Le débat sur le Code de la moudawana, apaisé ? - Tarik ELMEDLAOUI

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Une leçon de résilience aussi sur le plan socioculturel, tant le débat est marqué par l’émergence d’un nouvel acteur : l’opinion publique non partisane, qui n’est affiliée ni aux mouvances politiques ni aux courants religieux

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Lundi dernier, une séance de travail s’est tenue au Palais Royal, marquée par la présentation des conclusions de la commission mandatée par Sa Majesté pour réviser le Code de la famille. 

Cette réforme, comme souvent, a suscité un débat au sein de la société marocaine. Bien que des divergences aient émergé entre deux camps globaux, les observateurs s’accordent à dire que ce débat est nettement moins virulent et bipolaire que celui ayant précédé la réforme de la moudawana en 2004. 

Un contexte historique marqué par des tensions

 À l’époque, le débat avait pris la forme de manifestations gigantesques dans les rues de Casablanca et de Rabat, ponctuées de slogans acerbes opposant deux camps sociétaux transpartisans. D’un côté, la manifestation de Rabat, portée par des mouvances considérées comme “progressistes” ou “libérales”; de l’autre, celle de Casablanca, menée par des courants “conservateurs”, souvent affiliés à des mouvements religieux. Seul l’arbitrage royal, en sa qualité de Roi, Chef d’État et Amir Al-Mouminine, avait permis de mettre fin à cette confrontation bipolaire.

 Vingt ans plus tard, les limites de cette réforme sont apparues, notamment dans son application. Le nouveau projet de révision de la moudawana s’inscrit cette fois-ci dans une dynamique d’amélioration, visant à répondre aux attentes de la société et aux évolutions socioculturelles qu’a connues le Maroc, en particulier au sein de la famille.

Un débat aujourd’hui apaisé et structurant 

Le débat actuel, bien plus apaisé, reflète une certaine maturité politique et socioculturelle. Il témoigne également d’une volonté collective de construire un consensus équilibré autour de cette question sensible : la protection des intérêts des familles, des enfants et des différents partenaires de la structure familiale. Une leçon de résilience aussi sur le plan socioculturel, tant le débat est marqué par l’émergence d’un nouvel acteur : l’opinion publique non partisane, qui n’est affiliée ni aux mouvances politiques ni aux courants religieux. Cette opinion s’exprime vigoureusement, que ce soit à la maison, dans les cafés, dans les transports en commun, ou surtout sur les réseaux sociaux. Son discours, à dominante pragmatique, aborde les intérêts des différents protagonistes familiaux tout en tenant compte des perspectives globales pour la nation marocaine dans son contexte géopolitique et socio-économique. 

Le rôle décisif du discours royal 

Un tournant majeur de cette réforme a été marqué par le discours du Trône du 30 juillet 2022, où Sa Majesté a ordonné la création d’une commission ad hoc chargée de mener des consultations avec les différentes parties prenantes. Dans ce discours, deux axes fondamentaux ont été rappelés : 

  1. Une réforme pour toutes les familles : Sa Majesté a précisé que cette réforme ne concerne pas uniquement les femmes, mais bien l’ensemble de la famille. Il a déclaré : « La réalité est autre : le Code n’est spécifique ni aux hommes, ni aux femmes : il est dédié à la famille entière. Fondé sur la notion d’équilibre, il donne aux hommes et aux femmes les droits qui leur échoient respectivement et tient compte de l’intérêt des enfants. »
  2. Le respect des textes religieux formels : En tant que Commandeur des croyants, Sa Majesté a réaffirmé : « Je ne peux autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé, en particulier sur les points encadrés par des textes coraniques formels. » 

Ces précisions ont permis de poser les bases d’un débat constructif, tout en clarifiant les enjeux et les limites de la réforme.

 Une gestion publique semée d’embûches 

Sur le plan de la gestion publique, le climat de sérénité a parfois été troublé. Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, s’est retrouvé au cœur des critiques, essuyant seul les attaques des opposants à la réforme. Reconnu pour son caractère déterminé et son style bulldozer, il a su tenir bon, face à ces parties hostiles à la réforme. Ce n’est pas la première fois qu’il gére un dossier épineux : au cours des trois dernières années. Il a déjà mené à bien la réforme de son département, y compris face à l’opposition de ses anciens confères avocats 

Un soutien insuffisant dans un contexte partisan frileux 

Il est important de souligner que ce ministre n’a bénéficié ni du soutien explicite de ses collègues au gouvernement, souvent frileux, manquant de leadership et par pure calcul électorale sur des sujets aussi sensibles, ni de celui d’une grande majorité des membres de son propre parti politique qui traverse depuis un an une série de crises internes sans fin.

 Vers une adoption législative plus fluide

 La seconde phase, portant sur l’adoption législative de la réforme de la moudawana, semble pourtant s’annoncer plus aisée grâce à une majorité parlementaire confortable. Si cette réforme bénéficie désormais d’un large soutien après l’arbitrage royal, certains membres du gouvernement et du parti du ministre de la Justice s’efforcent aujourd’hui de s’approprier cette réussite, en multipliant déclarations publiques et de mobilisations des troupes. 

Comme le rappelle si bien le proverbe : « L’échec est orphelin, mais le succès a de nombreux pères. »

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