Bir Anzaran : 3/3 – Les Lions du Sahara dans une bataille pour l’histoire - Par Seddik Maaninou

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Le général à la retraite Lhoucine Mzird

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Dans la première partie de cette chronique sur la Bataille de Bir Anzaran du 11 août 1979, décisive dans la maitrise territoriale de l’ensemble du territoire du Sahara, Seddik Maaninou est revenu sur sa récente rencontre à Meknès avec l’un des principaux héros de cet affrontement, le général à la retraite Lhoucine Mzird, et raconté les enjeux de ce moment crucial qui, sans le courage d’hommes de la trempe de celui qui était alors commandant, aurait changé toute la géopolitique de la région. Dans la deuxième partie, il a donné la parole aux valeureux commandant pour raconter sa bataille.  Dans cette troisième et dernière, partie, Seddik Maaninou poursuit sa quête dans la mémoire d’un soldat qui a été aux premiers rangs d’une dure guerre pour l’unité territoriale du Royaume. 

Sur tous les fronts

En 1987, Lhoussine Mzird sera promu au grade de colonel plein et continuera à assumer des commandements dans plusieurs secteurs. Il dirigera ainsi le douzième régiment, participera à des combats sur différents fronts, contribuera à la construction des murs de défense et assurera la défense de la zone de Gueltet Zemmour, puis de Tichla, où il sera promu au grade de colonel-major.

Il effectuera ensuite le pèlerinage à La Mecque et, à son retour, il sera nommé à la tête du secteur militaire de Oued Draâ, une zone proche de la frontière algérienne qui exige une vigilance accrue. Comme à son habitude, il se déplacera d’un endroit à un autre, de Mahbes à Farsia, de Aqqa à Tata, de M’hamid à Touinzguine. En 2004, il sera enfin promu au rang de général de brigade.

Des arbres et des médailles  

Les réponses de Lhoussin Mezird étaient sereines, ses phrases courtes. Il s'arrêtait souvent pour reprendre son souffle, tandis que Fatima, son épouse, poursuivait le récit et l'encourageait à prendre son temps. Intissar, leur fille, apporta un coffret contenant ses treize médailles, militaires et civiles. Puis, rappelant à sa mère un évènement que celle-ci Idrisside amazigh s’empressa de me raconter qu’à chaque visite à son mari, elle apportait avec elle des plantes d’arbustes qu’elle plantait sur le site de Bir Anzaran, en recommandant à son mari de les arroser régulièrement. Elle observa un long silence, puis lâcha :  « J’aimerais tant retourner là-bas voir combien elles ont grandi et si elles donnent leurs fruits. »

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Elle poursuivit en expliquant qu'à chaque visite, elle participait à la préparation des médicaments, à l’aide aux enfants et à la prise en charge des habitants. Son mari, constamment au front, ne pouvait prendre de congés pour visiter sa famille ou retrouver amis. « C’est nous qui nous déplacions pour lui rendre visite, et nous en étions heureux. De temps à autre, nous lui parlions par radio, pour nous assurer qu’il allait bien et lui donner des nouvelles de la famille et des enfants. »

La grenouille et la télévision  

Le général suivait notre discussion, mais semblait avoir du mal à tout suivre. Son fils aîné, Fouad, se penchait régulièrement à son oreille pour lui expliquer la teneur de notre conversation, lui posait des questions ou demandait des précisions. 

A un moment, le général s’est mis à sourire et raconta avoir invité le chef de la MINURSO à lui rendre visite, et l’avait chaleureusement accueilli. En retour, dit-il, il m’invita chez lui. Il était d’origine asiatique et, lors du repas, il me servit une grenouille pour le déjeuner ! J’en étais surpris, mais je le remerciai pour son hospitalité. Même si je n’avais aucune intention d’y toucher ». Nous avons tous éclaté de rire et, pour la première fois, le général a ri, ajoutant que « Depuis Bir Anzaran », je suivais les informations à la télévision. J’ai même regardé certaines émissions que vous animiez ! »

Il expliqua ensuite que Hassan II, afin de réduire l’isolement des soldats, avait fait installer des paraboles géantes pour capter les chaînes satellites, ce qui avait brisé la solitude et permis aux soldats de suivre l’actualité, de regarder des films et des séries. : "Ils se rassemblaient parfois pour préparer une ‘’tanjia’’, dans une ambiance conviviale, tout en regardant la télévision." »

Généreux et courageux  

Nous fûmes ensuite invités dans une pièce adjacente où nous attendait une table ronde garnie de plats variés. Tout était préparé avec goût et raffinement.  

