La guerre entre la Russie et l’Ukraine : un tournant et un coup fatal pour le multilatéralisme - Par Mohamed Loulichki

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Sur le terrain, et quelles que soient son endurance et sa force de frappe, la Russie ne peut pas rester longtemps en Ukraine au risque de subir une guerre d’usure et de porter un coup à son image comme puissance militaire et stratégique. Pour le moment, face à une Russie décidée à imposer ses conditions à l'Ukraine, l’Occident ne peut ni abandonner ce pays ni forcer la Russie à s’en retirer sans conditions

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L'opération militaire lancée le 24 février 2022 par les forces armées russes à l'intérieur du territoire de l’Ukraine voisine, et l'épreuve de force qui en a découlé entre la Fédération de Russie et les pays membres de l’OTAN sont  pleines d’enseignements pour tous ceux qui observent et analysent l'évolution des relations internationales contemporaines, les rivalités entre lespuissances, le fonctionnement des Organisations internationales, la dialectique entre la force et le Droit et la crise que traverse le multilatéralisme. Comme la seconde guerre d’Irak et l’attaque du 11 septembre 2001, ces événements marquent un tournant dans les relations inter-étatiques et les équilibres géostratégiques entre les deux camps.

Tout commence par une succession de mesures prises par la Russie affectant directement l’Ukraine. Coup sur coup, le Président Vladimir Poutine a signé, le 21 février 2022, l’acte de reconnaissance de la République populaire de Donetsk et de la République populaire de Lougansk, de même qu’il a lancé ses troupes pour encercler des villes entières, détruire des infrastructures  vitales, avec l’intention déclarée  de changer le gouvernement en place et de démilitariser le pays.

Une agression contraire à la Charte de l’ONU et au Droit international

La spirale de violence qui s’est développée depuis lors a provoqué, en dix jours seulement, la destruction de plusieurs infrastructures militaires, énergétiques et civiles, l’exode d’un nombre record de réfugiés, estimé par l'Agence des Nations unies pour les réfugiés à 1,7 million de personnes, le dérèglement du commerce et du transport internationaux et l’augmentation vertigineuse et inquiétante des prix des produits énergétiques et ceux de première nécessité.

La campagne militaire russe a été conduite en violation d’au moins quatre principes cardinaux de la Charte des Nations unies :

-       le principe  du non-recours à la force ou à la menace de la force dans les

relations entre Etats “soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies” (article 2 paragraphe 4 de la Charte) ;

-       le principe du règlement des différends par les voies pacifiques” qui

doit être respecté de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger" ( article 2 paragraphe 3) ;

- le principe du respect de l'intégrité territoriale des Etats entendu comme

la capacité d'exercer la plénitude des compétences étatiques sur l'ensemble du territoire, l'inviolabilité de ce même territoire et la garantie contre tout démembrement du territoire ;

- le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats tel

qu’il a été explicité par la résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970, portant Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations unies, selon laquelle « Aucun Etat ni groupe d'Etats n'a le droit d'intervenir, directement ou indirectement, pour quelque motif que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre Etat ».

Pour justifier leur action, les dirigeants russes avancent trois principales raisons :

-       l’intention de l’OTAN d’admettre l’Ukraine en son sein, ce que Moscou considère comme une ligne rouge et une menace existentielle ;

-       la politique hostile des dirigeants ukrainiens contre la population russophone vivant dans ce pays ;

-       la protection des populations russophones que Moscou considère qu’elles sont soumises à des “brimades et à un génocide” ;

-       la démilitarisation et la “dénazification” de l'Ukraine.

Au regard du Droit international, l’action militaire russe répond à la définition de l’agression contenue dans la résolution 3314 du 14 décembre 1974 de l'Assemblée générale de l’ONU, selon laquelle “L'agression est l'emploi de la force armée par un Etat contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un autre Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations unies”.

Les positions en présence

Depuis l'éclatement de l’ex-Union soviétique, la Russie n’a jamais caché son ambition de développer ses relations étroites avec son “étranger proche” et de maintenir la présence de l’OTAN à une distance suffisante de ses frontières nationales. Moscou estime avoir été poussée à bout, peu considérée quant à son statut de puissance et, à la limite, purement et simplement "humiliée"par l’Occident. Et malgré son action en Syrie, destinée à envoyer un message clair à l'Occident, l’OTAN ne semble pas, selon Moscou, avoir compris le message. A travers son action militaire à l'intérieur de l’Ukraine, la Russie semble avoir opté pour la manière forte et brutale pour signifier à Washington et à Bruxelles qu’un nouvel équilibre géostratégique est entrain de naître et la Fédération de Russie compte y jouer un rôle à la mesure de sa force et de son ambition.

