Des Larmes et des Tunisiens - Par Seddik MAANINOU

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Le jour où Kais Saied a gelé le Parlement et démis le Premier ministre de ses fonction…

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Le Présent - Par Seddik MAANINOU

Tunis, dans la matinée du 14 janvier 2023. La capitale tunisienne affiche mauvaise mine. Un air de tristesse plane sur le pays. Les habitants se sont terrés chez eux et les Tunisiens ont boudé les urnes devant entériner qui les ‘’représentera’’ au Parlement de Kaïs Saïed. 

Ils n’ont pas battu le pavé, ni manifester contre ses tartuferies. Comme si plus rien dans ce qui les entoure ne les intéresse. Ils ont été contraints à la démission, et se sentent étrangers dans leur propre pays. Le jasmin a perdu de sa fragrance, ses pétales fanés par un interminable automne gisent au sol. Les élites tunisiennes, d’habitude intelligentes et agissantes, sont confuses et désarçonnées. La sève créative des intellectuels et des artistes s’est desséchée. Pour le douzième anniversaire de sa révolution, la Tunisie semble avoir sombré dans la résignation et le repli.

Chaos créatif ?

Dans son émission radiophonique «Presse de dimanche» (14 janvier 2023), le journaliste-animateur Lotfi Laâmari lance amèrement : «Une révolution qui s’arrête à mi-chemin devient un cimetière pour ses artisans». Evoquant les jours heureux qui promettaient des lendemains qui chantent, il a rappelé, presque nostalgique : «On a vécu un certain bien-être économique sous Bourguiba et Ben Ali, mais on manquait de liberté». Sur un ton accablé, il ajoute que «ce qui s’est produit en Tunisie n’était pas une Révolution. Bouaâzizi n’était ni un révolutionnaire ni un intellectuel porteur d’un projet. L’Histoire nous a appris que les intellectuels ne mènent pas les révolutions». 

Dans les faits, ce qui s’est produit n’était rien d’autre qu’un acte dans un plan américain annoncé par la Secrétaire d’Etat US Condoleezza Rice par l’expression séduisant de «Creative chaos». 

Entamé en Tunisie, le chaos qui a perdu en cours de route tout ce qui en faisait le charme, poursuit encore et toujours son bonhomme de chemin de destruction.

Les lunettes de Ben Ali

Tour à tour, les invités de ce talk-show ont livré leurs souvenirs «des jours de la révolution». En fait, des révélations surprenantes. L’un d’entre eux affirme que «Ben Ali n’a pas quitté de son plein gré et n’avait pas l’intention de fuir. Il a été déporté de force, au point de laisser derrière lui ses lunettes et son PC personnel». Et précise : «D’énormes sommes d’argent ont afflué vers la Tunisie et le gouverneur de la Banque centrale a été limogé pour avoir refusé d’en maintenir la confidentialité. Tous les acteurs de ce scénario ont perçu des sommes qui n’ont donné lieu à aucune enquête judiciaire sur leur origine et leur déboursement. A la recherche de plus d’argent, le gouvernement tunisien n’a pas hésité à remettre un opposant libyen, Baghdadi Hammoudi, à Mouammar Khadafi. En échange, il a reçu des valises de dollars sans qu’aucune enquête ne s’ensuive».

Dons et largesses

Un autre intervenant indique qu’un groupe de Tunisiens a participé à l’encadrement du «chaos créatif», assurant que les intéressés sont arrivés de l’étranger où ils ont laissé familles et enfants bien à l’abri. «Après avoir accompli leur basse besogne et perçu des sommes en millions, ils ont quitté la Tunisie. Ils ont pris des milliards. Une partie de cet argent était sous forme de prêts et une autre sous forme de dons, le tout en sous-main». Il a estimé que «Ben Ali a laissé dans la Banque d’Etat et dans son palais cinq milliards en guise de présent pour les générations futures. Toute cette fortune s’est évaporée et personne n’en connaît le sort. Kaïs Saïed refuse l’ouverture d’enquêtes sur ces transactions douteuses».

Un désespoir collectif

Un autre invité s’en est pris au président Saïed qui, «au lieu de prendre à bras le corps les dossiers essentiels, se rend dans certains cafés populaires et se délecte des applaudissements de ceux qu’il avait dépêchés avant son arrivée sur place, ceux-là même qui seront sans doute gratifiés de dons présidentiels».

Sur un ton où se mêlent le dramatique et la fureur, il lance : «Le monde ne se soucie pas de nous et personne ne vient à notre rescousse. C’est pourquoi se répand de façon diffuse et insidieuse le désespoir au sein de l’Etat et de la société». «L’Etat est en faillite» dit-il et les gens y assistent impuissants. «Ce qui aggrave davantage nos ennuis, c’est que nous n’avons pas un homme fort à Carthage et encore moins dans les partis politiques qui ont raté toutes les épreuves».

