace et la persévérance peuvent façonner l’histoire. Aujourd’hui, Asilah se tient à un carrefour décisif : préserver son rayonnement ou le voir s’éteindre. Hatim Betioui, disciple et compagnon de route revient sur ce parcours exceptionnel.
Au milieu de la tristesse qui a marqué les funérailles de Mohammed Benaïssa, secrétaire général de la Fondation du Forum d'Asilah, maire de la ville et ancien ministre des Affaires étrangères du Maroc, j'ai déclaré à la presse que Benaïssa est une idée, et une idée ne meurt jamais. Son absence physique ne signifie pas la disparition de ses pensées et de ses visions, qui resteront puissamment présentes et inspireront les générations futures, à Asilah et au-delà.
Si l’environnement de l’enfant est sain, son esprit le sera inévitablement
Ce que Benaïssa a accompli dans sa ville natale est, en fin de compte, une réalisation qui sert l'humanité. Ainsi, au-delà des dimensions culturelle et politique qui ont marqué sa personnalité exceptionnelle, c'est la dimension humaine qui a constitué le socle de son parcours remarquable. Dès le lancement de son projet culturel et de développement à Asilah, Benaïssa a parié sur l'enfant, le considérant comme le pilier de l'avenir. Il a veillé à ce qu'il grandisse dans un environnement sain, propice à la créativité, lui permettant de voir le monde avec un esprit positif, empreint de beauté et d’art. C’est ainsi qu’est née l’idée de réaliser des fresques artistiques dans les ruelles de la médina. Il répétait souvent à ce sujet que "Si l’environnement de l’enfant est sain, son esprit le sera inévitablement."
Benaïssa a quitté notre monde éphémère après des décennies de lutte, de travail et de construction pour sa ville, à laquelle il a tout donné afin de la hisser et de l’extraire de sa léthargie. Il a pratiquement construit tout ce qui est beau à Asilah, restauré ce qui l’était déjà, la sortant de la marginalisation et du sous-développement pour en faire un soleil rayonnant sur le Maroc et le monde arabe.
Quiconque se remémore la période avant 1978 comprendra l’état de décrépitude dans lequel se trouvait la ville, les transformations qu’elle a connues et l’ampleur des réalisations accomplies, fruits de patience et de persévérance. C’est là, à mes yeux, une évidence que nul ne pourrait nier.
De l’idée folle à la folle idée
Lorsque Benaïssa a fait ses premiers pas dans son aventure inédite, il a lancé le slogan "La culture pour le développement". Certains ont d’abord sous-estimé cette idée et l’ont rejetée, allant même jusqu’à la qualifier de folie. Mais ils ont oublié qu’un peu – ou beaucoup – de folie est souvent à l’origine des grands moments de l’histoire. C’est ainsi qu’une idée folle se transforme en folle idée, Benaïssa réussissant à ancrer son projet à Asilah, et à le matérialiser sur le terrain.
Le chemin n’a pas été facile. Il a dû faire face à des obstacles insoupçonnés, que j’ai moi-même observés de loin au début, avant de les vivre de près en raison du lien spirituel qui nous unissait. Mais grâce à sa détermination, sa patience, sa constance et aussi son esprit de tolérance, il a su surmonter toutes les épreuves.
Mohammed VI président d’honneur
Cette folle aventure, feu le roi Hassan II l’a soutenue fortement pour ancrer le projet d’Asilah. Grâce à sa clairvoyance, il a su anticiper et comprendre l’ambition de Benaïssa pour sa ville. Il a ainsi autorisé son fils et dauphin, le Prince héritier Sidi Mohammed (aujourd’hui le roi Mohammed VI), à être président d'honneur du Moussem culturel international d'Asilah dès ses débuts. Cette manifestation culturelle unique a ensuite continué à se tenir sous le Haut patronage du roi Mohammed VI.
À 15 ans, le roi Mohammed VI a visité Asilah pour la première fois lors de son premier Moussem culturel en 1978, afin d’en observer les activités et d’inspecter les ateliers d'arts plastiques au Palais de la Culture. Depuis lors, son attachement à Asilah s’est affirmé et est devenu une évidence.
Quiconque lit le message de condoléances adressé par le roi Mohammed VI à la famille du défunt Mohammed Ben Aissa percevra la place qu'il occupait auprès de son souverain. On y lit notamment :
Asilah à un carrefour décisif
"S'il est parti vers sa dernière demeure, son empreinte restera vivante en tant qu'homme d'État éminent et diplomate chevronné, ayant fait preuve d'une grande compétence dans les hautes fonctions qu'il a occupées avec dévouement et loyauté. Que ce soit en tant que ministre de la Culture, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, ambassadeur de Notre Majesté à Washington ou élu parlementaire et communal, nous gardons en mémoire, avec estime, ses hautes qualités humaines, son ouverture d’esprit, sa passion pour la culture et son engagement en faveur du rayonnement culturel et artistique d’Asilah, sa ville natale. Il a consacré son activité et ses efforts à son développement, et à l’imposition de son influence culturelle et esthétique à l’échelle nationale et internationale, notamment à travers la création et la gestion de la Fondation Forum d’Asilah, incarnant ainsi un modèle exemplaire de citoyenneté responsable."
Benaïssa a protégé Asilah pendant des décennies, bénéficiant d’un soutien royal constant. Il avait encore de nombreuses idées et rêves qu’il souhaitait réaliser, mais la volonté de Dieu en a décidé autrement. Il s’en est allé, murmurant jusqu’à ses derniers instants le nom de sa bien-aimée Asilah, laissant derrière lui de nombreuses recommandations à son sujet.
Aujourd’hui, Asilah se trouve à un carrefour décisif : exister pleinement ou disparaître des radars. Sa pérennité est une responsabilité collective qui nécessite une attention exceptionnelle de l’État, afin de préserver l’âme de la ville et son rayonnement, qui s’est étendu aux quatre coins du monde. Il s’agit aussi de protéger l’image qu’elle a véhiculée à l’international, celle ’un Maroc ouvert, pluriel et porteur d’espoir.