La politique européenne poussera-t-elle à l’exclusion de l’extrême droite allemande de la scène gouvernementale ?  - Par Bilal Al-Talidi  

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Le leader de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) allemande et principal candidat au poste de chancelier, Friedrich Merz (à gauche), se voit offrir un bouquet de fleurs par la trésorière fédérale de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) allemande, Julia Kloeckner, le 24 février 2025, au lendemain des élections fédérales allemandes.  (Photo INA FASSBENDER / AFP)

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Les élections fédérales allemandes confortent la dynamique plus large de la montée de l’extrême droite en Europe. Mais si le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) a progressé, un basculement généralisé vers l’extrême n’est pas encore acté. L’évolution principale réside dans la montée conjointe de la droite modérée (CDU/CSU), essentiellement aux dépens du gouvernement d’Olaf Scholz et du PSD qui paie ainsi sa politique ukrainienne et que les vainqueurs invitent,  pour l’instant, à un ‘’mariage de raison’’.

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Il existe une grande confusion autour de l’interprétation des résultats des élections fédérales allemandes. Certains veulent à tout prix attribuer à la progression du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AFD) dans ces élections une signification exagérée, lisant cet événement comme s’il représentait le chaînon manquant permettant de confirmer que l’Europe entière est désormais sous le contrôle de l’extrême droite. Cette lecture est renforcée par les résultats des partis d’extrême droite aux élections européennes, ainsi que par leur accession au pouvoir en Suède (2022), en Hongrie (2018), en Italie (2022) et en Autriche (2024), sans oublier la première place obtenue par le Rassemblement national en France lors du premier tour des élections législatives anticipées (2024).  

Les dégâts de l’Ukraine et de Trump sur le score du PSD

Les résultats indiquent que le bloc de l'Union chrétienne-démocrate (CDU/CSU) (centre-droit) est arrivé en tête avec 28,6 % des voix (208 sièges). Le parti d'extrême droite a obtenu environ 20,8 % des voix (152 sièges), tandis que le parti du chancelier allemand Olaf Scholz n'a recueilli que 16,4 % des voix (120 sièges).  

Comparés aux dernières élections fédérales allemandes de 2021, les résultats montrent que le bloc de centre-droit (CDU/CSU) commence à retrouver sa force d’antan, ayant réalisé une progression significative** par rapport aux élections de 2021, avec 11 sièges supplémentaires.  

En revanche, le parti Alternative für Deutschland (AfD, extrême droite) a enregistré une hausse spectaculaire de 69 sièges, tandis que la gauche dissidente (Die Linke), issue du parti de Scholz, a progressé de 25 sièges.  

Le grand perdant de ces élections est l’alliance au pouvoir, qui dirige actuellement le gouvernement :  Le Parti social-démocrate (SPD) d'Olaf Scholz a perdu 86 sièges, le parti des Verts a perdu 33 sièges et le Parti libéral-démocrate (FDP) a perdu tous ses sièges (91 sièges).  

Ainsi, avec la réduction du nombre de sièges au Bundestag de 736 à 630, la progression de la droite (modérée et extrême) ainsi que de la gauche dissidente avec un gain total de 104 sièges s'explique principalement par la redistribution des sièges du gouvernement en place.  

En résumé, ces résultats traduisent une sanction électorale contre la politique du chancelier allemand et de son alliance gouvernementale, reflétant une montée du mécontentement des électeurs à différents niveaux.

Les différents sondages d’opinion, qui analysent les facteurs influençant l’humeur de l’électorat allemand, mettent en avant, en premier lieu, l’économie et la protection sociale, puis, en second lieu, les questions migratoires, la sécurité et les politiques climatiques. Enfin, en troisième position, ils évoquent la politique européenne.  

En réalité, les instituts de sondage allemands adoptent une approche fragmentée pour comprendre l’humeur de l’électorat, en raison d’une considération procédurale liée aux préoccupations des électeurs et à ce qui affecte directement les citoyens allemands, influençant ainsi leur comportement électoral. Cependant, la réalité montre une forte corrélation entre ces trois facteurs. Il apparaît clairement que la raison immédiate de la défaite d’Olaf Scholz réside dans la position qu’il a adoptée vis-à-vis de la guerre russo-ukrainienne.  

Scholz ‘’cocufié’’ par les Etats Unis de Trump

Plutôt que d’exploiter la relation stratégique qu’Angela Merkel avait construite avec la Russie afin d’exercer une pression sur Moscou et Kiev pour mettre fin à la guerre et sortir du jeu américain qui maintient l’Europe sous dépendance sécuritaire au profit des seuls intérêts de Washington, Scholz a choisi de s’enfoncer dans le soutien à l’Ukraine, en appliquant la politique de Washington, y compris l’envoi d’armes lourdes à Kiev. Cette politique a finalement conduit à une détérioration de l’économie allemande et à l’effondrement d’une partie importante du pouvoir d’achat des Allemands.  

