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Au Conseil national du PJD : rien d’autre que répétition et tradition – Par Bilal Talidi
Les messages de Benkirane : au parti, moi et encore moi. A l'État, une offre de services du parti et de son secrétaire général.
Le Conseil national du Parti de la justice et du développement (PJD) s'est réuni le weekend dernier pour une étape décisive. Au cours de cette session, toutes les résolutions devant être présentées au congrès ont été adoptées, et la présidence du congrès élue, revenant une fois de plus à Jaâmi El Moâtassim, un dirigeant ayant présidé les cabinets des chefs de gouvernement Abdalilah Benkirane et Saâd Eddine El Othmani.
En réalité, il n'y a rien de véritablement nouveau à signaler concernant les résolutions conceptuelles et la thèse politique du parti. Ce qui a été réalisé durant les années qui ont suivi le congrès extraordinaire en préparation du neuvième congrès ne constitue en fait que des mises à jour mineures et des ajustements de certaines formulations, plutôt qu'une véritable élaboration d'une vision politique fondée sur une évaluation approfondie des deux phases pendant lesquelles le PJD a dirigé le gouvernement sur une décennie.
Les messages confus de Benkirane
Le principal message à retenir de ce Conseil national concerne la présidence du congrès. Les discussions ont principalement reflété le différend existant autour de l'outil organisationnel, et non de la ligne politique. En d'autres termes, on a laissé de coté la reconstruction d’une organisation solide tirant parti de l'élan politique pour surmonter la crise interne liée au modèle de leadership, pour s’unir l’organisation de l’échéance organisationnelle. Ainsi, l'unité de position parmi les intervenants n'a pas été évidente lors du débat sur le rapport politique, mais ils se sont presque unanimement ralliés à l'élection du président du congrès. Tous étaient conscients que le congrès est le moment où la position politique se traduit en un choix organisationnel, touchant le modèle de leadership. Cette tâche nécessite une personnalité consensuelle, capable d’éviter les clivages et de garantir un compromis politique, lequel est toujours tranché par la tradition démocratique interne du PJD.
Ainsi, sur le plan politique, il n'y a rien de nouveau à signaler dans le discours du parti. Le secrétaire général, Abdalilah Benkirane, a laissé de côté le rapport politique, sur lequel les dirigeants du parti avaient travaillé pendant de longs mois, et s'est contenté de lire certains titres de chapitres avant de se lancer dans son improvisation politique habituelle, ponctuée de messages confus.
Son discours, qui a duré environ une heure, n'a apporté aucune nouveauté, se limitant à répéter les mêmes messages traditionnels à l'égard de l'État, du gouvernement et du parti. Ce que Benkirane veut dire, et ne se lasse pas de répéter, c'est que le gouvernement Akhannouch est un échec et constitue un danger pour l'État. Il expose la monarchie aux critiques publiques en ne jouant pas son rôle de "pare-chocs" absorbant les coups, permettant ainsi au roi de rester le symbole de la nation et du consensus, loin des reproches populaires. Benkirane soutient que le PJD est encore capable de remplir cette mission mieux que quiconque, grâce à ses compétences en gestion et en communication, garantissant ainsi une certaine sérénité pour l'État.
Les erreurs liées aux conflits d'intérêts et la manière dont le ministre de la Justice a géré les résultats de la commission de révision du Code de la famille ont constitué les principaux arguments dans le discours de Benkirane pour convaincre l'État de pouvoir compter à nouveau sur le parti. Il a même affirmé que, sans la sagesse royale, les crises causées par le gouvernement auraient ramené le pays à la situation d'avant 2011, marquée par une agitation populaire. Benkirane rappelle inlassablement que le Maroc n'est pas à l'abri d'un tel mouvement si la fusion entre argent et pouvoir persiste.
Benkirane, tout Benkirane, rien que Benkirane
Le message adressé au parti était également traditionnel, mais différait dans son ton. Celui adressé à l'État offrait les services du parti et de son secrétaire général, tandis que celui destiné au parti imposait la réalité d’un leadership que Benkirane entend diriger dans tous ses détails à l’avenir.
