Washington incite Alger à rallier le camp occidental, quel en est le prix ? - Par Taieb Dekkar

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Le général algérie Saïd Chanegriha recevant, en juillet 2024, le commandant du Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (AFRICOM), le Général Michael Langley

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Le 22 février 225, Le général algérien Saïd Chengriha, ministre délégué auprès du ministre de la Défense et chef d’état-major, a reçu le général Michael Langley, commandant de l’AFRICOM. Il n’en fallait pas plus pour que les dessous de leurs échanges suscitent des espoirs en Algérie et des spéculations ailleurs. Mais on oublie que ce n’est pas la première fois que les deux officiers se rencontrent. Ils se sont déjà « croisé » en juillet 2024, toujours à Alger, lors d’une autre rencontre qui avait une tonalité préparatoire de cette dernière visite de l’Américain. Analyse.          

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Les Etats unis aimeraient obtenir le ralliement de l’Algérie au camp occidental et l’arracher à l’influence de la Russie, à laquelle Alger est lié depuis son indépendance, lui achetant son armement et assurant la formation de ses militaires dans ses écoles militaires. La dépendance l’armée algérienne de sa consœur va jusqu’à l’uniforme de ses soldats calquée sur celui de leurs homologues Russes. Si bien que lors de sa visite d’Etat à Moscou en 2023, le président algérien Abdelmadjid Tebboune s’était lancé devant le président russe Vladimir Poutine, dans une diatribe effrénée contre les pays occidentaux, poussant l’emphase jusqu’à dire que la souveraineté de son pays et de son indépendance dépendaient de la Grande Russie.

Mais Moscou a vraisemblablement déçu les oligarques algériens, par la souplesse et la flexibilité diplomatique à l’égard de leur ennemi juré, le Maroc, de même que ses interventions au Sahel, à travers le groupe militaire Wagner, les ont grandement indisposés. L’Algérie n’es pas en effet sans se sentir pour le moins gênée par cette intrusion, sans concertation et sans coordination, à ses frontières sud, dans des pays voisins où elle déploie, depuis plusieurs années, une stratégie hybride et douteuse mêlant de terrorisme et lutte contre les terroristes. 

Le coût pour Alger

L’on peut comprendre dès lors que des deux côtés, américain et algérien, l’on commence dans ce contexte, à se faire du pied et à s’échanger des mots doux.  Mais tout est de savoir les limites et la durée de ce flirt. 

Le Maroc est quant à lui un allié stratégique et fiable des Etats unis et du camp occidental. Il a été admis au sein de l’OTAN comme un « allié majeur » hors OTAN. 

Reste à savoir que si l’Algérie décide d’acheter son armement ou une partie de son armement auprès des Etats unis - et c’est bien sa volonté apparemment- et des pays occidentaux, pourrait-elle le faire sans suspendre brutalement ses commandes auprès de Moscou ? 

C’est dire que la transition sera longue et nécessitera plusieurs années pour la remise à niveau de son armée (formation, doctrine etc). 

Sans oublier que les achats de son armement auprès des Etats unis ne sont pas automatiquement agréés à Washington et devraient transiter par toute une longue procédure, notamment l’aval du congrès, sur la base d’une évaluation très complexe de l’adhésion d’Alger à certains paramètres politiques, juridiques et stratégiques. Il lui faudra notamment et globalement faire sienne les idéaux défendus par les Etats unis dans le monde. 

Le refus du représentant de l’Algérie au Conseil de sécurité de prononcer le mot Israël, en donnant la parole au représentant de l’Etat hébreu, est un détail sans doute surmontable. Il n’en constitue pas moins une des pistes d’évaluation de l’adhésion de l’Algérie aux idéaux américains. 

C’est dire encore une fois que si Alger décide de faire un bout de chemin avec ‘’l’impérialisme américain’’, il lui faudra en payer le prix et pas seulement en dollars. Il devra opérer une mue au moins égale à celle de l’égyptien Anouar Sadat lorsqu’il a décidé d’aller discourir devant la Knesset israélienne et de signer par la suite les accords du Camp David. Le régime algérien et ses oligarques n’en connaissent que trop le prix : Le reniement de plus de soixante ans de fanfaronnade idéologique sur laquelle il a fondé sa légitimité. 

Le Maroc un allié traditionnel et… stratégique 

Les Etats unis aimeraient tout naturellement élargir la sphère de leurs alliés en Afrique du nord, en supplantant la Russie qui conçoit l’Algérie en substitut méditerranéen à sa présence en Syrie remise en cause par la chute du régime des Assad. Toutefois, l’accueil de l’Algérie s’opérera progressivement et sans préjudice aux alliances historiques et traditionnelles des Etats unis. 

Le Maroc n’est pas seulement un allié traditionnel et historique du « monde libre » depuis son avènement avec les débuts de la guerre froide. Il partage un certain nombre de valeurs occidentales et a été le premier au monde à reconnaitre les Etats unis d’Amérique, suivi bien évidemment par le Dey d’Alger, qui représentait l’empire Ottoman, l’Algérie étant à l’époque sous occupation Ottomane. Il est aussi et surtout un allié stratégique.

Le monde et particulièrement la région MENA (Moyen Orient Afrique du Nord) sont travaillés par des transformations profondes dont nul ne peut vraiment prédire l’issue. De telle manière qu’au niveau micro qui est le nôtre, ce qu’il faut retenir c’est ce que les homologues aux Affaires étrangères marocain et américain se sont dit lors de leur récent entretien. Si l’on ne sait pas ce que M. Bourita a dit au secrétaire d’Etat américain Marco Rubio, on sait en revanche, grâce au communiqué du Département d’Etat, que ce dernier a fait part au représentant de Rabat « de la volonté de son pays d’intensifier la coopération avec le Maroc pour faire progresser les intérêts communs dans la région et mettre fin aux conflits, notamment dans le cadre des Accords d’Abraham ». C’est en conséquence devant ce choix cornélien que l’Algérie se trouve.