 En réaction à ces développements, les Etats-Unis et les autres pays occidentaux ont condamné l’action militaire russe, prononcé des sanctions financières, économiques et diplomatiques à l'encontre de Moscou, fourni à l’Ukraine des armes défensives et de l’aide humanitaire et déployé des forces armées supplémentaires de l’OTAN. Il s'en est suivi une surenchère de mesures entre les deux camps, allant de l’exclusion de la Russie de l’ONU à la menace d'utilisation limitée d’armes nucléaires, le tout accompagné de campagnes médiatiques et de propagande dignes des années 60.

La paralysie du système de sécurité collective

Sur le plan de la diplomatie multilatérale, la session du Conseil de sécurité du 25 février 2022  et la session extraordinaire d’urgence de l'Assemblée générale du premier mars suivant ont  apporté une preuve éclatante de la paralysie du système de sécurité collective mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. 

Au niveau du Conseil de sécurité, le débat a été compliqué par deux facteurs: la responsabilité de la Russie, un membre permanent dudit Conseil, dans le déclenchement du conflit et l'accès de ce pays à la présidence tournante du Conseil durant le mois de février. Or, la Charte a attribué aux Cinq permanents des droits exorbitants dont le droit de Veto et une responsabilité particulière dans la préservation de la paix et de la sécurité internationales. Ils ont été investis de la mission de prévenir et d'éviter la guerre et non de la provoquer, sauf en cas de légitime défense véritable.

C’est la première fois depuis la seconde guerre d’Irak qu’un membre permanent du Conseil de sécurité se trouve directement engagé dans un conflit et son action jugée par ledit organe. Dans ces circonstances particulières, la question qui s’est posée  dès le déclenchement des hostilités et la saisine du Conseil, était de savoir si la Russie pouvait objectivement assumer la présidence du Conseil et s’il n'était pas judicieux pour ce pays de céder la présidence lorsque le Conseil aborde l’examen de la situation en Ukraine, comme l’a demandé le Représentant permanent de l’Ukraine lors de la séance de février.

Afin d'éviter qu’un membre du Conseil de sécurité puisse être dans une situation de juge et partie, l’article 20 du règlement provisoire du dudit Conseil énonce que “Si le Président du Conseil de sécurité estime que, pour s’acquitter comme il convient des devoirs de sa charge, il doit s’abstenir de diriger les débats lors de l’examen d’une question déterminée au regard de laquelle le membre qu’il représente se trouve dans une position particulière, il fait part de sa décision au Conseil. La présidence échoit alors, en ce qui concerne ledit examen, au représentant du membre suivant du Conseil de sécurité dans l’ordre alphabétique anglais, étant entendu que les dispositions du présent article seront applicables aux représentants au Conseil de sécurité successivement appelés à la présidence. Cet article n’affecte pas les fonctions de représentation qui incombent au Président conformément à l’article 19 ni les devoirs que lui prescrit l’article 7 du présent règlement”

Telle qu’elle est formulée, cette disposition n’impose pas un désistement automatique du Président du Conseil mais lui laisse toute latitude pour choisir entre se soumettre à cette règle ou l’ignorer. Pour le cas d'espèce, la Russie a insisté pour garder la présidence.

Pure coïncidence ou calcul prémonitoire, lors de la présentation de son programme de travail pour le mois de février,  la Russie y a inclus la tenue de deux débats de fond : une réunion d'information sur la situation en Ukraine pour marquer le septième anniversaire du "paquet de mesures pour la mise en œuvre des Accords de Minsk", également connu sous le nom d'accord de Minsk II, et l’organisation d’un débat sur les sanctions axé sur la prévention de leurs conséquences humanitaires et imprévues. 

En se maintenant à la présidence du Conseil, la délégation russe avait pour objectif de maîtriser le cours des débats pour éviter tout dérapage qui lui serait préjudiciable et de projeter son statut de puissance qui ne s’encombre pas des formalités pour défendre ses intérêts nationaux, sans s’encombrer des points de détail d’un Règlement intérieur, qui reste après tout à caractère provisoire, donc non contraignant. 

