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Alger à la croisée des chemins - Par Bilal El Talidi
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune. - Face aux évolutions que connait le monde, l’Algérie saura-t-elle cette fois-ci poser les bonnes questions pour leur trouver les bonnes réponses ?
Paris a clarifié sa position sur la question du Sahara et a choisi un moment symbolique (le 25e anniversaire de la Fête du Trône). Elle a annoncé, en termes très significatifs, son soutien à la proposition marocaine d'autonomie dans le cadre de la souveraineté marocaine sur le Sahara, mettant ainsi fin à de nombreuses discussions sur les perspectives de la politique d'équilibre française entre le Maroc et l'Algérie, et a clos des mois de stagnation et de tension entre le Maroc et la France.
La position française, telle qu'elle a été construite au fil du temps, a commencé par la fin du recroquevillement, l'engagement à développer progressivement une position moins nuancée sur le Sahara, puis l'annonce d'importants investissements français dans ces provinces. Le but était entre autres d'obtenir une certaine compréhension d’Alger pour éviter une tension inutile. C'est pourquoi Paris a tenu la partie algérienne informée de l'évolution de la position française depuis juin dernier, comme l'a reconnu le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf. Le président français Emmanuel Macron a informé le président Tebboune de la position de Paris sur le Sahara alors qu'il se rendait à Bari, en Italie, pour participer au sommet du G7.
Rabat opte pour la sérénité
Beaucoup s’interrogent sur l'impact de ce changement sur le processus de résolution du conflit du Sahara, se demandant s’il est susceptible de mener à une résolution finale. Cependant, la question la plus importante touche à la croisée des chemins dans lequel se trouve l'Algérie.
Sans surprise et contrairement aux coutumes diplomatiques, l'Algérie a choisi de publier une déclaration de protestation anticipée contre la position française avant même que Paris ne l'annonce officiellement. Elle a choisi à dessein de le faire à quelques jours avant la Fête du Trône, ainsi que du changement de la position française. Pour toute réponse à cette déclaration, pourtant injurieuse, Rabat a gardé sa sérénité, ne révélant rien de nouveau concernant la position française jusqu'à ce qu’à la réception par le roi de la lettre du président français Emmanuel Macron et ne voulant voir dans cette « cette évolution significative » que la victoire de la vérité historique.
Le ministre algérien des Affaires étrangères, lui, a commenté le changement de position française lors d'une conférence de presse et a formulé quatre observations, qui se résument en réalité à une seule : "La nouvelle position de Paris ne sert pas le processus de résolution et ne change pas le statut juridique de la question". L'Algérie a choisi de répondre en réduisant la représentation diplomatique (le retrait de l'ambassadeur n'est pas un rappel pour consultation) et a menacé Paris des conséquences de sa décision !
Le revers
En réalité, il existe une différence de fond entre les discours de Paris et d'Alger. La lettre de Macron affirme que le plan d'autonomie dans le cadre de la souveraineté marocaine "constitue désormais la seule base pour parvenir à une solution politique juste, durable et négociée conformément aux résolutions du Conseil de sécurité". Tandis que l'Algérie continu s’obstine à s'accrocher à sa thèse traditionnelle selon laquelle le Sahara est une question de "décolonisation".
Ce serait faire l’autruche que de ne pas voir dans cette évolution un revers pour la diplomatie algérienne, de nature à compromettre ses acquis réalisés depuis la visite du président français Emmanuel Macron en Algérie en août 2022, et à rendre incertaine la visite prévue du président algérien à Paris.
Au vu de l’évolution du dossier du Sahara à ’international, des analystes lient la résolution finale de la question du Sahara à la nature des relations maroco-russes et russo-algériennes Mais au fond, l'important aujourd'hui n'est pas seulement de se concentrer sur ce dernier obstacle à franchir par le Maroc pour régler la question du Sahara, mais d'examiner le peu de marge de manœuvre de l'Algérie, et ses conséquences.