Après trois heures d’échanges, je demandai la permission de partir. Hanan, la fille aînée du général, s’approcha alors et posa sur mes épaules un selham, un cadeau de Haj Lhousin Mezired.  Ainsi sont les gens de Mermoucha : fidèles, généreux et courageux.  

Je quittai les lieux en remerciant chaleureusement la famille pour leur accueil et leur dévouement envers le général, veillant sur sa santé. Pour moi, Il était temps de m’arracher aux lieux, de quitter la Villa An-Nasr, de traverser l’avenue Bir Anzaran et de quitter Meknès.  

La nuit était tombée, et alors que je roulais lentement, mon téléphone vibra. Un message de Intissar s’afficha : « La famille Mzird vous remercie pour votre visite et votre bienveillance. Ce fut un honneur et un plaisir de partager ce moment avec vous. Nous serons heureux de vous revoir.» 

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 Je répondis sans attendre : « Merci pour votre gentillesse et votre hospitalité. J’ai été honoré de rencontrer votre père, le héros du Sahara. Que Dieu vous protège. Mes salutations à votre mère, et merci à Lalla Intissar. »  

Le froid était vif, quelques gouttes de pluie tombaient sporadiquement. Les phares des voitures étaient aveuglants et la circulation ne ralentissait pas dans cette nuit glaciale. Mais je me sentais rasséréné, ayant accompli mon devoir de mémoire envers un soldat marocain et un officier émérite.  

J’étais rassuré à la pensée qu’il y avait beaucoup d’hommes comme lui dans les Forces Armées Royales...  

"Des hommes qui ont tenu parole envers Dieu... Certains sont tombés, d'autres attendent, et jamais ils n’ont failli à leur serment."  ( رجال صَدَقوا ما عاهدوا الله عليه فمنهم هن قضى نحبه ومنهم من ينتظر وما بدلوا تبديلا) - Sourate Al-ahzab, signe23

Demain, c’est la fête  

Les souvenirs me ramenèrent à une conférence de presse du Roi Hassan II, après la victoire de Bir Anzaran, qu’une salle du Palais Royal de Rabat avait abrité..

Le roi était élégant et serein.  Parmi les journalistes présents, il y avait des Français dont entre autres Paul Balta, Paul Nahoun, Édouard Sablier... Le roi leur déclara :  « Notre victoire à Bir Anzaran est une grande victoire qui a bouleversé tous les équilibres. L’ennemi a perdu environ 1 500 hommes entre morts et blessés. Quant à nos soldats, ils ont fait preuve d’une force de combat exceptionnelle. »  

À ce moment, un mokhazni posa une note devant le souverain. Il la lut et sourit, puis, en fin de conférence, il annonça aux journalistes :  "Je vous offre un scoop : demain, c’est l’Aïd."  

C’était la fin du mois sacré du jeûne et l’Aïd el-Fitr.  

Plusieurs chaînes de télévision avaient ensuite visité Bir Anzaran. L’une d’entre elles, une chaîne française, avait interviewé le commandant Lhoussin Mzird sur place.  

Il répondit avec précision, calme et concision : « J’ai simplement fait mon devoir, et c’est tout. » 

Un sentiment de joie profonde et de sérénité intérieure m’envahit.  

Je me souvenais de l’appel téléphonique de Hassan II, exhortant Lhoussin Mzird à tenir bon pendant la bataille... Je me rappelais le jour où le roi l’avait décoré et lui avait dit :  "Vous venez du pays des السْبوعة  (les lions)."

J’imaginais son épouse planter des arbustes en demandant qu’on les arrose...  

Je repensais à ce commandant, préférant être bombardé par ses propres avions plutôt que de tomber vivant entre les mains de l’ennemi...  

Et enfin, j’étais soulagé de savoir que la bataille de Bir Anzaran était entrée dans l’histoire militaire, confirmant la bravoure du soldat marocain, son honneur et son esprit combatif...  

Merci à vous tous, Lions du Sahara.

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