Les débats de la session ont donné lieu à des attaques, des accusations et des récriminations qui ont rappelé au monde les temps forts de la Guerre froide et donné raison aux détracteurs du multilatéralisme. Expliquant son opposition à la résolution américano-albanaise, la Russie a invité le Conseil à “ne pas ignorer les intérêts d’un de ses membres permanents”, en ajoutant que “le droit de veto n’est pas un privilège mais un instrument permettant de préserver des équilibres politiques”. 

Devant l'impossibilité de faire adopter, le 26 février, une résolution au Conseil, les pays occidentaux ont eu recours à la pratique établie en 1950 dans le cadre du conflit coréen, par la résolution 377 du 3 novembre de la même année, appelée “Unis pour la Paix” ou résolution Acheson, du nom du Secrétaire d’Etat américain dean Acheson d'alors. Selon cette pratique, lorsque le Conseil est bloqué par un vote négatif par un des 5 membres permanents le recours à l'Assemblée générale peut suivre l’un des deux scénarios suivants : une résolution du Conseil demandant une session urgente de l'Assemblée ou une auto-saisine par cette dernière.

En 2014, après l’annexion de la Crimée, le Conseil n’a pas adopté une résolution de renvoi et c’est l'Assemblée qui avait pris l’initiative de se saisir de la situation et a passé le 27 mars 2014 la résolution (A/Res /68/262), intitulée "Intégrité territoriale de l’Ukraine”, qui a reçu 100 votes  favorables,11 votes contre, 58 abstentions et 24 non- participations ou absences. 

En 2022, c’est le Conseil qui, au terme d’un vote de procédure auquel le véto ne s’applique pas, a décidé la tenue d’une session extraordinaire d’urgence de l'Assemblée générale, la première depuis 40 ans.

Après un long débat animé qui a duré deux jours, l’Assemblée générale a adopté, le 2 mars, la résolution intitulée « Agression contre l’Ukraine » par 141 voix, 5 contre (Biélorussie, Érythrée, Fédération de Russie, Syrie et République populaire démocratique de Corée), 35 abstentions (dont notamment l'Algérie, la RCA, la Chine, l’Iran, le Mali, le Pakistan, l’Afrique du Sud, le Sénégal, le Soudan..) et 12 non- participations ( dont l'Azerbaïdjan, le Burkina faso, le Cameroun, l’Ethiopie, la Guinée, le Maroc, le Togo, et le Venezuela …).

Le vote et le non-vote

Dans cette typologie des votes, on peut aisément constater que, mis à part les inconditionnels des deux camps unis, notamment par l’OTAN et l’Union européenne, et par la Communauté euro-asiatique, l’Organisation du Traité de sécurité collective ou l’Organisation de coopération de Shanghai, les pays dits non-alignés se sont prononcés selon la qualité de leurs relations avec les deux protagonistes, en tenant compte des intérêts économiques ou stratégiques qui les lient à l'une ou l’autre partie, de l'existence ou non d’une question qui engage leurs intérêts nationaux, à l'ordre du jour du Conseil ou de gains économiques que la guerre en Ukraine a fait émerger.

C'est ainsi, par exemple, que le Président Maduro du Venezuela a reçu, le 7 mars 2022, une délégation d'officiels de haut rang de l'administration Biden, venue négocier la levée des sanctions économiques imposées à son pays par l'ex-Président Trump en 2019 sur les exportations pétrolières, afin de contribuer à l’augmentation de l’offre internationale du pétrole et freiner la montée sans précédent du prix des hydrocarbures sur le marché international. Cette ouverture diplomatique des Etats-Unis enversun pays connu par sa proximité de Moscou explique la non-participation du Venezuela au vote à l'Assemblée générale. 

A propos de cette forme de non-vote, la pratique des Nations unies permet de distinguer la non-participation, synonyme d’absence physique fortuite ou voulue du représentant d’un Etat lors du vote d’une résolution et la non-participation, préméditée et assumée, qui se traduit par une présence physique du représentant et son abstention de voter. Afin de laisser trace de cette prise de position dans les annales de l’ONU et lever toute équivoque, certaines délégations insistent auprès de la présidence de la session pour que le Procès-verbal de la séance du vote mentionne le nom de leur pays comme non-participant. La présence physique du délégué qui doit voter s’explique par les trois raisons suivantes :

-       se prémunir de la tentation du représentant d’un autre Etat de voter frauduleusement au lieu et place de la délégation légitime ;

-       envoyer le message que la participation est une position pleinement assumée ;

-       lever toute ambiguïté entre cette position et celle d’une abstention.

