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La communication lacunaire du gouvernement – Par Bilal Talidi
L’heure et les risques qu’elle comporte sous le poids de plusieurs facteurs, n’autorise pas la cacophonie.
Il existe comme un problème de communication que le gouvernement n’a pas encore réussi à résoudre. Ce problème s’est même aggravé récemment, au point de susciter des questions sur ses causes. Est-ce dû à l’incompétence de certains ministres ? À un manque de courage politique ? À une posture attentiste ? Ou encore à des calculs politiques ou électoraux ?
Il n’y a pas de statistiques précises sur le nombre de dossiers dans lesquels les ministres ont choisi de faire l’autruche au lieu d’assumer la responsabilité de communiquer à leur sujet. En revanche, il existe de grands dossiers, des défis majeurs et des échéances importantes qui suscitent des interrogations, des doutes, voire des polémiques, alors que les ministres apparaissent peu enclins à expliquer la position du gouvernement ou défendre sa politique sur ces questions.
Le silence ministériel autour de la rougeole
Une analyse des modes de communication des ministres révèle quatre grandes tendances. La première est le silence absolu, même dans des situations où l’opinion publique est fortement préoccupée par des défis inquiétants. C’est le cas par exemple du ministre de la Santé, Amine Tahraoui, qui n’a toujours pas communiqué sur la menace que représente l’épidémie de rougeole pour la santé des enfants. Depuis septembre 2023, plus de 25 000 cas ont été enregistrés, et environ 120 décès ont été recensés.
Le problème, c’est que ce silence, combiné à une décision du ministre, prise sans explication dès son entrée en fonction, d’annuler des contrats attribués à des entreprises sous son prédécesseur, laisse la désagréable l’impression que sa priorité est ailleurs que dans la santé des enfants marocains. C’est peut-être sans fondement, mais en l’absence de communication, elle court le risque de devenir plus que fort probable.
La deuxième tendance de communication est celle des déclarations générales et des promesses sans vision claire des projets à mettre en œuvre. Un exemple éloquent est la politique du ministère de l’Économie et des Finances. À ce jour, aucune vision précise n’a été présentée pour la réforme du système de retraite, alors que la ministre, Mme Nadia Fettah, a reconnu à plusieurs reprises que cette réforme a pris du retard depuis des mois. Elle avait promis une présentation initiale en janvier de cette année, promesse encore en suspens.
Un autre exemple de cette tendance concerne la réponse du ministère aux doutes soulevés par des économistes et des responsables politiques mettant en doute l’impact économique de l’organisation de la Coupe du monde 2030. Certains estiment que cet événement pourrait endetter le Maroc pour de nombreuses années. Pourtant, le ministère n’a pas réfuté ces allégations ni présenté une contre-analyse soutenue par des données économiques solides. La ministre s’est limitée à prédire que l’organisation de cette compétition aurait un effet significatif sur l’économie locale, sans étayer son explication ni répondre aux interrogations tentant parfois de mauvaise foi de discréditer les retombées de cet important évènement.
La communication hasardeuse
La troisième tendance de communication est ce qu’on pourrait appeler la communication confuse, marquée par une imprudence médiatique qui, parfois, nuit aux politiques publiques et crée des polémiques inutiles. Un exemple frappant est la manière maladroite dont le ministre de la Justice a présenté les orientations de la commission chargée de réviser le Code de la famille. Cela a généré un doute considérable quant aux objectifs de cette réforme, notamment sur la question des droits des hommes et la promotion du mariage. Cette polémique a conduit le chef du gouvernement à confier la rédaction du Code à une commission ministérielle, une décision perçue comme un retrait de ce dossier des mains de M. Abdelatif Ouahbi.
On aurait pu s’attendre à une dynamique gouvernementale capable de rectifier cette communication chaotique, mais aucun ministre ou membre de la coalition gouvernementale n’a osé s’y engager. Le secrétaire général du Parti de l’Istiqlal, Nizar Baraka, s’est contenté de répondre à une caricature médiatique, en la qualifiant de "fondée sur des mensonges", sans aborder les critiques plus larges sur les résultats de la commission de révision. Quant à la ministre de la Solidarité, de l’Intégration sociale et de la Famille, Mme Naïma Ben Yahya, sa participation à un programme diffusé sur une plateforme en ligne s’est distinguée par sa prudence et son ambiguïté. Elle a soutenu les conclusions de la commission tout en laissant entendre, de manière implicite, que le Parti de l’Istiqlal s’opposait idéologiquement à Abdelatif Ouahbi au sein de la coalition.
