La Tunisie, dans l’expectative

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Caricature paru dans WMCPortail

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Quid avec MAP

Tunis - Englué dans une impasse politique, des difficultés économiques et financières insoutenables et une tension sociale récurrente, la Tunisie vit dans une profonde expectative et de lancinantes incertitudes.

Le conflit russo-ukrainien est venu, au mauvais moment, aggraver davantage la situation du pays déjà fragile et accentuer les pressions et les tensions de tous bords.

La Tunisie est confrontée aussi à moult problèmes sur le plan politique dans la mesure où l'approche participative engagée sous forme de consultation nationale visant à donner l'opportunité à tous les citoyens de s'exprimer librement et en toute transparence à propos du redressement de la transition démocratique en Tunisie, ne semble pas avoir trouvé l'écho escompté auprès des Tunisiens.

Le doute qui s’installe

Expectative aussi d’un accord avec le Fonds Monétaire Internationale (FMI), qui tarde à se concrétiser, pour donner aux finances publiques une bouffée d’oxygène salvatrice, ainsi que d’un improbable consensus sur les réformes qui s’annoncent aussi douloureuses que coûteuses.

La consultation nationale électronique lancée le 15 janvier dernier, s’est terminée en queue de poisson avec seulement 508.000 participants, soit moins de 10 % du corps électoral (de 7,07 millions), selon les statistiques officielles.

Dans le contexte actuel, les Tunisiens sont plutôt préoccupés par l’érosion de leur pouvoir d’achat, les pénuries continuelles des produits de première nécessité, l’envolée des prix.

A bout de souffle, la majorité des Tunisiens commence à perdre confiance et à douter des résultats de la consultation et des étapes qui vont la suivre.

Il faut rappeler que les réponses issues de cette consultation doivent servir de base à des réformes politiques qui seront élaborées par une commission d'experts nommée par le président Kaïs Saïed.

Un référendum doit être ensuite organisé, en juillet, sur des amendements à la Constitution que le président Saïed veut rendre plus "présidentielle", avant de nouvelles législatives prévues mi-décembre.

Paradoxalement, à la faveur de la lenteur du processus, les détracteurs de ce projet ont repris du poil de la bête, leur voix a commencé à avoir un écho et à susciter une plus forte mobilisation notamment dans les rues.

Le mouvement Ennahdha, qu’on croyait agonisant et effrité, commence à reprendre des forces. Il en est de même pour d’autres formations politiques centristes, socio-démocrates, de la gauche et de certaines associations de la société civile.

Les organisations sociales, à l’instar de la puissante centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du Travail (UGTT) et l’organisation patronale, l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (UTICA) sont gagnées, à leur tour, par le doute.

Les mesures d’ordre économique et social annoncées ou promises ne les enthousiasment pas outre mesure.

Des langues qui se délient

A la faveur de la diabolisation des hommes d’affaires sous prétexte de lutte contre la spéculation et de la promulgation le 20 mars de trois décrets relatifs à la réconciliation pénale, les sociétés citoyennes et la lutte contre la spéculation, les langues se sont un peu déliées.

Le secrétaire général du Courant démocrate, Ghazi Chaouachi, met en garde contre la gravité de la situation que traverse la Tunisie, appelant le président à lancer un dialogue national en vue de parvenir à une feuille de route pour sauver le pays de l’effondrement.

Le mouvement Ennahdha (islamiste) partage le même point de vue, plaidant pour "des élections présidentielle et législatives anticipées".

"Nous sommes en pleine crise politique et nous devons avoir un dialogue politique qui sauvera le pays", affirme Yamina Zoghlami, membre d'Ennahda, disant craindre "un scénario libanais" pour la Tunisie très endettée et qui reste suspendu à la conclusion d’un autre programme avec le FMI.

Le secrétaire général de l’UGTT montre, quant à lui, au créneau, estimant qu’"ensemble, nous trouverons des solutions".

"La consultation nationale ne remplace pas le vrai dialogue", souligne-t-il.

Face à cette levée de boucliers, le chef de l’Etat a jeté du lest dans la soirée du 20 mars, en promettant d'associer à la prochaine échéance référendaire (25 juillet 2022) les différentes composantes du peuple et de prendre leurs avis et opinions sur le nouveau système politique.

Ce clin d’œil sera-t-il suffisant pour favoriser une accalmie dont le pays a drôlement besoin ?

Le FMI qui hésite

Il faut dire qu’à la paralysie politique que vit le pays vient s’ajouter une crise financière, qui se caractérise par l’incapacité des autorités à finaliser le budget 2022 sans un soutien du FMI.

En attendant un accord de plus en plus difficile à négocier, le pays s’est réveillé, le 18 mars, groggy à l’annonce par l’agence de notation Fitch Rating de la dégradation de la note de défaut émetteur à long terme en devises étrangères de B- à CCC.

Cette dégradation reflète les risques accrus de liquidité budgétaire et extérieure dans le contexte de nouveaux retards dans l'adoption d'un nouveau programme avec le FMI et des frictions persistantes avec les syndicats qui limitent la capacité du gouvernement à adopter des mesures d'assainissement budgétaire en phase avec les attentes du FMI.

Au regard de ces graves évolutions, les observateurs avertis minimisent les chances de la Tunisie de conclure de sitôt un programme de prêt avec le FMI et n’écartent pas le risque qu'encourt le pays de faire défaut sur sa dette.

Enfin, pour compléter le décor, le pays vit ces dernières semaines au rythme d’une grogne sociale. Hormis le choc provoqué par les pénuries, ce sont les grèves en série qui touchent de nombreux secteurs d’activité qui augurent d’un printemps agité et tendu qui l’éloigne d’un apaisement des tensions et des pressions qui ont mis à mal toutes ses capacités et ses potentialités.