Sénégal: enjeux et controverses autour du projet de loi d'amnistie

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Des partisans de l'opposition chantent lors d'une manifestation à Dakar le 24 février 2024. (Photo par JOHN WESSELS / AFP)

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Le président sénégalais Macky Sall a annoncé lundi un projet de loi d'amnistie concernant les faits se rapportant aux manifestations politiques entre 2021 et 2024, en pleine crise autour du report de la présidentielle.

Cette décision, prise dans un "esprit de réconciliation" selon le chef de l'Etat, a aussitôt fait l'objet de critiques virulentes de son bord et dans l'opposition. Pourquoi cette loi est-elle controversée ? Quelles pourraient être ses conséquences ?

Que recouvre le projet de loi d'amnistie ?

Les contours du projet qui doit être présenté mercredi en conseil des ministres, sont encore flous mais le chef de l'Etat en a donné les lignes directrices.

Il concerne "les faits se rapportant aux manifestations politiques survenues entre 2021 et 2024" qui ont donné lieu à des centaines d'arrestations d'opposants, fait des dizaines de morts et provoqué d'importantes dégradations matérielles comme le saccage de l'université de Dakar.

Avec cette loi qui devra être votée par l'Assemblée nationale, "tous les faits relatifs à ces événements sont effacés et sont considérés comme n'ayant jamais existé", explique à l'AFP le constitutionnaliste Babacar Gueye, soulignant qu'"elle absout aussi bien les forces de sécurité que les manifestants".

Elle se distingue de la grâce qui ne peut être accordée nominativement par le président qu'à la fin du processus judiciaire.

Selon Moussa Sarr, un avocat qui suit les dossiers de plusieurs dizaines d'opposants emprisonnés, "toutes les personnes arrêtées dans le cadre des manifestations seront libérées immédiatement", dès que la loi sera promulguée et publiée au journal officiel, et les poursuites seront abandonnées.

Parmi les concernés figure l'un des principaux opposants au régime, Ousmane Sonko, détenu depuis fin juillet pour "appel à l'insurrection", privé de présidentielle après l'invalidation de sa candidature, ainsi que celui à qui il a apporté son soutien pour l'élection, Bassirou Diomaye Faye, détenu depuis avril 2023.

Pourquoi le président Sall a pris cette décision ?

Il invoque un processus de réconciliation pour des élections "apaisées". "L'amnistie et le pardon, par leurs vertus salutaires pour la Nation, nous aident à surmonter ces moments difficiles, afin que notre pays se réconcilie avec lui-même", a-t-il déclaré lundi.

Mais des analystes évoquent des raisons politiques.

"Le président Sall ne nous a pas habitués à autant de magnanimité. La grande question est qu'a-t-il reçu en retour ?", s'interroge Sidy Diop, directeur adjoint des rédactions du quotidien le Soleil.

Deux personnalités de la société civile, Alioune Tine et Pierre Goudiaby Atepa, ont été citées dans les médias comme ayant joué les intermédiaires entre la présidence et le camp de M. Sonko, ce que ni Macky Sall, ni l'opposant n'ont démenti.

Sidy Diop évoque auprès de l'AFP l'objectif "de diviser le parti dissous Pastef et de le faire passer aux yeux de l'opinion comme un parti comme un autre", alors que la formation politique d'Ousmane Sonko s'est singularisée depuis sa création par sa radicalité et son absence de collusion avec le pouvoir.

Par ailleurs, souligne-t-il, le président veut protéger les forces de défense et de sécurité impliquées dans la mort de dizaines d'individus et les blessures de centaines d'autres, ainsi que leurs responsables, notamment le ministre de l'Intérieur et lui-même.

Pourquoi ce projet de loi soulève-t-il des oppositions ?

La proposition d'amnistie a soulevé dans l'opposition une levée de boucliers.

"Une société ne se reconstruit pas sur la légalisation de l'impunité. Les tragédies humaines ne s'oublient pas", a déclaré vendredi la coalition du candidat Bassirou Diomaye Faye. L'un de ses porte-parole, El Malick Ndiaye, a ensuite précisé le rejet de toute amnistie.

Selon un autre candidat à la présidentielle, Thierno Alassane Sall, "Macky Sall et son équipe (...) sont hantés par la perspective de devoir répondre de leurs actes, car le peuple ne pardonnera jamais".

Seydi Gassama, directeur exécutif d'Amnesty International au Sénégal, s'est élevé auprès de l'AFP contre une loi qui "constitue un déni de justice" et "vise à assurer l'impunité aux responsables de la mort de dizaines de Sénégalais".

Il estime que le président a les moyens de relâcher les détenus sans avoir recours à l'amnistie, en témoignent les centaines d'opposants remis en liberté provisoire depuis une dizaine de jours.

Le projet de loi ne fait pas non plus l'unanimité dans le camp du président.

Le ministre du Travail Samba Sy s'y est opposé lundi. "Notre parti ne peut accepter que l'université ait été brûlée en chantant, que deux jeunes filles aient été consumées dans un bus, qu'on s'en prenne à des instruments de fourniture d'eau et d'électricité, à des casernes de gendarmerie", a-t-il déclaré.(AFP)

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