Cette triple justification explique, d’ailleurs, la non-participation du Maroc. En effet, s’agissant d’un conflit qui met en jeu l'intégrité territoriale d’un Etat souverain et le non-recours à la force dans les relations internationales, pierres angulaires de la politique extérieure du Royaume, le Maroc ne pouvait, par réalisme, ni voter en faveur ni voter contre. En adoptant une position de non-alignement sur un conflit à portée géostratégique lourde et qui le dépasse mais qu’il déplore, le Maroc ne s’est pas non plus abstenu, de peur que cette position ne soit  interprétée comme l’expression d’une neutralité ou d’une indifférence vis-à-vis de ces mêmes principes. Dans le communiqué publié le même jour du vote par le ministère des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, on peut lire que “la non-participation du Maroc ne saurait faire l’objet d’aucune interprétation par rapport à sa position de principe concernant la situation entre la Fédération de Russie et l’Ukraine”, concernant le respect des trois principes précités et l’encouragement au dialogue et à la négociation.

Dans sa résolution, portée  par 90 co-auteurs représentant différentes régions, l'Assemblée “déplore dans les termes les plus énergiques l’agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine, demande le retrait « immédiatement, complètement et sans condition » des forces militaires russes du territoire ukrainien, revienne « immédiatement et sans condition » sur sa décision relative aux régions de Donetsk et de Louhansk et règle ses différends avec l’Ukraine par les moyens pacifiques.

Malgré son parrainage massif et son adoption à une écrasante majorité, la résolution de l'Assemblée n’est pas exécutoire et n’a qu’un impact politique et moral. Elle permet aux Etats-Unis et aux Européens de marquer un point sur le plan diplomatique mais elle ne contribue en rien au rapprochement entre les deux camps, encore moins à contribuer au règlement du conflit.

Le blocage par un membre permanent d’une décision salutaire pour la paix et la sécurité d’un Etat ou d’une région remet à l'ordre du jour la nécessité d’une réforme de cet organe et, dans l’attente d’une telle issue, la limitation des abus dans l’usage du droit de veto et sa régulation lorsqu’il s’agit d’un acte d’agression prémédité, préparé et exécuté à l’encontre d’un Etat souverain et indépendant.

Cette paralysie  amplifie la désaffection grandissante de l’opinion publique internationale envers l’organe principal auquel la Charte de 1945 a confié la mission de préserver la paix et la sécurité internationales et de protéger les faibles contre les puissants. Elle est d’autant plus grave et préoccupante qu’elle met le monde au bord d’une escalade militaire et même nucléaire inédite depuis la crise des missiles de Cuba d’octobre 1962. Elle a, enfin, balayé les illusions des teneurs de la primauté de la force du droit sur le droit de la force et nourri les doutes en la capacité du Conseil à protéger les faibles contre les puissants.

Et maintenant ?

Sur le terrain, et quelles que soient son endurance et sa force de frappe, la Russie ne peut pas rester longtemps en Ukraine au risque de subir une guerre d’usure et de porter un coup à son image comme puissance militaire et stratégique. Pour le moment, face à une Russie décidée à imposer ses conditions à l'Ukraine, l’Occident ne peut ni  abandonner ce pays  ni forcer la Russie à s’en retirer sans conditions. Les sanctions et les mesures d’appui militaire fournis par les Etats-Unis et l’Europe aux Ukrainiens ainsi que les recours à la Cour internationale de Justice (CIJ) et au Tribunal pénal international (TPI) ne peuvent pas changer la donne sur le terrain.

Dans l'incapacité avouée d’intervenir militairement contre la Russie ou de décréter une zone d’interdiction de l’espace ukrainien, les pays occidentaux se donnent  une conscience en s’investissant dans le domaine humanitaire, à travers l'aménagement des "fenêtres de silence” et des “couloirs humanitaires” pour évacuer les civils ukrainiens et étrangers et acheminer l’aide humanitaire d’urgence aux personnes déplacées à l'intérieur et à celles qui se sont réfugiées dans les pays voisins.

