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En Albanie, splendeur et misère des papillons
Une étudiante en sciences naturelles de l'université de Tirana participe à une expédition d'observation de la population de papillons dans le district pittoresque de Zvernec, près de la ville de Vlore, à quelque 160 km au sud-ouest de Tirana, le 27 mai 2024. Jaune vif, noir, rouge et bleu, les papillons Alexanor volaient autrefois en abondance sur les pentes fleuries du sud-ouest de l'Albanie. (Photo par Adnan Beci / AFP)
A Zvërnec, sur une colline fleurie dominant la mer, les papillons qui jadis offraient aux curieux les couleurs les plus étonnantes de la nature se font de plus en plus rare. Ici comme ailleurs en Albanie, la moitié des papillons sont maintenant en danger.
Sur les 207 espèces de papillons répertoriées dans le pays, 91 sont en danger, et 58 particulièrement vulnérables, selon les critères de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
"Conséquence de l'activité humaine sur la nature mais aussi du changement climatique, les jolis papillons disparus ont pris avec eux un bout de mon âme, un morceau de mon bonheur", regrette Fjona Skenderi, étudiante en Sciences Naturelles à Tirana.
Véritables sentinelles de l'état de la nature, indicateurs précieux de la santé de la planète, les papillons ne sont pas seulement jolis.
"Sensibles aux changements, ils sont un véritable miroir des conditions de l'écosystème dans lequel ils vivent", estime la professeure Anila Paparisto, qui avec ses étudiants de l'université de Tirana, s'occupe de recenser les papillons qui restent - et ceux déjà partis.
D'année en année on constate une réduction non seulement des espèces mais aussi un déclin considérable de la biomasse des papillons qui peuplaient cette réserve naturelle jadis très riche, explique Mme Paparisto.
Alors la professeure, le spécialiste belge Sylvain Cuvelier, co-auteur de l'Atlas des papillons en Albanie; et Altin Hila, agronome et collectionneur, tirent la sonnette d'alarme. Les causes sont multiples, soulignent-ils: l'urbanisation sauvage, les pesticides et les dérèglements climatiques mettent en péril la survie des papillons.
A Zvërnec parmi les papillons manquant cette année à l'appel, c'est l'absence de l'Alexanor, aux ailes jaune, noir, rouge et bleu, qui est la plus notable.
A sa place, sous le soleil réfléchi par la mer, de petits papillons aux ailes blanches et noires, appelés demi-deuil ou échiquier commun, boivent le nectar des fleurs de colza.
Dans le parc naturel de Divjaka, sur la cote albanaise, Altin Hila note l'absence du Saturia pyri, le Grand paon de nuit, et du Danaus Chrysippus, ou Petit monarque, un papillon migrateur d'Afrique, remarquable par ses ailes oranges bordées de noir.
"C'est une année catastrophique marquée par des dérèglements climatiques, un printemps précoce et des températures trop élevées en janvier et février" explique M. Hila, qui, tout à sa passion des papillons, a ouvert un musée à Divjaka. "Cela a favorisé l'éclosion des œufs et la croissance des larves des papillons, or en avril les températures étaient trop basses" pour qu'ils survivent.
Les papillons sont un maillon important de la chaine alimentaire et leur déclin pourrait avoir de graves conséquences sur les écosystèmes menant également à la disparition de nombreuses autres espèces, affirme Mme Paparisto.
"Quand les papillons sont moins nombreux, on s'attend à... un effet papillon", avertit Mme Paparisto. "Qui impactera toutes la chaîne alimentaire, la biodiversité, indispensable aussi pour les humains".
La pyrale de malheur
D'une beauté trompeuse, reconnaissable à ses ailes blanches bordées de marron, la pyrale, arrivée de Chine avec l'importation de plantes d'ornement a déjà ravagé depuis 2019 plus de 80% des forêts de buis en Albanie, selon les estimations des experts.
Au bord de la route qui longe le lac d'Ohrid, à Pogradec (nord-ouest), les buis qui offraient autrefois de longues rangées vertes sont dévorés par la chenille de la pyrale. Squelettiques et complétement desséchés, il n'en reste rien.
"Elle est très agressive, elle peut se reproduire trois à quatre fois par an, et cela devient un vrai malheur qui réduit à néant des superficies entières", alerte Avdulla Diku, un ingénieur forestier.
Elle s'attaque aux buis lorsqu'elle se trouve à l'état de chenilles: tête noire et luisante, le corps vert clair striés de lignes plus foncées, on la repère facilement s'accrocher aux feuilles et aux tiges de buis dont elle cause la mort.
Favorisées par les températures douces, elles sont sorties cette année vers le mois de février.
Pour le professeur Cuvelier: "Il est urgent d'unir les efforts pour trouver des solutions, repenser en profondeur notre utilisation des ressources natures et la voie à suivre pour la protection et la restauration de notre environnement, la planète terre".
Selon une étude menée par des dizaines de chercheurs publiée début juin, le réchauffement climatique causé par les activités humaines a atteint un "rythme sans précédent". (AFP)