Culture
Un Grammy du meilleur album pour Beyoncé en ferait ''l’Obama'' des Awards
Beyoncé avec sa fille Blue Ivy lors du spectacle de la mi-temps du match entre les Baltimore Ravens et les Houston Texans au NRG Stadium le 25 décembre 2024 à Houston, au Texas. . (Photo par Alex Slitz / AFP)
Si l'univers de la musique n'a jamais manqué d'histoires d'amour contrariées, celle entre Beyoncé et les Grammy Awards a atteint au fil des années une dimension légendaire.
La reine de la pop, auteure d'une œuvre défiant les conventions, est l'artiste la plus primée de l'histoire de ces récompenses américaines, avec 32 gramophones.
Mais elle a toujours été distinguée dans des catégories mineures, sans jamais remporter le prix du meilleur album.
Taylor Swift, Adele, Beck, ou encore Harry Styles... Le nombre d'artistes blancs qui lui ont volé la récompense ultime alimente régulièrement le procès en conservatisme fait à l'industrie musicale américaine.
Cette année, "Queen B" fait encore partie des favoris grâce à "Cowboy Carter", son album aux influences country.
Un Grammy du meilleur album, après cinq nominations dans cette catégorie, représenterait un choc "similaire à l'élection de Barack Obama comme président pour moi", analyse Birgitta Johnson, professeure d'histoire de la musique à l'université de Caroline du Sud.
Problème de "valeurs"
Les votants aux Grammy Awards sont moins sensibles aux projets collaboratifs, selon Mme Johnson. Mais ceux-ci sont dans l'ADN de l'ex-chanteuse des "Destiny's Childs", venue à l'origine du rap et du r'n'b.
Cette culture musicale noire la désavantage, appuie Lauron Kehrer, musicologue de la Western Michigan University, en rappelant la défaite de Beyoncé en 2015 face au multi-instrumentiste Beck.
Là où la chanteuse avait conçu un album collaboratif, l'auteur-compositeur avait impressionné en réalisant son opus entièrement lui-même.
"Les valeurs (des votants) sont davantage alignées sur les genres dominés par les Blancs, comme le rock et l'indie alternative", reprend Kehrer.
Le manque de reconnaissance de Beyoncé serait ainsi révélateur des "fractures" de l'industrie pour "concevoir les styles et les genres" musicaux, et de ses difficultés à assimiler les questions de diversité et d'identité de genre.
Les Grammy Awards ont fait des efforts, en augmentant le nombre de nominés de cinq à dix dans les catégories majeures. Mais cela a plutôt eu pour effet de fractionner encore plus les votes.
Résultat, les personnes de couleur et les artistes moins conventionnels gagnent rarement des trophées majeurs.
"Tous ces éléments entrent en ligne de compte lorsqu'il s'agit de Beyoncé", une "star planétaire" jusqu'ici incapable de remporter le meilleur album, reprend Mme Johnson.
Totale indépendance
La chanteuse semble pourtant se moquer de ce dédain institutionnel. Totalement indépendante, elle est plus occupée à repousser les limites de son univers musical, au-delà des étiquettes.
Là où son album précédent, "Renaissance", foisonnait de sonorités dance et electro, "Cowboy Carter" s'affirme encore comme un projet inclassable aux confluences de la country, de l'Americana, de la pop et du rap.
Cela lui vaut 11 nominations cette année, dans des catégories très diverses.
Cet opus démontre "qu'elle est une artiste polyvalente qui ne peut pas être cataloguée, et vise à forcer les institutions de l'industrie à y prêter attention", juge Kehrer.
Au final, les Grammys ont bien plus besoin de Beyoncé que l'inverse, observe de son côté Mme Johnson. Sa présence permet à la cérémonie "d'apparaître non seulement pertinente, mais aussi inclusive, comme elle prétend essayer de l'être."
Au lieu d'essayer de rentrer dans les bonnes cases pour remporter le meilleur album, Beyoncé "tente de travailler davantage sur les récits et l'identité" de ses albums, ajoute l'universitaire.
"Elle fait partie de ces rares artistes qui sont libres sur le plan créatif, mais qui disposent également de la richesse nécessaire pour concrétiser leur vision", insiste-t-elle.
Cette approche influence désormais les jeunes générations. Coqueluche des Grammy Awards, Billie Eilish mélange par exemple sans complexe la pop, le hip-hop et l'electro, tout en abordant des sujets "considérés auparavant comme tabous", complète de son côté Kehrer.
Au final, c'est peut-être pour les fans, avides de représentation, qu'une victoire majeure de Beyoncé aux Grammys aurait le plus d'importance.
"Ce qui importe dans les Grammys, c'est qu'ils nous montrent où nous en sommes" en tant que société, rappelle Kehrer. "Pas seulement dans le domaine musical, mais aussi politique." (Quid avec AFP)