École : Ne cédons pas au défaitisme ni à l'angélisme même de bon aloi

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De G à D: Mohamed Soual et Mohamed El Gahs

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Par Mohamed Soual – ancien des écoles publiques de Hay Mohammadi

Dans ce plaidoyer, Mohamed Soual, qui tient à souligner qu’il est le produit des écoles publiques du Maroc, plus exactement du mythique Hay Mohammadi à Casablanca, revient sur l'importance de l'école publique comme fondement de la citoyenneté, de l'égalité des chances et du développement intellectuel et social. Face aux critiques et à la crise que traverse cette institution, il rejette la fatalité et plaide pour une réforme ambitieuse et courageuse.

Mon ami Si Mohamed El Gahs a publié récemment un vibrant plaidoyer en faveur de l’école publique*. Son texte m’a poussé à replonger dans mon album photo pour retomber sur une qui me rappelle les visages de mes maîtres et celui du directeur de mon école primaire. On y voit également le concierge de l'école ainsi que la femme et l'homme de peine qui veillaient matin et soir à la propreté des locaux communs et des classes. Ils préparaient aussi le repas de midi et le goûter de l'après-midi en faveur des enfants issus de familles nécessiteuses.

Alors qu'aujourd'hui d'aucuns se sont complètement débridés à la suite de l'évaluation du niveau de nos élèves des écoles publiques suite au rapport récent du conseil supérieur de l'enseignement allant pour certains jusqu'à titrer " l'école forme des cancres", il me semble impératif de dire haut et fort que l'abandon que ressent cette institution ou du moins l'impression d'abandon ne sont pas une fatalité.

L'école n'est pas seulement le lieu de socialisation par excellence, elle est le lieu où se forge la citoyenneté, le respect de l'autre ainsi et surtout l'acquisition des savoirs essentiels et le développement de l'esprit critique y compris la distance par rapport à certains "savoirs" dispensés.

C'est le seul lieu et levier où se cultivent l'égalité des chances et l'exaltation des mérites quels qu'ils soient : scolaires, artistiques, sportifs. L'auto-évaluation par les élèves eux-mêmes et le travail en groupe en sont des instruments.

Pour rendre à cette école son lustre, un seul accès : la maîtresse et le maître qui doivent recouvrer la dignité de leur noble mission et retrouver la vocation sacerdotale qui doit être à tout instant la leur.

La réforme ne passe pas des circulaires ministériels aussi bien intentionnées qu'elles sont. C'est par le maître homme et femme qu'il s'introduit en classe.

Elle ne passe pas non plus en ménageant des compromis boiteux avec des syndicats qui en oubliant parfois ceux qu'ils sont censés défendre, se mettent, et même si c'est à leur corps défendant, du côté de ceux qui se veulent consciemment ou inconsciemment les fossoyeurs de l'école.

Soyons clairs, quelque furent ou soient les efforts pour mettre notre pays sur le chemin du développement, jamais rien de bon ne se fera sans réhabiliter cette école et des personnels pédagogiques car c'est avec eux et avec eux seulement que cela pourrait se faire.

La volonté politique, la vision et la détermination sont nécessaires. Il faut une dose de courage exceptionnelle pour s'opposer à tous les archaïsmes et autres intérêts illégitimes pour mener à bien un chantier qui faut-il le souligner prendrait moins de deux législatures si l'on s'y prend avec la vision et la volonté nécessaires.

Il faut du courage politique y compris le cas échéant rendre le tablier si l'on est empêché de mener ce travail essentiel.

Il faut de la concertation bien entendu mais jamais céder aux forces rétrogrades qui profitent de cette déliquescence pour stériliser l'action publique dans ce chantier vital.

La mission est pourtant simple : que tout élève sache lire, écrire et compter à la fin du cycle primaire de 5 ans et non 6 ans.

Que tout élève maîtrise ou moins une faculté cognitive essentielle pour le préparer pour la suite.

Cette suite n'est pas nécessairement le cycle long classique pour tous. Les élèves peuvent selon leurs inclinations et compétences circuler entre études, formations professionnelles ou sport. C'est très tôt qu'il faudrait détecter les trajectoires possibles. C'est la mission des enseignants, des orientateurs un corps presque disparu de notre système d'accompagnement et les parents.

Beaucoup de mes amis syndicalistes connaissent le prix que j'attache à l'action syndicale et à l'émergence de contre-pouvoirs essentiels à la bonne marche de tout système, mais il n'est plus tolérable de permettre qu'au nom de la défense des intérêts de ses "adhérents" on participe à l'abîme de notre école.

Développer un système d'enseignement par l'initiative privée fait partie des libertés fondamentales en matière de choix familiaux et individuels. Mais jamais au détriment du bien commun et de l'égalité des chances.

Il est par exemple intolérable que des enseignants font de leurs mieux lorsqu'ils sont engagés pour des cours privés mais délaissent leurs devoirs en classes pour lesquels ils sont pourtant rémunérés.

Je suis témoin ces derniers temps de l'immense talent qu'ont certains de nos élèves garçons et filles issus de l'école publique. Ce n'est pas toujours le lieu de déstructuration et de médiocrité que l'on décrit.

Observez ces derniers temps les spectaculaires résultats de nos élèves des classes préparatoires aux concours des grandes écoles y compris les plus prestigieuses parmi elles de France et Navarre.

Non l'école n'est pas le purgatoire. C'est le lieu où l'on fabrique le lien social et les soldats en capacité de porter très haut les ambitions individuelles et collectives. L'avenir de notre pays en dépend. Ne cédons pas au défaitisme ni à l'angélisme même de bon aloi. »

*Media24 du 27/02:2024

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