chroniques
De Prince héritier à Roi (1/3) – Par Seddik Maaninou
Le premier sultan de cette dynastie fut Mohammed Ier au milieu du XVIIe siècle, et voici Mohammed VI (ici avec son père Hassan II) accédant au trône à la veille du XXIe. Il est le troisième roi depuis que son grand-père Mohammed V a abandonné le titre de "sultan" pour celui de roi du Maroc.
Son Altesse Royal Sidi Mohammed n’imaginait pas ce jour-là qu'il entrerait à l'hôpital Ibn Sina à Rabat en tant que Prince héritier et en ressortirait quelques heures plus tard en nouveau Roi du Royaume chérifien du Maroc.
23 juillet 1999, les médecins du Roi Hassan II ont dû le transporter d'urgence à l'hôpital Ibn Sina à la suite d'une grave crise cardiaque. La veille, le Roi Hassan II avait appelé l'un de ses conseillers ainsi que l'un des responsables du protocole royal pour leur annoncer qu'il avait décidé de prendre quelques jours de repos - vendredi, samedi et dimanche-, leur demandant d'annuler tous ses engagements et rendez-vous.
La même nuit, il avait autorisé ses assistants et collaborateurs à quitter sa résidence de Skhirat, près de Rabat, où il aimait passer la saison estivale. Plus tard, le Roi ressentit une détérioration de son état de santé et une fatigue qui l'obligea à se mettre au lit, et décida, après consultation de ses médecins, de se reposer. Le Prince héritier suivait de près l'évolution de la situation et consultait les médecins. `
En Réanimation
À l'hôpital Ibn Sina, l'état de santé du roi se détériora rapidement, et les médecins se hâtèrent de l'admettre en réanimation. Cette aile de l’hôpital, située au quatrième étage et dédiée aux maladies cardiaques avait été créée sur les ordres du Roi Hassan II après qu'il eut constaté l'absence d'un hôpital spécialisé pour les affections cardiovasculaires.
Hassan II supervisa la préparation de cet hôpital spécialisé et contribua même à l'acquisition des équipements de diagnostic et de traitement les plus modernes. Pendant de nombreuses années, des milliers de patients bénéficièrent de cette initiative royale, avant que le roi Hassan II se retrouva à son tour dans ce même étage, au milieu d'une atmosphère de tension et d'inquiétude.
Le Prince héritier et son frère, le Prince Moulay Rachid, se tenaient devant la salle de réanimation. Tristes, les yeux embués de larmes difficilement contenues. Le prince héritier était en contact permanent avec les médecins, qui l'informaient régulièrement des développements médicaux et des efforts déployés pour faire face à la crise cardiaque. Sidi Mohammed, qui tenait son téléphone portable, répondait aux questions de sa mère, de sa grand-mère et de ses sœurs. D'une voix basse et calme, il leur transmettant les informations qu'il recevait.
À ce moment-là, le Prince héritier ressentit la gravité de la situation et le poids de la responsabilité, se préparant mentalement et émotionnellement à faire face à ce moment difficile avec sagesse et patience. À l'âge de trente-six ans, il savait qu'il était le dépositaire du destin d'une famille royale régnante depuis trois siècles et demi. Destin qui l'avait choisi pour assumer la responsabilité de la continuité de l'une des plus anciennes monarchies au monde, vieille de douze siècles, depuis Idris Ier jusqu'à Hassan II. Dans cette période critique, le Prince Sidi Mohammed avait pour mission de reprendre le flambeau et continuer le chemin. Pour ce moment-ci, il avait été et s’était toute sa vie passée préparé.
Fierté royale
A cet instant précis, l’opinion publique n'étaient pas au courant des évènements et de l’Histoire qui s’accéléraient au quatrième étage de l'hôpital, ni des détails de ce qui s'était passé la nuit du jeudi, ni de l'urgence avec laquelle les médecins avaient dû transférer le roi pour le placer en réanimation. Cependant, ils savaient que Hassan II était malade depuis un certain temps, sa maladie n'ayant pas un secret hermétiquement gardé derrière les murs du palais. Lors de sa dernière apparition publique à l'occasion de son anniversaire, le 9 juillet, le roi portait sur lui les signes de la maladie. Les téléspectateurs avaient remarqué à la télévision son visage pâle, sa démarche lente, son pas hésitant. Hassan II avait brièvement salué un petit groupe d'officiels avant de quitter la cour du palais. Le Prince héritier était à ses côtés, le soutenant, dissimulant difficilement son inquiétude pour la santé de son père.
Quelques jours auparavant, en dépit de nombreuses rumeurs, les Marocains furent rassurés en suivant, le 14 juillet, le défilé militaire de l'armée française sur les Champs-Élysées à Paris. Le roi y était présent en invité d’honneur du président français Jacques Chirac. Vêtu de son costume traditionnel, Hassan II était visiblement heureux en suivant les unités militaires marocaines ouvrant le défilé.
Le public avait remarqué le sourire satisfait du Souverain lorsqu'il s'est levé pour saluer le drapeau national, en tête de l'orchestre de la Garde royal de la garde royale, suivi des unités des Forces Armées Royales. Il était évident que Hassan II ressentait une grande fierté en voyant les unités militaires marocaines défiler avec discipline et organisation. Les Marocains ont également remarqué que, dès que les unités marocaines sont passées, le président français s'est incliné pour féliciter le roi pour sa présence personnelle et pour la fluidité et la précision de la participation des troupes marocaines.
Cette nuit-là, les Marocains ont pu croire que le roi était en bonne santé, malgré les signes de fatigue, considérant cela comme une conséquence naturelle du voyage et de la présence, debout pendant deux heures.
