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TRUMP FACE AU DROIT : CANADA , CANAL DE PANAMA, GROELAND - Par Mustapha SEHIMI
Le président élu Donald Trump remercie les Village People après leur prestation lors d'un rassemblement de victoire MAGA au Capital One Arena à Washington, DC, le 19 janvier 2025, un jour avant sa cérémonie d'investiture. (Photo par Jim WATSON / AFP)
America First - Avant son investiture, ce lundi 20 janvier 2025, le président Donald Trump a tenu des propos volontairement et habituellement provocateurs concernant l'annexion du Canada - "le 51 Etat"- ainsi que du Canal de Panama et du Groenland. Une menace expansionniste à forte teneur politique et stratégique.
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Pour ce qui est du Canada qui partage avec son voisin yankee quelque 8.900 kms, voilà bien une crise majeure couplée à une autre interne, avec l'instabilité engendrée par la démission du Premier ministre, Justin Trudeau, à la tête de l'exécutif depuis dix ans. Son père, Pierre Elliott Trudeau, alors Premier ministre, avait remarqué à l'occasion de sa visite à l'ancien président américain Richard Nixon, qu' "être voisin, c'est un peu comme dormir avec un éléphant : même si la bête est amicale et placide, (...), on subit chacun de ses mouvements et de ses grognements". La dépendance économique d'Ottawa est grande : 78 % des exportations à destination de son voisin.
"America First"
En ciblant le Canada, Trump a structuré son discours autour de trois sujets : la volonté d'imposer des droits de douane au Canada, une potentielle annexion, et la question plus large de la frontière entre les deux pays.
La première source de crispation est celle des droits de douane à hauteur de 25 % sur les produits canadiens - et mexicains - importés aux Etats -Unis. C'est là le signe de la politique "America First" mettant en avant en premier lieu les intérêts américains. Voici quelques semaines, Donald Trump critiqué, certains parmi les alliés des Etats-Unis qui profitent de ces derniers et contribuent ainsi à une relation fortement déséquilibrée par suite du déficit commercial avec eux.
A voir les chiffres de près, le tableau n'est pas aussi sombre : tant s'en faut. Ainsi, en 2023, ces deux pays partagent la plus importante relation commerciale au monde avec des échanges de 923 milliards de dollars - 441 milliards de dollars d'exportations US et 482 milliards d'importations. De plus, l'interdépendance englobe de nombreux secteurs et les deux pays sont donc davantage des partenaires que des concurrents.
Canada : une frontière passoire
De surcroit, dans ce contexte, les droits de douane seraient tout aussi délétères pour l'économie américaine que pour l'économie canadienne. Quant à la référence au Canada comme le possible 51ème Etat américain, elle a fait un retour chronique durant le mois précédent. Un retour historique montre que cette question de l'annexion est loin d'être un détail ; pendant plus d'un siècle, les velléités annexionnistes de Washington ont façonné les relations bilatérales, le Canada vivant avec "ce spectre de l'annexion !"...
En tout état de cause, cette hypothèse se confronterait à des obstacles juridiques majeurs : comment un Etat qui n'est pas unitaire mais fédéral avec dix provinces et trois territoires pourrait devenir un Etat américain fédéré unique ?
Le renforcement de la sécurité frontalière est le troisième point de crispation bilatérale. La question des flux migratoires irrégulier traversant la frontière Canada / États-Unis nourrit également la rhétorique Trump. En 2023, près de 40.000 migrants ont ainsi demandé l'asile. D'où la mise en cause de la frontière commune comme une "passoire" qui menace " la sécurité des États-Unis". L'on voit ainsi un basculement en faveur de représentations de la frontière septentrionale des Etats-Unis comme une potentielle menace. Depuis 2016, c'était la frontière Mexique/ Etats-Unis qui était dans le viseur de Donald Trump. Il voit là un nouveau bouc émissaire sur lequel capitaliser dans son entreprise de sécurisation du territoire national mais également dans ses négociations avec le grand voisin du Nord.
Dans ce même registre, il vaut de relever les velléités du président Trump de reprendre le contrôle du canal de Panama et d'annexer le Groenland. Sauf à préciser que pour parvenir à ses fins, le président élu n'a pas exclu de recourir à la force. Il a expliqué que ce sont des espaces " très importants pour la sécurité économique des Etats -Unis". Le premier est une voie de passage maritime cruciale pour le commerce international ; le second lui, regorge de ressources naturelles et a une importance géostratégique considérable. Ce sont, du reste, deux espaces sur lesquels les Etats-Unis ont pu exercer certaines compétences par le passé. Ainsi, c'est à la fin 1999 que Washington a finalement rétrocédé la gestion du canal en application de deux traités bilatéraux conclus en 1977. Un abandon qui pour Donald Trump fut une "terrible erreur...".
Pour ce qui est du Groenland, bien qu'il fasse partie du continent américain, les Etats-Unis déclarèrent, le 4 août 1916, qu’ils n'avaient pas d'objection à ce que le Danemark étende ses intérêts politiques et économiques à l'ensemble de ce territoire. En 1951, un accord de défense avec le Danemark leur a néanmoins permis de conserver la base de Thulé. Le statut du canal de Panama aujourd’hui est dépourvu de la moindre ambiguïté. Depuis le 1er janvier 2000, le canal relève de la souveraineté du Panama. Il n'y a qu'une seule limite qui s'impose : celle de la garantie du transit pacifique des navires - y compris militaires - de tous les Etats.
La gestion du canal est mesures exercée par une agence du gouvernement panaméen.
Quant au statut du Groenland, il a connu plusieurs évolutions et il pourrait en avoir d'autres à l'avenir. Il a été longtemps une colonie danoise avant de devenir une province de ce pays en 1953. En 1979, il a obtenu le statut de territoire autonome. En 1985, il s'est retiré des Communautés européennes ; (CE) ; il relève aujourd'hui de la catégorie des pays et territoires d'Outre-mer (PFOM); ses relations avec l'UE sont encadrées par un protocole particulier. En 2009, une nouvelle étape fut franchie avec la reconnaissance à sa population du statut de "peuple" et du "droit à l'autodétermination". En 2023, une commission gouvernementale a publié un projet de Constitution avec un Groenland indépendant. Une question qui sera sans doute au cœur des débats lors des prochaines élections locales le 6 avril 2025.
Improbable cession territoriale
Au regard du droit international et depuis la Charte des Nations Unies de 1945, toute acquisition territoriale par la contrainte armée est contraire à ce droit. A l‘instar de la Russie en Ukraine, rien ne permet ni ne fonde l'emploi du recours à la force pour s'emparer tant du canal de Panama que du Goéland. Cette interdiction du recours à la force n'empêche pas cependant des transferts pacifiques de territoire : tel est le cas de la vente de l'Alaska aux Etats-Unis en 1867 ou encore de la cession territoriale provisoire comme le bail utilisé par Washington pour Guantanamo (Cuba). En l'espèce, il est fortement improbable qu'une cession territoriale - provisoire ou définitive - survienne. Reste à voir si les déclarations tonitruantes de Donald Trump redevenu Président et rodé à la négociation entend réellement en venir aux actes...