Le temps des révisions
L'Algérie n’a pas réussi dans sa tentative de pression sur l'Espagne pour qu'elle change de position. Son investissement massif, en désespoir de cause, pour faire tomber le gouvernement de Pedro Sánchez n’a pas abouti, et ne pouvait aboutir, ce qui a condamné Alger à revoir les termes de sa politique à l’égard de Madrid. Avec Paris, elle est en train de récolter les fruits d'une politique immature, marquée par beaucoup de bravades depuis la visite du président français en Algérie, qui a fini par aboutir à un amour contrarié. Elle fait également face à de sérieux défis sécuritaires au sud (région du Sahel au sud du Sahara), après y avoir perdu beaucoup de ses atouts, sans oublier le ralliement des pays du Sahel voisins à l'initiative atlantique. Alger n’a guère plus de succès avec son voisin de l’est aux prises avec une crise économique et politique aigue, la Tunisie étant de surcroit sous la menace potentielle d'un effondrement sécuritaire. Et en Libye comme au Mali, Alger se heurte à un rejet de ses tentatives d’influer sur leur réorganisation politique interne.
Avec Moscou, l'Algérie tient à se présenter comme un allié stratégique, mais les deux dernières années ont beaucoup changé la donne dans les relations russo-algériennes, non pas à cause de Moscou, mais à cause des déterminants de la position algérienne. La relation avec Moscou est devenue très complexe, subordonnée à plusieurs fondements contradictoires : l'alliance stratégique avec la Russie (l'Algérie a acheté 73 % de ses armes à Moscou entre 2018 et 2022), en même temps sa revendication de la "neutralité et le non-alignement" dans la gestion de ses intérêts internationaux et régionaux (relations avec l'Europe et les États-Unis), et les intérêts économiques vitaux algériens (exportation des sources d'énergie). Cette orientation, pourtant légitime mais chaotiquement menée, a fini par brouiller le message d’inconditionnalité et de loyauté délivré par le président Tebboune devant son homologue russe Vladimir Poutine, souvent en termes excessifs, lors de sa visite en Russie en juin 2023.
Il en a résulté de nombreuses déconvenues dont celle-ci : Moscou n'a apporté aucun soutien à l'Algérie pour obtenir la qualité de membre des BRICS, bien que le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, ait accueilli favorablement l'adhésion de l'Algérie au groupe lors de la présentation de sa demande en novembre 2022, Moscou n’ayant pas beaucoup apprécié la position de l'Algérie sur la guerre russo-ukrainienne en deçà de ses attentes, limitée à l'abstention, alors que les autres alliés traditionnels de Moscou ont choisi de s’y opposer l'opposition. Par ailleurs, l'Algérie a été sensible à la pression américaine et européenne pour réduire ses achats d'armes russes, après que la commission du renseignement américain au Sénat ait demandé en septembre 2022 au secrétaire d'État américain d'imposer des sanctions à l'Algérie pour l'achat d'armes d'une valeur de 7 milliards de dollars en 2021. Sans oublier que dix-sept membres du Parlement européen ont adressé en novembre 2022 une lettre à la présidente de la Commission européenne pour revoir l'accord de partenariat entre l'Union européenne et l'Algérie signé en 2005, sachant que ces pressions ont contraint l'Algérie à annuler l'exercice militaire "Bouclier du désert" qui était prévu avec la Russie entre le 16 et le 28 novembre 2022, sans oublier que. Par ailleurs a refusé à plusieurs reprises les demandes russes d'utiliser la base navale de Mers El Kebir.
Sans doute, on pourrait croire, comme le suggère certains, que le changement de position de la France ne signifie pas grand-chose pour la question du Sahara et que la Russie, alliée stratégique de l'Algérie, pourrait y faire obstacle. Si tel était le cas, Alger n’aurait pas eu la réaction intempestive qu’elle a eue, outre que cette perception fait mine d’oublier que la France est membre du Conseil de sécurité de l’ONU, de l’OTAN et tout aussi membre fondateur majeur du G7 et de l’Union européenne.
A la chute du mur de Berlin et l’implosion de l’Union soviétique, Alger a manqué le rendez-vous en ayant pas été capable de tout remettre à plat pour se débarrasser des travers d’un passé exagérément sublimé et des dogmes d’un ordre mondial qui se disloquait. Sous nos yeux un autre monde est en train de naitre est toute la question est de savoir si l’Algérie saura poser les bonnes questions pour leur trouver les bonnes réponses. Ou va-t-elle persister à poursuivre ses chimères de l’Etat pivot qu’elle veut imposer avec toutes ses implications sur ses relations bilatérales avec le Maroc et sur son rapport à la région et à l’international. Alger peut-il vraiment occulter que le temps des révisions est arrivé ?