La fin de la guerre entre le Hamas et Israël : gains et pertes au-delà des illusions des uns et des autres – Par Bilal Talidi

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Un homme porte le corps enveloppé d'un bébé tué par des frappes israéliennes dans la ville de Gaza la nuit précédente, à l'hôpital arabe Al-Ahli, également connu sous le nom d'hôpital baptiste, le 16 janvier 2025, après l'annonce d'un accord sur   la guerre

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Mercredi, le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères qatari a annoncé un accord pour un cessez-le-feu à Gaza, qui sera mis en œuvre dimanche prochain. Cette annonce ouvre la voie à un large débat sur la question de la victoire et de la défaite après une guerre considérée comme la plus violente de l’histoire du conflit israélo-palestinien.

En réalité, les approches pour évaluer l’impact de cette guerre sont multiples, mais il est essentiel de prêter attention à deux illusions dangereuses propagées par les médias. La première affirme que le Hamas a remporté la victoire parce qu’il n’a pas été vaincu, et qu’Israël a échoué parce qu’il n’a pas triomphé. La seconde prétend que, dans les guerres asymétriques, le faible gagne en déjouant les plans de l’ennemi, tandis que le fort échoue s’il n’atteint pas ses objectifs déclarés.

La substitution de l’axe sunnite à l’axe chiite

La première illusion n’est qu’un tour de passe-passe visant à empêcher une analyse politique, militaire et stratégique de la guerre et de ses résultats. La seconde oublie que la question concerne une stratégie offensive déclarée par le Hamas sous le nom de « Déluge d’Al-Aqsa », avec l’objectif affirmé de changer la donne dans toute la région, ce qui dépasse le cadre d’une simple stratégie défensive de résistance.

Le président américain Joe Biden, dans son discours sur cet accord, a évoqué certains éléments d’analyse stratégique. Il a souligné les indices de la victoire israélienne, notamment l’affaiblissement du Hezbollah, contraint d’accepter un cessez-le-feu en contradiction avec sa position initiale liant sa résistance à l’occupation israélienne à l’agression contre Gaza. M. Biden a également indiqué que l’État libanais est désormais responsable du démantèlement de ses armes et du monopole de celles-ci sur l’ensemble du territoire, y compris le sud du Liban. Biden a aussi fait référence à la défaite de l’Iran en Syrie et la rupture de son lien vital avec le Hezbollah, après la chute du régime syrien. 

Toutefois, ce changement en Syrie, bien qu’il symbolise une défaite pour l’axe iranien, reste un gain tactique. La réduction de la menace iranienne via le Liban et la Syrie ne signifie pas pour autant que les frontières d’Israël soient devenues sûres après la chute du régime d’Assad. Israël considère ce changement comme un remplacement d’une menace chiite soutenue par l’Iran par une menace sunnite soutenue par la Turquie. C’est pourquoi Tel-Aviv a rapidement lancé des frappes contre les capacités militaires syriennes et occupé d’importantes parties de son territoire.

Une guerre qui a fané le charme des accords d’Abraham

Face à ce gain stratégique incertain, Israël subit une perte stratégique majeure. Cette guerre a largement stoppé ou gelé le processus de normalisation amorcé par les Accords d’Abraham. Elle a également suscité une grande méfiance envers les intentions israéliennes, non seulement chez les pays arabes qui envisageaient une normalisation, mais aussi chez ceux qui y avaient adhéré précocement, comme l’Égypte et la Jordanie. Ces derniers n’oublieront pas que les dirigeants israéliens envisagent, selon des cercles stratégiques, de résoudre la question de Gaza et de la Cisjordanie par le déplacement des Palestiniens vers le Sinaï et la Jordanie.

La perte stratégique la plus importante pour Israël réside dans l’isolement international imposé par cette guerre. Jamais dans l’histoire de l’occupation israélienne, la Cour pénale internationale qui a ciblé Benjamin Netanyahou et Yoav Galant, n’avait émis un mandat d’arrêt contre des dirigeants israéliens.

Gaza en ruine et un e direction décimée

Les pertes stratégiques pour les Palestiniens sont également significatives. Gaza s’est transformée en un vaste champ de ruines. La résistance a perdu des dirigeants politiques et militaires de premier plan. Le soutien venant du sud du Liban s’est effondré, et la population palestinienne a subi une diminution démographique importante à Gaza, avec environ, sans les dizaines de milliers de blessés, 50 000 morts, principalement des femmes et des enfants, ce qui affectera les taux de fécondité. Israël considère cette croissance démographique à Gaza comme une « bombe nucléaire » menaçant son avenir dans le conflit.

