Lumière sur l’ombre : l’Argentine ouvre les archives de sa dictature militaire (1976-83)  

5437685854_d630fceaff_b-

En 1978, au cœur d'une féroce dictature, l'Argentine organisait au milieu d'un mécontentement générale la Coupe du Monde. Ce qui ne l'a pas empêché de la remporter

1
Partager :

Près d’un demi-siècle après le coup d’État de 1976, le gouvernement argentin déclassifie les dossiers secrets de l’ex-SIDE. Un geste fort pour raviver la mémoire, exiger la vérité et tourner la page noire d’un régime responsable de plus de 30.000 disparitions forcées.

Buenos Aires - Le gouvernement argentin a décidé de « déclassifier » tous les dossiers des services d’intelligence relatifs à la dictature militaire qui a gouverné le pays entre 1976 et 1983.

L’annonce a été faite par le porte-parole de la Présidence, Manuel Adorni, à l’occasion de la commémoration ce lundi de la « journée de la mémoire », qui coïncide avec le 49è anniversaire du coup d’État militaire contre un gouvernement civil perpétré le 24 mars 1976.

Adorni a souligné que les archives en possession du secrétariat d’intelligence de l’État (SIDE) seront ainsi mises « au service de la mémoire ».

« Le gouvernement du président Milei a un engagement indéfectible en faveur des droits de l’homme, et raconter toute l’histoire est une tâche cruciale sur cette voie », a déclaré Manuel Adorni.

"Cela implique le transfert complet de ces dossiers du Secrétariat d’intelligence de l’État aux Archives générales de la nation", a-t-il ajouté.

« Pendant des décennies, les archives du SIDE sont restées dans l’ombre et seuls les gouvernements au pouvoir avaient accès à ces informations secrètes. Malgré des slogans creux sur leur engagement en faveur de la vérité, de la mémoire et de la justice, ces documents ont été utilisés comme butin de guerre, pour on ne sait quelles fins », a dénoncé le porte-parole présidentiel.

Ainsi, les archives du SIDE sur les actions des forces armées pendant la dernière dictature militaire « seront utilisées comme un vecteur de mémoire et non de manipulation politique », a-t-il promis.

Adorni a enfin mis en lumière que la décision du gouvernement argentin de déclassifier les archives du SIDE coïncide avec une décision similaire prise aux États-Unis concernant l’assassinat de JF Kennedy.

Au même moment, des marches sont organisées par plusieurs mouvements de gauche pour dénoncer les agissements de la dictature militaire.

Plus de 30.000 personnes auraient disparu durant cette période

Entre 1976 et 1983, l’Argentine a été plongée dans l’une des périodes les plus sombres de son histoire contemporaine sous la férule d’une dictature militaire implacable. Ce régime autoritaire s’est instauré le 24 mars 1976, lorsque les forces armées ont renversé la présidente Isabel Perón, mettant brutalement fin à une période déjà marquée par l’instabilité politique et sociale. La junte militaire, composée des commandants en chef des trois armes – armée de terre, marine et aviation –, a alors imposé ce qu’elle a appelé le Processus de réorganisation nationale, une doctrine politique et idéologique prétendant « rétablir l’ordre » en éradiquant la subversion.

Derrière ce vocabulaire technocratique se cachait une entreprise méthodique de répression. Sous la direction de généraux tels que Jorge Rafael Videla, Leopoldo Galtieri ou encore Reynaldo Bignone, le régime a suspendu les libertés fondamentales, dissous le Congrès, interdit les partis politiques, censuré les médias et instauré un climat de peur. La politique de sécurité nationale, calquée sur les doctrines de lutte contre l’ennemi intérieur, a permis la mise en œuvre d’un **terrorisme d’État** à grande échelle : arrestations arbitraires, détentions illégales, tortures, assassinats et disparitions forcées sont devenus des pratiques systématiques.

On estime que plus de 30.000 personnesont disparu pendant cette période, des militants politiques, des syndicalistes, des étudiants, mais aussi de simples citoyens accusés, souvent à tort, de sympathies gauchistes. Les **centres clandestins de détention**, disséminés dans tout le pays, ont été les lieux de ces atrocités. Des femmes enceintes y accouchaient avant que leurs bébés ne soient confiés illégalement à des familles proches du régime, une pratique qui, à elle seule, constitue un crime contre l’humanité.

À cette répression interne s’est ajoutée une tentative désespérée de rallier l’opinion publique à travers la guerre des Malouines (Guerra de las Malvinas), en 1982, contre le Royaume-Uni. Ce conflit, mal préparé et rapidement perdu, a accentué le discrédit du régime, provoquant une mobilisation sociale croissante.

En 1983, affaiblie, discréditée à l’international et confrontée à une grave crise économique, la dictature s’effondre. Le retour à la démocratie est marqué par l’élection de Raúl Alfonsín et l’ouverture des premiers procès contre les responsables militaires. La dictature militaire de 1976-1983 demeure un traumatisme collectif en Argentine, mais aussi un tournant décisif dans la consolidation de la mémoire, des droits humains et de la démocratie dans le pays.

lire aussi