Montée de l'extrême droite européenne : entre isolationnisme et pragmatisme – Par Hatim Betioui

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Le Premier ministre italien Giorgia Meloni,  devenu à l’épreuve du pouvoir le modèle de l’extrême droite fascisante ‘’fréquantable’’ (Photo par Tiziana FABI / AFP)

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Lundi dernier a été un jour dont se souviendra dans l'histoire contemporaine de l'Europe, car les gens se sont réveillés sous le choc des résultats avancés obtenus par l'extrême droite aux élections du Parlement européen.

Environ 51 % des plus de 360 millions d'électeurs se sont rendus aux urnes dans 27 pays européens pour élire 720 députés européens, ce qui a abouti à un parlement plus à droite que le précédent. En général, la droite, tant l'extrême que la modérée, a réalisé des percées qui en ont fait la force politique principale dans les principaux pays européens.

Des tensions plus fortes en perspective

Dès lors se sont imposées plusieurs questions : Quels sont les grands défis qui attendent le nouveau Parlement européen ? Comment sera sa relation avec la Commission européenne ? Et qu'en est-il de sa relation avec la région maghrébine, en particulier le Maroc ?

De tout temps, les relations entre le Parlement européen et la Commission européenne ont été marquées par une véritable confrontation. Par conséquent, il faut s’attendre à ce que cette confrontation s'intensifiera inévitablement après la domination de la droite, dans ses deux courants, au sein du conseil législatif européen, qui s'est toujours considéré comme légitime parce qu'issu des urnes, tandis que la Commission européenne est une institution de hauts fonctionnaires.

De nombreux groupes politiques au sein du Parlement européen critiquent ainsi la bureaucratie ou ce que la Commission, à travers ses commissaires et ses fonctionnaires, tente de faire, c'est-à-dire s'emparer du pouvoir en Europe sans tenir compte de la légitimité démocratique qui revient - avant tout - au Parlement européen.

Avec l'arrivée de l'extrême droite, qui ne croit pas en une Europe fédérale mais plutôt en une Europe des nations et des peuples, les fortes tensions en perspectives seront plus violentes avec la Commission européenne et sa présidente Ursula Von der Leyen, dont la reconduction est fort probable, ou, le cas échéant, son successeur, sachant que Von der Leyen appartient au Parti populaire européen, de droite modérée.

Cette confrontation est quasiment acquise  car l'extrême droite et la droite classique ont toujours été contre l'augmentation des compétences de la Commission au détriment des souverainetés nationales.

Cet aspect est très essentiel pour comprendre les équilibres politiques internes entre le Parlement européen élu et la Commission européenne, avec ses fonctionnaires nommés par les États, le conflit restant en fin de compte entre deux concepts : le premier concerne le concept d'une Europe fédérale défendu par la gauche et ceux qui croient en l'Europe, telle qu'elle a été créée et avec ses objectifs, notamment après le traité de Lisbonne ; et le deuxième concept défendu par les partis de droite qui refusent la dissolution des identités nationales et des peuples dans un cadre administratif dirigé par une Commission sans légitimité électorale.

Le traité de Lisbonne, qui est entré en vigueur en décembre 2009, a donné au Parlement européen une plus grande compétence pour légiférer, il n'est plus simplement un parlement consultatif, tandis que la Commission européenne a obtenu une plus grande compétence en matière de prise de décision, en ce sens que le traité a pris des compétences et des souverainetés des États et les a transférées à la Commission et au Parlement.

De son côté, le traité de Maastricht a marqué la première étape dans le processus de construction européenne, puisqu'il a été signé le 25 mars 1992 et est entré en vigueur le 1er novembre 1993. C'est ce traité qui a jeté les bases d'une structure solide pour l'Union européenne grâce à la monnaie unique européenne.

La leçon du Brexit

Dans l'analyse des résultats des élections européennes, il y a un point essentiel à ne pas négliger : le Brexit, opéré par la Grande-Bretagne. Il s’est révélé une leçon pour tous les pays qui avaient envisagé à un moment ou un autre de se retirer de l'Union européenne, particulièrement parce qu'ils ont vu les difficultés économiques rencontrées par la Grande-Bretagne suite à sa sortie de l’Union. Ils se sont retrouvés contraints de repenser la stratégie future que les partis de droite prônaient, en particulier le retrait de l'Union européenne et de la zone euro.

Malgré l'attachement à la philosophie défendue par la droite dominante sur la scène européenne, son pragmatisme l'a poussée à rester au sein de l'Union européenne et à s'accrocher à sa monnaie unique, car la sortie de tout pays de la zone euro et l'utilisation de sa propre monnaie nationale signifie le début du déclin.