Le Départ d'un roi
Au quatrième étage de l’hôpital Ibn Sina, l'atmosphère se tendait un peu plus au fil des minutes qui passaient. Les nouvelles n’étaient bonnes, les spéculations allaient bon train et l’attentes de plus en plus pressante. Le prince héritier se préparait sans hâte.
Dans cette situation, il n'était pas dans la tradition de la monarchie d’anticiper le décès du roi et la prise en main du fonctionnement normal du royaume qu’assuraient par ailleurs les rouages de l’Etat. Le prince héritier était au service du roi. C'étaient des moments parmi les plus difficiles de l'histoire des monarchies, lorsque le roi est entre la vie et la mort, et que le prince héritier à ses côtés ne peut prendre l'initiative. C'était une période critique pour la transition du pouvoir qui nécessitait vigilance, patience et une préparation pour assurer une transition calme et harmonieuse.
Le Prince héritier était prêt à faire face à toutes les éventualités, que ce soit pour une possible et espérée rétablissement de son père ou pour la prolongation de son séjour à l'hôpital. Il était surtout prêt à remplir ses obligations constitutionnelles et à assumer immédiatement, comme on a eu à le constater, la responsabilité une fois le décès constaté.
Tout au long de son règne, Hassan II occupait tous les espaces, tandis que le prince héritier respectait les « traditions royales » qui faisaient de lui le deuxième homme, sans avoir pour autant une prise directe sur le processus décitionnel. Ces traditions stipulaient que la majorité des pouvoirs restaient entre les mains du roi, tandis que le Prince héritier observait et se préparait.
Face à la gravité de la situation, le prince héritier a décidé d'informer le peuple marocain de ce qui se passait au quatrième étage de l'hôpital Ibn Sina. Ainsi, vers 15h30, le protocole royal a publié un communiqué des médecins du palais : "Sa Majesté le Roi Hassan II a été admis aujourd'hui à l'hôpital Ibn Sina en raison d'une sévère inflammation pulmonaire nécessitant une surveillance continue des systèmes cardiaque et respiratoire." Par ce communiqué, le prince héritier a veillé à partager les informations médicales avec tous les citoyens, afin que l'opinion publique nationale et internationale soit informée de l'état de santé de Hassan II.
On en était là quand soudain, le prince héritier a été appelé à entrer dans la salle de réanimation. Un silence lourd a régné, suivi de l'annonce fatidique du décès de Hassan II après un règne de trente-huit ans, en tant que vingt-deuxième roi de la dynastie alaouite. Les larmes ont coulé et les princes se sont subitement sentis orphelins d’un long règne sous l'aile protectrice d'un grand roi.
Les médecins, tristes et épuisés après des heures d'efforts intenses, ont été les premiers à présenter leurs condoléances et à prêter allégeance au nouveau roi. Le soir même était organisée la cérémonie traditionnelle d’allégeance. À partir de ce moment historique et décisif, le prince héritier Sidi Mohammed devenait le vingt-troisième roi de la dynastie alaouite filalienne et sijilmassienne. Le premier sultan de cette dynastie fut Mohammed Ier au milieu du XVIIe siècle, et voici Mohammed VI accédant au trône à la veille du XXIe. Il est le troisième roi depuis que son grand-père Mohammed V a abandonné le titre de "sultan" pour celui de roi du Maroc.
Hassan II avait écrit dans son livre "Le Défi" : "La confiance que le peuple accorde à son roi est un dépôt sacré, et mon père n'a abandonné cette confiance que lorsque la vie l'a quitté. Il me l'a transmise, comme je la transmettrai à mon tour à mon fils Sid Mohammed."
Calme et détermination
Le Prince héritier n'était plus appelé "Smyete sidi" (celui qui porte le nom du roi antérieur en référence au roi Mohammed V) comme le dictaient les traditions du palais, mais Sidna "Notre Seigneur". Ainsi, Sidna devait agir avec détermination et discernement pour prendre les rênes dupays. Il était convaincu de faire face au plus grand et au plus dangereux des tests de sa vie, sachant que toute erreur, quelle que soit son ampleur, ne pouvait qu’avoir des répercussions sur le cours du royaume et l’avenir du pays.
Sidna a quitté l'hôpital après avoir donné des instructions pour le transfert du corps de son père au palais royal. Il était évident que la nouvelle du décès devait rester encore confidentielle pendant un certain temps pour préparer les conditions appropriées.
En route pour le palais royal, proche de l'hôpital, il essuyait ses larmes. Au palais, les membres de la famille royale l'ont accueilli en larmes, exprimant leur tristesse. Ils se sont jetés dans les bras de Sa Majesté pour le consoler et lui prêter allégeance. Et conformément aux traditions, les youyous ont retenti pour annoncer la joie après l'allégeance au nouveau roi.
Près de la salle du trône, le roi a fixé les priorités, car il devait agir sur plusieurs fronts, en respectant et en se conformant aux procédures constitutionnelles et aux traditions en vigueur. Une préparation minutieuse de la cérémonie d'allégeance, ainsi que la liste des invités, était nécessaire. Il fallait informer le public et préparer un discours approprié. Il était également impératif de prendre des mesures de sécurité et d'organisation pour les funérailles. Sidna supervisait ces préparatifs, donnant des ordres en fonction des besoins, avec célérité mais sans précipitation, calmement mais sans relâchement, fermement mais sans tension.
Hassan II avait déjà évoqué, dans une interview avec le magazine "Paris Match" en novembre 1976, l'éducation et la préparation de son fils. "Je veille à faire de l'héritier un homme capable de servir tout le monde, c'est-à-dire qu'il ait un minimum de fierté de soi, un minimum de personnalité tout en conservant l'humilité et sans être d'intelligence moyenne. Mon père m'a inculqué cette qualité."