Le quatrième type de communication repose sur la confusion. Au lieu de fournir des arguments convaincants au public, on produit des justifications ambiguës qui sèment le trouble dans l'esprit de l'opinion publique. Un exemple en est la politique du ministère de l'Agriculture et la manière dont il justifie le soutien aux importateurs, qu'il s'agisse de moutons ou de viandes. Tandis que le ministre délégué au Budget, M. Fouzi Lekjaa, a courageusement et clairement reconnu que le soutien aux importateurs de moutons a échoué, puisqu'il n'a pas entraîné de baisse des prix des moutons ni du prix de la viande sur le marché, le ministre de l'Agriculture, Ahmed Al-Bouari, a préféré attribuer la hausse des prix de la viande – et même des poissons – exclusivement à la sécheresse.
L’heure ne permet pas le luxe de la cacophonie
Ce qui est étonnant, c’est que M. Mehdi Bensaid, ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, mais pas porte-parole du gouvernement, qui n’a rien à voir avec le domaine des viandes ou des poissons, a tenté de combler le vide communicationnel ou de corriger cette confusion en déclarant que la politique du gouvernement de soutenir les pauvres et les importateurs de viandes visait à prévenir un scénario encore pire, où les prix de la viande atteindraient des niveaux exorbitants. Cependant, cette justification a révélé une imitation maladroite de l’ancien chef du gouvernement, M. Abdelilah Benkirane, étant donné la grande différence entre les prix internationaux de l’énergie et ceux de la viande. Benkirane expliquait la politique de segmentation de la consommation d’électricité et d’eau, justifiant l'augmentation des tarifs au-delà des seuils économiques par la hausse des prix de l’énergie à l’échelle mondiale. Mais cette logique ne s'applique pas aux prix de la viande à l’international. De plus, il ne faut pas oublier que le gouvernement avait décidé d’exonérer les importateurs de viandes des droits de douane précisément pour faire baisser les prix sur le marché intérieur.
La confusion dans la communication a atteint son apogée avec M. Mohamed Oujar, ancien ministre des Droits de l’Homme et membre du Rassemblement national des indépendants (RNI). Il a adopté un discours d’opposition en parlant de la hausse des prix. Sur la chaîne nationale, il a déclaré qu’il n’était pas raisonnable de laisser les prix augmenter à ce niveau, imputant la responsabilité à ce qu’il a qualifié de « marchands de crises » cherchant des gains rapides. Il a affirmé que le gouvernement agissait avec une intention sincère de soutien, mais que ces individus ne sont ni loyaux envers la patrie ni envers la religion. Il les a accusés de représenter une élite économique qui ne prend pas ses responsabilités en tant que bourgeoisie nationale.
À ce stade, des questions se posent sur les causes de cette situation. Est-ce dû à un manque de compétence, à une mentalité attentiste attendant des directives supérieures, à un manque de courage politique, ou encore à des calculs politiques ou électoraux ?
En réalité, toutes ces hypothèses sont possibles, et la manière dont les ministres se comportent chaque jour confirme partiellement chacune d’elles. Cependant, les événements de la semaine dernière montrent que les questions sensibles évoquées n’ont pas la même importance pour eux que les prochaines élections. Mme Fatima Zahra Mansouri, qui était restée silencieuse sur toutes ces questions, a déclaré que son parti prendrait la tête du gouvernement. Le Parti de l’Istiqlal a fait une déclaration similaire. De son côté, Mehdi Bensaid a tenu des propos menaçants, appelant ses alliés à le laisser se taire avant de révéler des vérités, tout en affirmant que son parti arriverait en tête des prochaines élections.
Cette effervescence communicative autour de la victoire électorale et de la formation du gouvernement qui semblait se faire en réaction à la déclaration du RNI selon laquelle il dirigerait le « gouvernement du Mondial », appelle la majorité à une meilleure concertation. L’heure et les risques qu’elle comporte sous le poids de plusieurs facteurs, n’autorise pas la cacophonie.
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