L'arrivée de Giorgia Meloni, présidente du parti d'extrême droite "Frères d'Italie", au pouvoir en Italie, a clairement confirmé cette tendance à la modération des ardeurs des partisans de l’Exit : une fois à la tête du gouvernement, Mme Meloni est devenue "plus européenne que les vrais Européens", car elle a compris que l'approche sécuritaire ou la lutte contre l'immigration clandestine, par exemple, ne peuvent pas être menées par l'Italie seule. D'où la nécessité de travailler ensemble entre les pays européens.

Le Maroc vainqueur des européennes ?

Pour le Maroc, la victoire du camp de droite, dans ses deux versions, est un atout, car ce camp orientera les priorités de l'agenda du Parlement européen vers des questions qui s'alignent avec l'image et les intérêts du Maroc ainsi que son engagement envers l'Union européenne, telles que l'immigration, la sécurité, la défense et la protection des frontières. De plus, ces groupes de droite possèdent traditionnellement les plus grands groupes de soutien au Maroc, ce qui renforce ses marges de manœuvre, malgré certaines pressions sur des questions telles que l'immigration et l'intégration des émigrés.

Le succès du Parti populaire européen et son maintien en tant que principal regroupement politique au Parlement européen sont des facteurs positifs pour le Maroc, étant donné que ce groupe de droite a toujours été son principal soutien.

La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a prouvé au cours des cinq dernières années sa crédibilité et son soutien au Maroc. Par conséquent, sa présence à la tête de la Commission européenne lors de la prochaine phase sera également bénéfique pour le Maroc.

L'ascension du camp de droite constitue d’une certaine façon un acquis pour Rabat, car cette montée renforce les formations qui ont constamment montré leur proximité avec ses intérêts et leur rejet des thèses séparatistes hostiles à l'unité de son territoire.

Le recul de la gauche est également favorable pour le Maroc, car le centre de gravité du Parlement européen et ses priorités s'éloigneront des prétextes fallacieux et exagérés qui étaient auparavant utilisés pour attaquer le Maroc, tels que les droits de l'homme, la liberté d'expression et les libertés individuelles.

De plus, les échecs de l'extrême gauche en Espagne (Sumar et Podemos) et le faible résultat obtenu par les Verts (4 sièges) profitent également au Maroc, en réduisant le nombre de partisans du Front Polisario séparatiste.

La deuxième place remportée par le groupe socialiste, qui a toujours maintenu une position distincte mais généralement positive envers le Maroc, est également un facteur positif, tout comme la mauvaise performance des socialistes en Allemagne, considérés comme des soutiens traditionnels de la séparation, est un élément favorable notable.

Le recul des Verts, qui ont perdu 19 sièges, est également profitable au Maroc, étant donné leur soutien traditionnel aux séparatistes soutenus par l'Algérie et leur tendance à promouvoir des questions sensibles.

Vers une politique isolationniste accrue

Les problématiques qui domineront aujourd'hui les relations de l'Union européenne avec son environnement, notamment maghrébin et moyen-oriental, telles qu'évoquées précédemment, résident dans l'immigration clandestine et la lutte contre les réseaux criminels organisés transcontinentaux, sans oublier les problèmes économiques liés à l'importation de produits agricoles en provenance de pays où les coûts de production et les salaires sont bas, avec une faible protection sociale, ce qui fausse les règles de la concurrence loyale pour les secteurs agricole et industriel, ainsi que dans d'autres domaines en Europe.

Par conséquent, beaucoup pensent que le nouveau Parlement européen sera plus extrême dans son approche du protectionnisme douanier, tout comme il sera plus extrême dans la réglementation de l'immigration, que ce soit par le contrôle de l'octroi des visas ou la révision des lois régissant l'espace Schengen.

Cela signifie que l'Europe se dirige vers un isolement accru et une plus grande méfiance envers la concurrence extérieure des pays.

Malgré cette tendance de l'Europe vers la droite et l'isolement, elle s'efforce d'adopter des positions pragmatiques. Par exemple, les questions des droits de l'homme et de l'environnement ne figurent pas parmi les priorités de la droite européenne. Par conséquent, les partis d'extrême droite, qui ont appelé lors de leurs campagnes électorales à quitter l'Union européenne, n'ont d'autre choix que d'être plus réalistes et pragmatiques. Le discours de l'opposition ne coïncide souvent pas avec la réalité de l'exercice du pouvoir.

D’après Annahar al-arabi, traduit de l’arabe adapté par Quid.ma