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Entretien d’Al-Ayam avec Naïm Kamal : I - Quand Ben Bella affirmait que les frontières ‘’sont ‘’un cadeau’’ du colonialisme

Capture d'écran du document vidéo de l'INA dans lequel Ben Bella considérait les frontières héritées du colonialisme comme un ''cadeau'' de ce dernier, comme on peut s'afficher anticolonialiste et trouver des vertus au colonialisme
Dans cet entretien de Naïm Kamal, directeur de Qud.ma avec l’hebdomadaire arabophone Al-Ayam, évoque dans cette première partie la rhétorique hostile, ancienne et récente, des médias algériens envers le Maroc, une animosité qui s'est intensifiée avec la montée des tensions politiques et diplomatiques. Cette confrontation médiatique, nourrie par des ambitions régionales et des enjeux historiques, trouve aujourd’hui un nouvel écho sur les réseaux sociaux, amplifiant un discours de rivalité entre les deux nations.
Entretien réalisé par Hassan Aït Bihi- Al-Ayam
Pour commencer, comment commentez-vous la manière dont les médias algériens traitent les affaires du Maroc ?
Ce n’est pas un phénomène nouveau. Cependant, l’intensification des tensions au cours des dernières années, parallèlement aux échecs de l’Algérie sur plusieurs fronts, intérieur qu’extérieur, tandis que le Maroc continue de projeter une image plus positive, a conduit à une confrontation accrue. Cette escalade s’est particulièrement accentuée avec l’arrivée au pouvoir d’Abdelmadjid Tebboune, accompagné de Saïd Chengriha, qui semble nourrir un ressentiment personnel contre le Maroc. Il faisait partie des soldats algériens ayant essuyé la défaite d’Amgala en 1976. Cependant, bien que ces différends soient parfois réduits à des querelles personnelles, la question est en réalité bien plus vaste qu’une simple histoire de médias ou de disputes entre Facebookeurs et autres tiktokeurs.
Quelles sont les principales raisons de ces rancœurs qui se reflètent au niveau médiatique ?
Depuis son indépendance, l’Algérie s’est toujours projetée comme le futur l’Etat pivot de la région. Bien qu’elle ne l’ait pas formulé aussi explicitement à l’époque, elle ambitionnait d’être la puissance autour de laquelle gravitaient tous les pays du Maghreb et de la région du Sahel. Cette vision reposait sur une approche comparable à celle de la Prusse en Europe, notamment sous Bismarck. L’Algérie Prusse du Maghreb est un concept que ne reniait par Houari Boumediene, qui l’a admis lors d’un entretien avec le journaliste français Paul Balta dans Le Monde, à l’époque correspondant de son journal à Alger.
Dès le départ, cette orientation hégémonique s’est traduite par une politique visant à affaiblir le Maroc en s’appuyant sur l’opposition de gauche marocaine et son aile panarabiste et socialisante, sachant qu’en ces moments le panarabisme socialisant qui avait pour figure de proue l’Egyptien Nasser exerçait alors une influence considérable sur plusieurs courants dans la sphère arabe, et au Maroc au sein notamment de l’Union Nationale des Forces Populaires (UNFP). Poussée par son révolutionnarisme aussi bien que par une certaine fascination qu’exerçait l’Algérie ‘’socialiste’’ sur une partie de cette opposition l’a poussée à se jeter dans les bras de l’Algérie, qui a bien saisi cette opportunité pour l’employer dans ses tentatives de déstabilisation du régime marocain. Je ne porte pas ici de jugement sur cette opposition, mais il est indéniable qu’elle caressait, consciemment ou non, le rêve de bâtir un État socialiste sur le modèle algérien. L’apparition d’une nouvelle gauche à la fin des années 1960 a cependant contribué à déconstruire ce mythe, mais c’est une autre histoire.
