Oum Kalthoum au Maroc... et Abdel Wahab chante ''Daret Al-Ayyam'' en présence du roi Hassan II – Par Hatim Betioui

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Le Roi Hassa II, au Milieu avec à sa gauche Oum Kalthoum et à sa droite, Mohamed Abdel Wahab

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Oum Kalthoum, "l’Etoile de l'Orient", a visité le Maroc en juillet 1968 dans le cadre des célébrations du quarantième anniversaire du roi défunt Hassan II

À cette occasion, plusieurs artistes célèbres du monde arabe, et pas des moindres ont été invités. Parmi eux Mohammed Abdel Wahab, Abdel Halim Hafez, Faiza Ahmed et d'autres.

Deux moutons et un bracelet en or 

Le défunt Ahmed Snoussi, ministre de l'Information (1967-1971), m'a raconté qu'il avait pensé qu'il serait utile de diffuser tous les concerts à la télévision, d'autant plus que la télévision au Maroc, créé en 1962, était toute récente.

Il était bien connu qu'Oum Kalthoum n'acceptait pas que ses concerts soient filmés. Le ministre Snoussi avait informé le roi Hassan II qu'Oum Kalthoum donnerait trois concerts dans un théâtre pour un total-public de 4 500 personnes. Mais il était inconcevable pour le roi qu’Oum Kalthoum vienne au Maroc pour chanter devant moins de 5 000 personnes.

La présence d'Oum Kalthoum au Maroc coïncida avec la fête de l'Aïd al-Adha. Le roi Hassan II lui envoya donc deux moutons, alors qu'elle séjournait à l'hôtel Hilton (actuellement le Sofitel), qui était alors géré par une entreprise américaine.

Snoussi dit au roi Hassan II que si les moutons étaient égorgés à l'hôtel, cela pourrait contrarier les responsables américains, d'autant plus que l'hôtel hébergeait une centaine de touristes américains. Le roi ordonna alors à Sanoussi de contacter le gouverneur de Rabat, Mahdi Ben Boucheta, pour obtenir une voiture de type "Jeep" afin de transporter les moutons dans le quartier populaire d’Al’akari à Rabat, et de frapper à la première maison rencontrée pour dire à ses occupants que l'invitée du roi était venue fêter l'Aïd avec eux.

Une fois à Al’akari, raconte Snoussi : "Nous avons frappé à la première maison que nous avons vue". Le propriétaire, un coursier au ministère des Travaux publics, demanda : "Cherchez-vous quelqu'un ?" Snoussi lui répondit : "Non, nous sommes ici sur ordre de Sa Majesté le Roi, et nous avons avec nous l'invitée de Sa Majesté pour fêter l'Aïd avec vous." L'homme se tourna vers l'invitée et dit : "Elle ressemble vraiment à Oum Kalthoum." Snoussi lui répondit : "C'est Oum Kalthoum en chair et en os." L'homme, très ému, invita tout le monde à entrer chez lui et accueillit chaleureusement l'invitée, malgré ses modestes moyens.

Les deux moutons furent égorgés et des brochettes de viande grillée, des pâtisseries et du thé vert furent offerts à Oum Kalthoum, qui fut très touchée par l'hospitalité et la générosité des habitants.

Snoussi raconte qu'au moment de partir, la maîtresse de maison retira un bracelet en or de son poignet et supplia Oum Kalthoum de l'accepter en cadeau, en signe de reconnaissance pour l'honneur que le roi Hassan II leur avait fait.

À ce moment-là, Oum Kalthoum se mit à pleurer d'émotion. En quittant la maison, elle dit à Snoussi : "S'il te plaît, Si Ahmed, comment puis-je rendre cet honneur que m'ont fait les Marocains ?" A l’affût, il lui répondit : "Si vous voulez répondre à la générosité des Marocains, laissez-nous filmer vos concerts et les diffuser à la télévision."

La fausse note qui a fait chanter Mohamed Adel Wahab 

"L’Etoile de l'Orient" répondit : "Si Ahmed, je suis une femme âgée et je ne veux pas montrer mon âge à la télévision, car le public est habitué à me voir de loin sur scène, et vous allez me montrer de près à la télévision."

L'un des neveux d'Oum Kalthoum l'avait accompagnée au Maroc, alors Snoussi lui dit : "Votre neveu restera dans la salle de contrôle pour choisir les images qui pourront être diffusées." Ce qui fut fait.

Après la fin de ses concerts, le roi Hassan II l'accueillit à Marrakech et l'honora, tout comme le reste de la famille royale.

Le roi Hassan II honora également l'artiste Mohammed Abdel Wahab et organisa un dîner en son honneur. Alors que l'orchestre Al-Masiyyah s'apprêtait à jouer, le ministre Snoussi et plusieurs membres de la cour s'approchèrent du roi Hassan II, qui était assis avec sa famille dans une suite privée, et le supplièrent de convaincre Abdel Wahab de chanter "Daret Al-Ayyam" (Les Jours ont Tourné) d'Oum Kalthoum.

Le roi Hassan II savait qu'Abdel Wahab refuserait de chanter une chanson qu'il avait lui-même composée. Mais Snoussi et les membres de la cour insistèrent pour qu'il le convainque. Le roi parla alors au chef de l'orchestre Al-Masiyyah, Ahmed Fouad Hassan, et lui dit : "Quand vous commencerez à jouer, brisez la partition musicale pour voir la réaction d'Abdel Wahab, peut-être que cela le poussera à chanter."

Ahmed Fouad Hassan exécuta l'ordre du roi, et quand Abdel Wahab entendit la mauvaise interprétation de la partition, il protesta en disant : "Ce n'est pas possible... qu'est-ce que c'est que ça ?" Le roi lui demanda d'intervenir, et Abdel Wahab se leva alors devant l'orchestre et commença à fredonner avant de se lancer dans l'interprétation de "Daret Al-Ayyam" (Le temps ont changé).

Selon de nombreux témoignages, Oum Kalthoum était l'une des chanteuses arabes préférées du roi Hassan II, qui aimait particulièrement ses chansons "Al Atlal" (Les Vestiges) et "Enta Omri" (Tu es ma vie). Elle était suivie par Mohammed Abdel Wahab, puis Abdel Halim Hafez, que le roi soigna durant sa maladie et envoya se faire traiter à l'étranger à ses frais. Abdel Halim fut toujours reconnaissant de ce geste et chanta une chanson en l'honneur du roi intitulée "Al-Ma' wal-Khudra" (L'Eau et la Verdure), qui commence par ces mots : "L'eau, la verdure et le beau visage... des mariées paradant lors de la fête d'Hassan", une chanson qui plaisait beaucoup au roi, tout comme "Rissala Min Taht al-Ma'" (Message de sous l'Eau) et "Qari'at al-Fingan" (La Lectrice de Tasses, tasséomancie).

Le roi Hassan II était un artiste accompli et éclectique. Ceux l’ont approché de près évoquent un excellent musicien et un chef d'orchestre talentueux. Il aimait passionnément la musique arabe et marocaine, et encourageait et soutenait toujours les chanteurs et chanteuses marocains.

 

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