Non sans amertume il poursuit : «La Tunisie est aujourd’hui comme l’Albanie, ce pays resté longtemps isolé de l’Europe. L’Albanie était un des pays les plus pauvres du globe, que tout le monde ignorait au point de devenir un laboratoire pour les expériences ratées». La Tunisie est actuellement déprimée, léthargique et affamée. Elle ressent dans sa chair l’amertume du mépris devant les camions libyens.

La Tunisie et le Mondial

Prenat le relais, un autre intervenant souligne que la situation internationale et régionale du pays est très préoccupante, avec des centaines de Tunisiens tapis dans les geôles algériennes pour tentative de trafic des denrées alimentaires. «Nous avons perdu l’équilibre en Afrique du Nord. En nous rangeant piètrement derrière l’Algérie et en nous éloignant du Maroc, nous avons omis une partie fondamentale de l’équation».

Le journaliste Safi Said a critiqué, lui, les élites tunisiennes pour leur propension à se défausser sur les autres et particulièrement sur le Maroc, que l’on accuse de vouloir les déposséder indument de leurs efforts. «Nous exigeons du Maroc qu’il arrête d’exporter les phosphates jusqu’à ce que nous soyons en mesure de le faire nous-mêmes après avoir surmonté nos propres problèmes», s’est-il insurgé. Il a ajouté non sans humour que «certains d’entre nous considèrent les exploits du Maroc à la Coupe du monde comme une dépossession illégitime du football tunisien !» Et de conclure : «Nous cherchons toujours à nous disculper, à nous défausser de nos échecs sur autrui».

Hillary Clinton

Au terme de ce talk-show, grouillant de bombes à retardement, je ne puis m’empêcher de songer à ce que l’ex-Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton avait écrit dans ses mémoires sur cet épisode tumultueux de la Tunisie.

«Nous avons décidé, via notre ambassade à Tunis, de fermer l’espace aérien de la Tunisie dans la soirée du 14 janvier 2011. Et de faire intervenir la division des Marines stationnée dans notre base en Sicile près des côtes tunisiennes. Et ce, au cas où Ben Ali refuserait de renoncer pacifiquement au pouvoir et de quitter la Tunisie », a-t-elle raconté.

Plus loin, elle a expliqué que «nous avons rassuré nos collaborateurs en Tunisie [lesquels au juste ?] qu'ils n’étaient pas visés mais qu’ils devaient travailler à présenter ce qui s’est passé comme une révolution». Mme Clinton a révélé avoir personnellement dirigé cette mission, assurant que les Américains tenaient à l’œil l’ambassadeur de Libye qui s’est empressé d’envoyer les informations à sa disposition au colonel Kadhafi. Ce dernier aurait répondu qu’il était prêt à intervenir si Ben Ali refusait de partir et ou si les Américains voulaient remettre le pouvoir aux islamistes. Selon elle, Kadhafi aurait conclu que, par le chaos tunisien, l’administration américaine l’avait lui et la Libye en ligne de mire.

Interrogations

Douze ans après n’est-il pas légitime de s’interroger sur ce qui s’est passé en Tunisie le 14 janvier 2011. Qui a planifié et pourquoi ces événements, même si une partie de la réponse est déjà dans le chaos créatif de Condolezza Rice et les mémoires d’Hilary Clinton ? Qui les a financés ? Pourquoi avoir choisi la Tunisie comme base de déclenchement ? Pourquoi la révolution abusivement baptisée ‘’printemps arabe’’ n’a fait qu’accoucher d’un cauchemar à sept tête aussi affreux que couteux ? Quel rôle a-t-il tenu et quelle importance a-t-il eu le financement étranger, notamment américain et des pays du Golfe ? Quel a été précisément le rôle du parti islamiste Ennahda et quelle est la nature de ses relations avec les Etats étrangers intéressés au bouleversement de la sphère arabe ? A quelle échelle se situe la responsabilité des partis de la Troïka qui ont précipité la Tunisie dans la banqueroute ? Comment un professeur assistant, Kaïs Saïed, a réussi à arriver puis à se saisir du pouvoir, tout le pouvoir ? Qui se tient derrière lui ? Et last but not least, à quoi joue Alger en cherchant à transformer la Tunisie en une nouvelle wilaya algérienne et quel funeste dessein derrière l’afflux massif des largesses algériennes vers les associations et la presse tunisiennes ? 

De toutes ces interrogations, une chose ne souffre pas le questionnement ni le doute. La Tunisie bien-aimée pleure son sort, mais reste la question fondamentale : Que pouvons-nous faire pour sécher ses larmes ?

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