La leçon sénégalaise – Par Naïm Kamal

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Un partisan dd Bassirou Diomaye Faye et le leader de l'opposition Ousmane Sonko célèbre la victoire de son candidat avec un drapeau sénégalais au siège de la coalition de Diomaye, le 24 mars 2024 après l’élection présidentielle sénégalaise. (Photo JOHN WESSELS / AFP)

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Par Naïm Kamal

Quand on compare le piteux spectacle que la « plus grande démocratie » a renvoyé en 2021 au monde au lendemain de la défaite aux Etats Unis de Donald Trump, à la soirée électorale sénégalaise du dimanche 24 mars 2024, le Sénégal émerge en modèle absolu de la souveraineté des urnes. Même s’il est vrai qu’au pays de Léopold Sédar Senghor, les affrontements ont précédé les élections.

Qu’à cela ne tienne. Dès lundi, le « candidat du système », le premier ministre Amadou Ba parrainé par le président sortant Macky Sall, reconnaissait sa défaite face à Bassirou Diomaye Faye. Il a été aussitôt suivi parle porte-parole du gouvernement et la quasi-totalité des autres candidats. M. Sall, qui a tout fait pour éviter au Sénégal une présidence du leader de l’opposition « antisystème » Ousmane Sonko ou de l’un de ses émules, s’est fait violence pour saluer le « bon déroulement du scrutin », etféliciter le vainqueur, ne manquant pas de préciser à juste titre que c’était « la victoire de la démocratie sénégalaise ».

Les assurances nuancées de M. Faye

Quelques mois auparavant, en mai 2023, on se demandait s’il ne fallait pas avoir peur pour le Sénégal.  Le bras de fer qui a opposé Macky Sall à Ousmane Sonko, chef de file du PASTEF, aujourd’hui dissout, avait donné lieu à des affrontements meurtriers entre les soutiens de l’opposant et les forces de l’ordre, faisant des dizaines de morts et de blessés, causant également beaucoup de dégât matériels dans la capitale Dakar. Pour déboucher sur la condamnation à la prison de M. Sonko et dans son sillage de celui qu’il y a moins de deux semaines a quitté sa cellule pour accéder au palais présidentiel, Bassirou Diomaye Faye.

Inutile de revenir sur ces trois dernières années qui ont failli emporter la démocratie sénégalaise. La raison de M. Sall a fini par prévaloir sur sa tentation d’un troisième mandat et sur l’envie d’un passage en force pour favoriser le « candidat » du système ».

Dans sa première prise de parole, le président élu a tenu à rassurer « la communauté internationale,[et les] partenaires bilatéraux et multilatéraux », affirmant « que le Sénégal tiendra toujours son rang, [et] restera le pays ami et l'allié sûr et fiable ». Mais il a pris soin tout de suite après d’assortir ses assurances d’une précision : cette amitié vaut surtout pour ceux qui s'engageront avec le Sénégal « dans une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive ».

Dans la bouche de M. Faye et dans un monde en profonde mutation et une région qui se cherche et exprime un fort ras-le-bol des comportements hautains des partenaires occidentaux et des rapports inégaux qu’ils ont installés dans leurs relations avec les pays du « Sud global », le propos de celui qui prendra la tête de son pays à partir du 2 avril prochain, est un signifiant qui porte un fort signifié.  

La « France est ses partenaires » aux aguets

Le nouveau président du Sénégal est déjà placé sous surveillance des occidentaux. Avant même qu’il n’entre en fonction, la France qui considère que « les termes de référence vont changer » sans savoir « jusqu’où », a envoyé au nouveau venu son message. Un diplomate identifié comme « occidental » a ainsi déclaré au journal français Le Monde, sous le sceau de l’anonymat : « nous jugerons, non en fonction des déclarations avant les élections, mais une fois en fonction ». Le journal parisien, lui, croit devoir préciser au cas où l’on ne comprendrait pas : « Paris et ses partenaires (sic) vont désormais guetter les premiers gestes du président ».

Les sensibilités idéologiques et politiques de M. Faye comme de M. Sonko dont il est l’alter ego, ne sont un mystère pour personne. Les deux hommes comme les électeurs qui les ont portés là où ils sont depuis dimanche, passent sommairement pour des « antisystème, des panafricanistes de gauche et des souverainistes» ce qui revient souvent à dire hostiles à la prédominance française au Sénégal. Mais ce qui vient de s’y passer est bien plus que ça. Le tandem Sonko-Faye est l’incarnation sénégalaise d’une lame de fond qui touche sous différentes formes et à différents degrés, beaucoup de pays du continent. Ils sont l’extension des bouleversements que connait un monde quêtant par monts et par vaux un nouvel ordre mondial.  

Une nouvelle génération de dirigeants

Les deux hommes sont désormais face au destin qu’ils réservent au Sénégal. Il dépend en grande partie de ce qu’ils en feront. Et d’abord de s’ils sauront, à l’épreuve du pouvoir, préserver le tandem harmonieux qu’ils forment ? Tout au long de la campagne électorale, un slogan a été répété plus que tout autre : « Sonko c’est Bassirou et Bassirou c’est Sonko ». Tout sera donc de savoir si cette affirmation tiendra et pour combien de temps. M. Sonko résistera-t-il à la tentation d’imposer à « son poulain » une tutelle paternaliste et M. Faye tiendra-t-il devant les vices cachés de l’exercice du pouvoir et de ses pièges, sachant que de leur cohésion dépend aussi celle de la coalition hétéroclite qui les a portés à la tête de l’Etat sénégalais ?

La tâche n’est pas mince. L’exploitation du gaz et du pétrole à partir de l’année en cours, aiguise les appétits intérieurs et extérieurs et accroit les risques multiples et divers de déstabilisation. C’est particulièrement sur ce terrain que ce nouveau pouvoir qui ne sort pas de la matrice habituelle des dirigeants du pays depuis l’indépendance, devra donner la mesure de sa compétence et de son habileté.

Comment cette nouvelle génération des élites sénégalaises s’en sortira, seul l’avenir est en mesure de nous l’apprendre. Mais il faut le dire. Au vu de son parcours, M. Sonko est un trublion et son tandem avec M. Faye est capable du meilleur comme du pire. Le Sénégal vient cependant de démontrer, malgré trois années de dures confrontations et de fortes turbulences, qu’il a en lui-même la force de vaincre ses démons et ceux qu’on essaye de lui greffer. Et s’il y a une leçon à retenir des épisodes tourmentés que le Sénégal a vécus, outre le salutaire respect des urnes, c’est bien cette capacité, plusieurs fois démontrée, de toujours retomber sur ses pieds. Pourvu que ça continue.

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