La solution proposée par Benkirane pour relancer le parti repose sur une approche traditionnelle effaçant le présent et l'avenir pour se tourner vers le passé : un retour à la référence islamique, qu'il considère comme la clé des victoires historiques du parti entre 1997 et 2016. Toutefois, cette référence islamique, selon Benkirane, est celle qu’il incarne lui-même à travers ses enseignements et ses messages, notamment via sa série intitulée « Un verset m’a interpellé ».
Il n’y a aucune évaluation politique des périodes de gouvernance d’Abdalilah Benkirane ou de Saâd Eddine El Othmani. Le dépassement de toute évaluation est perçu comme la clé pour éviter de raviver les différends. Pourtant, seul Benkirane détient le pouvoir de parler de ces deux périodes, de présenter sa propre version des faits et d’écarter toute autre interprétation. Ceux qui ne sont pas d’accord avec lui ou qui ont une évaluation différente se retrouveront néanmoins, selon lui, à le suivre lorsqu’ils verront le parti s’engager dans des batailles politiques. Ils finiront par oublier leurs différends avec le leader et se rallier à ses combats.
Lors du congrès extraordinaire, Benkirane a fermement défendu l’idée que son mandat exceptionnel ne soit pas limité dans le temps. Il a argumenté que le congrès devait être une fête où tous les différends seraient résolus et dissolus, permettant ainsi au parti de retrouver sa santé organisationnelle et politique.
Près de quatre années se sont écoulées depuis ce congrès extraordinaire. Benkirane a choisi de programmer le prochain congrès lors de la dernière année précédant les élections législatives, plaçant ainsi tout le monde face à un dilemme : les risques associés à un changement de leadership à l’approche d’une échéance électorale. En effet, la culture politique des partis marocains privilégie généralement le maintien du leadership à l’approche des élections pour éviter tout impact négatif sur les résultats électoraux.
Les discussions des cercles restreints, un refuge organisationnel
En somme, Benkirane pousse avec force l’argument de la santé politique du parti, tout en cherchant à dissimuler les problématiques sérieuses liées à sa santé organisationnelle. Il cherche à donner l’impression que l’avenir du parti est lié à son leadership pour deux raisons principales : d’une part, il affirme que le parti ne peut se permettre de changer un leader qui a su créer une dynamique politique et ramener le parti sur la scène politique ; d’autre part, il soutient que changer de leadership serait risqué à l’approche des élections, ce qui pourrait affecter la position du parti.
Cependant, de nombreux aspects semblent absents du débat politique, ou plutôt restent enfouis. Ces sujets sont discutés par les militants du parti dans des cercles restreints, devenus leurs refuges, n’osant pas les exprimer publiquement. Selon ces évaluations internes, le parti est en crise avec l’État, indépendamment de la question de savoir qui est en crise avec qui. La crise est-elle entre l’État et le parti ou entre l’État et la direction du parti ?
Un autre avis, partagé par certains dirigeants du parti, souligne que le rôle du PJD dans la scène politique actuelle ne dépend pas seulement de sa dynamique interne et de son rayonnement politique, mais également des transformations politiques, économiques et stratégiques en cours au Maroc. Ces transformations pourraient signifier que le parti n’aura plus un rôle significatif, ni même marginal, à jouer.
Peu importe l’exactitude de ces estimations, il est clair qu’il existe une crise interne au sein du parti, principalement liée à son modèle de leadership traditionnel. Ce modèle ambitionne de répliquer l’expérience passée avec les mêmes recettes, sans procéder à une évaluation politique des périodes précédentes, ni questionner les transformations survenues et leur impact sur l’avenir du parti. Cela nécessite pourtant des changements fondamentaux dans son modèle de leadership, sa ligne politique et son organisation, ainsi que dans sa position face aux élections.
Le parti doit également se demander si, à court terme, il doit se tourner vers l’État ou vers la société. Cette réflexion est d’autant plus cruciale que les données démographiques concernant le parti montrent que l’âge moyen de ses dirigeants et des membres du Conseil national se situe probablement entre 45 et 50 ans. Parallèlement, il y a un net recul de l’attraction du parti auprès de la jeunesse, de l’activité de ses structures locales et de ses branches à l’étranger. De nombreux acteurs au sein du parti ont choisi d’adopter une posture d’attente en vue des décisions qui seront prises lors de la session prévue pour avril 2025.