Au vu de la tournure tragique que prennent les événements, et la radicalisation de plus en plus marquée des positions des deux protagonistes et des alliés européens de Kiev, tout porte à croire que le Président Poutine maintiendra sa pression militaire sur les principales villes du pays et que le Président Zelensky continuera à résister avec les moyens limités dont il dispose.

La Russie ne peut pas occuper ou démembrer l’Ukraine, et ce dernier ne peut pas accepter l’annexion pure et simple d’une autre partie de son territoire. Par contre, des arrangements territoriaux sous forme d’autonomies élargies à géométrie variable pourraient être envisagés conformément à l’esprit des accords de Minsk de 2015. 

Ceci dit, la situation actuelle ne peut pas être dépassée sans l’intervention d’un médiateur qui jouit de la confiance des deux parties et qui peut leur permettre de sauver la face. Les candidats ne manquent pas et se sont déjà manifestés. Il s’agit, en particulier, de la Chine, de l’Inde, de l’Iran, d’Israël et de la Turquie.

Ce dernier pays, qui a réussi à organiser une rencontre des deux Ministres des Affaires étrangères le 10 mars à Antalya, possède, malgré sa qualité de membre de l’OTAN, plus de chances que les autres pour déployer ses bons offices et aider les deux parties à sortir de l’impasse. Cela n’exclut pas la possibilité d’une combinaison de médiations, chacune remplissant un rôle et une fonction spécifiques dans la facilitation du dialogue et l'atténuation des divergences. En effet, si Israël peut servir de canal influent de communication entre les Etats-Unis et la Russie, la Turquie, qui a fait preuve d’autonomie dans la conduite de sa politique extérieure vis-à-vis des Etats-Unis et de la Russie, partage avec cette dernière des intérêts économiques et stratégiques qui lui ont souvent permis de trouver des compromis dans la gestion de leurs relations complexes.

La Chine pourrait, elle aussi, tenter de jouer un rôle discret d’apaisement, eu égard à ses convergences diplomatiques avec la Russie, une carte qu’elle pourrait jouer dans la gestion de ses relations tendues avec Washington.    

La fin de cette guerre en Ukraine marquera sans nul doute le début d’une autre guerre froide entre les deux camps et obligera les autres pays, particulièrement ceux du Mouvement des non-alignés à prendre position. Elle incitera davantage l’Europe à hâter la mise en place d’une politique extérieure et de défense autonome, pour mieux défendre ses membres, présents et futurs.

Une autre conséquence de cette guerre pourrait être la relance de la course à l'arme nucléaire de la part de pays qui peuvent la considérer comme le seul moyen de se prémunir contre une épreuve similaire à celle que traverse aujourd’hui l’Ukraine.

L'Afrique, qui commençait à peine à entrevoir une sortie de la crise sanitaire de la COVID-19, subit de plein fouet les conséquences de ce conflit en termes de sécurité alimentaire et de crise énergétique qui fragilisent plus la situation dans le continent.

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*Mohamed Loulichki est Senior Fellow au Policy Center for the New South et Professeur Affilié à la Faculté de Gouvernance, des Sciences Economiques et Sociales de l'Université Polytechnique Mohammed VI (UM6P), qui se concentre sur la Diplomatie, la résolution des conflits et les droits de l'Homme. Il a une expérience étendue de 40 ans dans la diplomatie et les affaires juridiques. Il a assumé entre autres les fonctions de Chef du Département des Affaires Juridiques et des Traités au Ministère des Affaires Etrangères. Il a également été ambassadeur du Maroc en Hongrie, en Bosnie-Herzégovine et en Croatie (1995-1999), ambassadeur coordinateur du gouvernement marocain auprès de la MINURSO (1999 - 2001), ambassadeur du Maroc auprès des Nations unies à Genève (2006-2008) et à New York (2001-2003 et 2008-2014), ainsi que président du Conseil de sécurité (décembre 2012).

M. Loulichki a été nommé président du Comité contre le terrorisme du Conseil de sécurité (2013), président du groupe de travail sur les opérations de maintien de la paix (2012), vice-président du Conseil des droits de l'homme (2006), facilitateur de l'examen périodique universel dudit Conseil (2006 et 2010) et président du Comité national chargé du suivi des questions nucléaires (2003-2006).

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