Dans ce contexte, c’est la question des frontières qui a joué un rôle central dans l’hostilité algérienne envers le Maroc, ce dernier étant accusé injustement de visées expansionnistes. Or, les documents historiques attestent que le Sahara oriental est marocain. Même Ahmed Ben Bella, premier président de l’Algérie indépendante, l’a indirectement reconnu en déclarant que les frontières de son pays étaient un "cadeau du colonialisme" ( cette déclaration est disponible sur YouTube dans une vidéo de l’Institut National de l’Audiovisuel français (INA) NDLR). L’Algérie a ainsi toujours défendu avec acharnement l’"intangibilité des frontières héritées de la colonisation", un argument qui constitue en soi un aveu que ces territoires lui ont été annexés par la France. Cette position a conduit à la guerre des Sables, sur une provocation de l’Algérie qui a réussi le tour de présenter cette guerre comme une agression marocaine contre son jeune État. Depuis, cet holdup historique a nourri la volonté algérienne de saper l’unité territoriale et sociale du Maroc afin d’asseoir sa domination régionale. A l’époque déjà, cette confrontation s’est traduite par des affrontements verbaux sur les ondes des radios, qui accueillaient des opposants marocains, et aujourd’hui, par les échanges virulents sur les réseaux sociaux.
Déclaration de Ben Bella sur les frontières
Précisément, qu’en est-il de l’utilisation actuelle des réseaux sociaux dans ces confrontations que vous qualifiez d’anciennes et de récurrentes ?
L’essor des réseaux sociaux a facilité l’accès aux discours de l’autre, élargissant ainsi le champ des polémiques dans une altérité hautement conflictuelle. Je me souviens qu’en 1999, lorsque Abdelaziz Bouteflika est arrivé à la présidence et effectuait des tournées dans les wilayas algériennes, le Maroc était systématiquement et hargneusement évoqué dans ses discours. En 1989, j’ai moi-même assisté au congrès du ressourcement du Front de Libération Nationale (FLN), qui s’est tenu après les émeutes d’octobre 1988 et coïncidait avec le retour de Bouteflika en Algérie. Il avait alors déclaré devant trois ou quatre mille congressistes qu’il ne comprenait pas l’attrait qu’exerçait le Maroc sur les Algériens auxquels ils ne pas souhaitait de vivre comme les Marocains. Il n’y avait pas encore Internet, mais c’est cette image qui lui a préexisté qui perdure à ce jour et continue d’être alimentée.
Pour bien expliquer l’antériorité des ces joutes par rapport à l’Internet et au réseau sociaux, je vais vous raconter une scène à peine croyable qui remontre à 1991. J’étais à Alger pour couvrir les législatives avec mon confrère Hassan Abdelkhalek, qui ne savait pas qu’un jour il sera ambassadeur du Maroc en Algérie. Nous avions pris un taxi et le chauffeur devinant que nous étions Marocains, nous a demandé si nous étions ‘’Marrok.’’ Lorsqu’il s’est assuré que nous l’étions, il nous a demandé : "Qu’avez-vous chez vous ?". Sans même attendre notre réponse, il a ajouté de but en blanc : "Des prostituées et des bananes...". A l’époque, on ne savait pas que ce l’on appelle les plateformes de partage allaient un jour allaient exister, mais l’obscénité de cet événement illustre l’image stéréotypée et délibérément négative que responsables et médias algériens projettent sur le Maroc.
Le délire actuel, soutenu par l’orientation des médias vers une focalisation obsessionnelle sur le Maroc vise sans doute, mais en partie seulement, à détourner l’attention des problèmes internes de l’Algérie, contribuant ainsi à entretenir une animosité persistante envers le royaume et qu’en définitive les réseaux sociaux n’ont fait qu’amplifier, en encourageant l’engagement et l’incitation aux clics. Ils ont également mis aux prises directes les citoyens lambda des deux pays.
Ce qu’il faut surtout retenir dans la conjoncture actuelle, c’est que l’Algérie qui a réussi, pour des raisons objectives, à entretenir pendant longtemps l’illusion auprès de la communauté internationale que dans le conflit du Sahara elle défend le noble droit à l’autodétermination résiste mal devant les succès du Maroc de ces deux dernières décennies. Non seulement l’Algérie a vu se dévoiler ses véritables intentions et ambitions., mais aussi a vu le Maroc, qui exerçait déjà son contrôle effectif sur le terrain, mener une diplomatie proactive et la faire descendre de son piédestal diplomatique. C’est plus que n’en peut l’Algérie, déjà affaiblie par ses problèmes internes et l’échec de son modèle socialiste. En attendant des jours meilleurs, le régime a décidé de faire du Maroc le bouc émissaire de tous ses déboires et échecs pour justifier ses propres revers ouvrant les portes sur les pires possibilités. (A suivre-