À la fin, les États-Unis sont entrés dans des négociations directes avec Moscou sans même en informer l’Europe. Washington a ensuite négocié avec Kiev l’exploitation des métaux précieux en échange des fonds fournis par les Américains. Puis pince sans rire, le président américain Donald Trump a déclaré que « C’est une excellente idée que l’Europe offre des garanties de sécurité à l’Ukraine. » 

Beaucoup d’électeurs mécontents de la politique d’Olaf Scholz ont suivi ces déclarations de Trump avant de voter. Ils ont ressenti une amère désillusion en voyant la situation se conclure de manière aussi douloureuse : le sacrifice du peuple allemand pour la *« sécurité de l’Europe » s’est transformé en un profit exclusivement américain, tandis que la sécurité européenne a été sacrifiée sur l’autel des métaux précieux dont Washington bénéficie. L’Europe se retrouve ainsi dans une position peu enviable : ni elle n’a obtenu un gain stratégique comme celui de Washington, ni elle n’a réussi à ramener la Russie à son état d’avant l’intervention militaire en Ukraine, ni elle n’a pu garantir que l’OTAN considère encore le contrôle russe sur la Crimée et les républiques de Louhansk et Donetsk comme une menace directe pour la sécurité européenne.  

L’oxymore allemand : Probable exclusion et potentielle intégration de l’extrême droite 

L’objection qui pourrait être soulevée à cette analyse concerne la politique européenne. Si l’économie, ainsi que les questions de sécurité, d’immigration et de climat, peuvent expliquer le partage des voix perdues par le Parti social-démocrate entre la droite et l’extrême droite, leurs visions respectives de la politique européenne sont pourtant diamétralement opposées.  

D’un côté, le bloc démocrate-chrétien (CDU/CSU) prône une Europe unie, avec un rôle central pour l’Allemagne, et insiste sur la nécessité pour l’Europe de renforcer ses capacités de défense et d’acquérir une autonomie sécuritaire vis-à-vis des États-Unis. Il envisage même une structure de défense alternative au sein ou en dehors de l’OTAN.  

De l’autre, le parti d’extrême droite, Alternative pour l’Allemagne, ne se contente pas de soutenir le point de vue russe, mais remet en question l’intérêt pour l’Allemagne de rester dans l’Union européenne. Son programme électoral affirme ouvertement sa volonté de quitter l’UE et l’euro, à l’image du Brexit du Royaume Uni. Il justifie cette position en affirmant que l’Allemagne a payé le prix fort économiquement, notamment à travers la gestion des migrations et de l’asile, et face à l’aggravation des menaces sécuritaires.  

Il est certain que les Allemands qui ont voté pour l’extrême droite ne l’ont pas fait tous parce qu’ils adhèrent à sa vision de la politique européenne. L’analyse géographique du vote pour Alternative pour l’Allemagne révèle que ce parti a principalement séduit l’est du pays, une région où de nombreux jeunes ont migré vers d’autres parties de l’Allemagne ou de l’Europe à la recherche de meilleures conditions de vie. Le parti a surtout attiré les suffrages des électeurs âgés, en exploitant les thèmes populistes et xénophobes liés à l’immigration, à l’asile, à la baisse du pouvoir d’achat et à la nostalgie d’une Allemagne glorieuse.  

C’est pourquoi, à mon avis, l’extrême droite restera en dehors de la carte politique et gouvernementale. Deux autres raisons confortent ce constat :  

D’une part, les défis actuels de l’Europe : L’appel de Donald Trump à Moscou pour un dialogue à Riyad, en excluant l’Europe, et ses tentatives de pression sur l’Ukraine pour qu’elle accepte un plan de paix favorisant exclusivement les intérêts américains, sans tenir compte des droits de l’Ukraine ni des préoccupations sécuritaires européennes, devraient pousser l’Union européenne à renforcer sa politique. Non seulement en tant que bloc économique, mais aussi en tant que force de défense autonome vis-à-vis des États-Unis.  

De l’autre, l’unité nécessaire au sein du futur gouvernement allemand : Toute division interne sur la politique européenne au sein de la prochaine coalition gouvernementale affaiblirait la position de Berlin et compromettrait la possibilité pour l’Europe de reprendre l’initiative. Un tel scénario empêcherait l’UE de proposer une alternative de négociation avec Moscou, fondée sur de meilleures conditions pour l’Ukraine, des garanties solides pour la sécurité européenne, et la limitation de l’influence américaine sur l’avenir de l’Union européenne.  

Aujourd’hui, en Allemagne, on parle du "coalition Kenya", qui désigne une alliance entre les partis dont les couleurs correspondent au drapeau du Kenya : le bloc de l’Union chrétienne-démocrate (CDU/CSU), le Parti social-démocrate (SPD) et le Parti des Verts.  

Cependant, en dehors des scénarios classiques, il ne faut pas exclure une possibilité inverse*: si l’Allemagne subissait une forte pression de l’administration de Donald Trump, on pourrait alors imaginer une coalition surprenante entre la droite modérée et l’extrême droite.  

Cela dit, le principe directeur de la politique européenne rend incompatible une telle alliance, car il est impossible de renforcer l’Europe tout en cherchant à en sortir.

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