A Bangui, la course de pirogues reprend ses droits sur la guerre

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Deux pirogues au coude à coude durant la course à Bangui, le 1er décembre 2020

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Le speaker hurle dans le mégaphone. Et soudain, les vingt pirogues s'élancent dans un nuage d'écume au rythme des tambours qui battent la cadence. Une clameur s'élève des berges où se massent les habitants de Bangui, pour la fête nationale centrafricaine.

La course de pirogues est le point d'orgue des célébrations du 1er décembre, mais les Centrafricains en ont été privés pendant plusieurs années depuis que leur pays, parmi les plus pauvres du monde, se déchire dans une sanglante guerre civile.  

Cette tradition qui remonte à l'époque coloniale française a été victime des combats féroces qui ravagent la Centrafrique depuis qu'une coalition de groupes armés a renversé le président François Bozizé en 2013. La capitale plonge alors dans l'horreur des affrontements communautaires.

Mais depuis 2016, le gouvernement a remis la course au programme. Les combats ont considérablement baissé d'intensité depuis 2019, permettant une reprise timide de cette très populaire joute annuelle dans une capitale relativement épargnée par les violences quand deux tiers du pays sont encore sous la coupe des groupes rebelles.

Yakoma contre Mbaka 

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Les pirogues face à la tribune présidentielle après la course, à Bangui le 1er décembre 2020

La compétition oppose les meilleures ethnies de pagayeurs : Mbaka, Sango, Modjombo et Yakoma. Des habitants historiques des berges de la rivière Oubangui, qui se disputent le titre depuis des décennies.

"Avant, c'étaient les Yakoma qui gagnaient toujours mais, depuis 2003, ce sont les Mbaka chaque année", explique Mesmin, le chef de Ngaragba, un quartier paisible en bord de fleuve majoritairement peuplé de Yakoma.

Ce matin, Mesmin vient assister aux derniers préparatifs de l'équipe. Il faut tester la pirogue et échauffer les muscles sous un soleil déjà brûlant. Mesmin est un ancien compétiteur, une gloire locale pour ceux de ses administrés qui se souviennent d'une fameuse 2e place décrochée avec l'équipe du quartier dans sa jeunesse.

Mais le chef sait bien que, cette année encore, la trentaine de pagayeurs du quartier Ngaragba n'a aucune chance : les Mbaka, de la région forestière de la Lobaye, dans le Sud-Ouest, savent construire d'immenses pirogues larges d'un mètre et longues de 20, capables d'emporter jusqu'à 90 rameurs. Et c'est presque toujours le plus gros qui gagne.

La technique des Mbaka, qui pagayent debout, leur donne aussi un avantage sur les Yakoma et les Sango qui rament assis. "C'est notre façon de pagayer traditionnelle", avance Yvon Akelelo, le responsable de l'équipe. Pas question d'en changer.

Solidarité, partage 

Mais c'est surtout la solidarité communautaire qui permet à leurs adversaires de construire ces pirogues géantes dont le prix peut atteindre l'équivalent de 1.500 euros. "Avant, toutes les familles cotisaient dans notre quartier, mais maintenant, les gens ne donnent plus", regrette Mesmin.  

Alors les jeunes de Ngaragba doivent se contenter d'une embarcation plus modeste, louée à la journée pour 20.000 francs CFA (environ 30 euros). Pas de quoi entamer la ferveur et l'optimisme des rameurs comme Paul, un étudiant: "Les Mbaka gagnent à chaque fois, mais aujourd'hui les jeunes sont décidés à gagner pour notre quartier !" lance-t-il.

Pour ces jeunes, la course est aussi l'occasion d'empocher un petit revenu dans un pays où le salaire mensuel moyen atteint à peine les 30 euros. Car le gouvernement encourage cette compétition en décernant un prix de 50.000 francs CFA à toutes les équipes. Les vainqueurs, eux, se partagent 1 million de FCFA, l'équivalent de 1.500 euros.  

"Ceux qui font la course gagnent plus, mais on garde une part pour le quartier, on partage ménage par ménage", explique Yvon. D'où la ferveur du public.

A 13H00, toutes les plus belles pirogues de Bangui sont rassemblées devant la tribune présidentielle. Les champions se reconnaissent à la couleur uniforme qui orne leurs navires et leurs vêtements, et à leurs mouvements parfaitement synchronisés.

Au milieu de cette armada, la petite pirogue de Ngaragba fait pâle figure. Mais il en faut plus pour entamer le moral des rameurs, que leurs voisins acclament depuis la rive.    

La course tant attendue dure dix minutes à peine. 

Après une boucle, les premiers bateaux approchent de la ligne d'arrivée. Leurs équipages épuisent leurs dernières forces et les pirogues filent comme de longs mille-pattes sur l'eau dorée par le soleil.

Cette fois encore, les Mbaka raflent tout. "Première, deuxième, troisième, quatrième et cinquième places, c'est des Mbaka. Les Yakoma sont septièmes", égrène Mesmin, l'oreille rivée à sa radio où la course est commentée en direct. Et voilà enfin l'équipe de Ngaragba, qui arrive bonne dernière...