Malgré l’éloge du Hamas, dans son communiqué publié après l’accord, pour les soutiens régionaux, il n’a pas souffert de la chute de Bachar al-Assad. Sa vision stratégique s’est toujours alignée davantage sur l’axe sunnite turc, tout en restant méfiante à l’égard du soutien iranien. Cela s’est confirmé lorsque le Hamas a publié un communiqué après la chute du régime d’Assad, félicitant le peuple syrien pour avoir atteint ses aspirations à la liberté et à la justice, tout en espérant que Damas poursuivrait son rôle historique de soutien à la résistance palestinienne.

Le principal échec de Hamas réduit à la défensive

La perte stratégique majeure souvent ignorée concerne l’échec de la stratégie du Hamas de passer d’une stratégie défensive à une stratégie offensive. Le « Déluge d’Al-Aqsa », qui annonçait ce changement, n’est pas devenu un tournant décisif transformant la région en faveur de la cause palestinienne. La situation reste globalement inchangée, mis à part les développements en Syrie, que la direction du Hamas n’avait ni anticipés ni planifiés, mais qui résultent d’une initiative turque. La Turquie peut être considérée comme la grande gagnante sur le plan stratégique et politique.

L’échec israélien

Sur les plans politique et militaire, l’échec israélien est évident. Selon ses dirigeants et ses médias, Israël n’a pas réussi à atteindre ses objectifs déclarés, à savoir réduire les capacités militaires du Hamas et imposer un nouvel ordre à Gaza sans le Hamas. Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a déclaré qu’il était impossible de vaincre militairement le Hamas. Il a précisé que ce dernier avait remplacé tous ses combattants, renouvelé ses capacités militaires et infligé des pertes à Israël dans le nord de Gaza.

Le contenu de l’accord confirme l’échec israélien à imposer ses objectifs. Il exige le retrait d’Israël de toute la bande de Gaza, y compris des axes de Netzarim et Philadelphie, ainsi que de la région nord que l’armée israélienne envisageait d’occuper et de dépeupler. Les termes de la première phase de l’accord, d’une durée de 42 jours, prévoient également la libération de près de 2 000 prisonniers palestiniens, dont 250 condamnés à perpétuité et environ 1 000 arrêtés après le 7 octobre 2023. Les négociations des deuxième et troisième phases détermineront la suite.

La perte du Hamas dans cet accord est restée limitée. Le mouvement a accepté l’idée d’un retrait progressif après avoir initialement exigé un retrait total et immédiat. Il a également consenti à un accord en trois phases, bien que seule la première phase soit précisément définie, et a accepté que l’occupation israélienne maintienne une bande de contrôle d’environ 700 mètres le long de la frontière de Gaza, alors qu’Israël planifiait initialement une zone tampon plus large.

Le rêve inaccompli de changer le visage de la région au profit de la cause palestinienne

Cependant, la différence entre la situation du Hamas avant l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » et après est significative. Malgré la popularité qu’il a acquise grâce à sa résistance héroïque face à l’agression, les défis de l’après-guerre seront immenses. La reconstruction de ses capacités sécuritaires, de son appareil politique et de sa gestion du territoire sera coûteuse, contrairement à la situation avant le 7 octobre. Bien que l’accord contienne des engagements humanitaires importants, notamment l’aide humanitaire, la réhabilitation des hôpitaux, l’introduction de matériel de défense civile, de carburant et le relogement des réfugiés, ces mesures ne suffiront pas à combler les pertes.

Et s’il est vrai que le Hamas a réussi à maintenir l’image d’une résistance héroïque et inébranlable, refusant de hisser le drapeau blanc face à la brutalité bestiale de l’armée israélienne, empêchant l’occupation de réaliser ses objectifs visant à l’éliminer et à déporter le peuple palestinien, le Hamas, il faut le redire, a perdu des dirigeants importants, une partie de son « arme démographique », et Gaza a subi des destructions massives qui nécessiteront une décennie, voire plus, pour être surmontées. Le rêve de transformer « Déluge d’Al-Aqsa » en un événement qui changerait le visage de la région au profit de la cause palestinienne reste inaccompli.

La banalisation d’Israël

En revanche, Israël a perdu sa réputation, la rare violence dont il a fait montre l’a banalisé sans retour et il a échoué à éliminer la menace sécuritaire posée par le Hamas, et dilapidé le capital de confiance que Washington espérait exploiter pour intégrer Israël dans la région.. Cela souligne que l’administration actuelle de la Maison-Blanche comprend qu’elle devra accomplir de nombreuses tâches pour relancer sa vision stratégique dans la région. Si la fin de la guerre à Gaza constitue un premier pas, la restauration de cette vision nécessitera des sacrifices, notamment le remplacement de la direction israélienne actuelle (Benjamin Netanyahou) et la réparation des dégâts causés par cette guerre. Cela permettra d’espérer reprendre l’initiative au Moyen-Orient, d’éviter de laisser un vide après le recul de l’influence iranienne, et d’empêcher que l’axe chiite ne soit simplement remplacé par un axe sunnite.

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