Le Patient et l’intempestif - Par Bilal TALIDI

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Les historiens et les intellectuels français devraient normalement sensibiliser les politiciens de leur pays aux leçons de l’histoire, à l’instar de ce que Louis Massignon a essayé de faire tout au long de la première moitié du vingtième siècle, il est vrai en grande partie pour la sauvegarde de l’empire colonial français.

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Maroc/Mondial : les ressorts psycho-sociaux d'un exploit – Par Bilal Talidi

Les raisons de l’agacement français du Maroc et le désir débridé de Paris de stopper le développement du Royaume ne sont plus vraiment un secret. Des journaux ont récemment dévoilé des données qui en disent long sur la vision qu’ont les services extérieurs français du Maroc et la contrariété que leur cause la progression de l’influence et des intérêts du Royaume en Afrique.

Le Directeur général de la sécurité extérieure français (DGSE), Bernard Emié, n’admettrait pas ainsi de voir le Maroc en position de devenir une nouvelle «Turquie» en Afrique du nord. Pour avoir officié comme ambassadeur de son pays à Ankara, il s’estime fondé de considérer que la politique extérieure du Royaume ne diffère pas beaucoup de celle de la Turquie entre 2007 et 2011, une période où il a épié l’évolution de la situation en Turquie et envoyait rapport sur rapport à son pays.

Une diplomatie de l’hostilité

Paris suit avec une préoccupation constante la présence marocaine en terre africaine au moins depuis 2010. L’année 2015, Paris ne se retenant plus, marquera le premier heurt entre les deux pays, la France commettant la maladresse d’émettre, en mai de cet année, un mandat d’arrêt pour implication dans des actes présumés de «torture» et «complicité de torture» contre le Directeur général de de la Sûreté nationale et de la Surveillance du Territoire, Abdellatif Hammouchi, alors en visite à Paris. 

La sortie française en direction d’un responsable marocain partenaire fut d’autant plus inacceptable qu’elle était incompréhensible. Offusqué, Rabat a riposté par l’arrêt de la coopération judiciaire avec Paris, privant au passage la France des services sécuritaires marocains qui auraient pu contribuer à la protéger d’une série d’attentats terroristes qui ont endeuillé Paris en novembre 2015. 

La rupture de la coopération sécuritaire et la montée au créneau de ténors de la politique en France, avaient donné à réfléchir au président d’alors, François Hollande, qui, comprenant les conséquences de la légèreté de la justice de son pays et de sa police, a œuvré au règlement des différends avec le Royaume.

L’attitude d’animosité française à l’égard du Maroc n’est pas nouvelle et ce n’était pas la première fois que la France marquait son hostilité au positionnement continental Maroc. La «fuite» des archives de Chris Coleman, en octobre 2014, qui a signé l’augure de cette hostilité ouverte. Hasard ou message, cette fuite est intervenue moins de dix mois parès le discours du Roi Mohammed VI (février 2014) au Forum économique maroco-ivoirien d’Abidjan. Dans ce discours, le Souverain marocain plaidait pour une coopération sud-sud et appelait à ce que l’Afrique fasse confiance à l’Afrique.  

Dans le contexte actuel, la France diversifie ses cartes de pression sur le Maroc ne reculant pas à orchestrer ses campagnes de presse usuelles. Elle a ainsi ameuté ses relais médiatiques, officieux et officiels, pour accuser Rabat d’utiliser le programme d’espionnage «Pegasus» à l’encontre d’hommes politiques, hauts responsables et journalistes de nombre de pays européens. Et bien que les experts de la sécurité cybernétique n’ont abouti, dans le rapport d’Amnesty International, à aucune preuve technique à charge contre Royaume, Paris a signé puis persiste à vouloir diaboliser le Maroc. 

En mobilisant le Parlement européen pour faire adopter une résolution hostile au Maroc, prétextant cyniquement la liberté de la presse et des journalistes, la France a franchi un palier supplémentaire dans ses décisions intempestives. Et tant qu’à faire, elle a incité la chaîne BFMTV à licencier un de ses journalistes (Rachid M’barki, d’origine marocaine) pour implication, fallacieuse, dans l’achat des consciences de journalistes contre des services rendus au Maroc et de porter atteinte au professionnalisme et à l’impartialité de la chaîne. Or, rien ne prouve l’implication dans cette affaire du présentateur vedette du «Journal de la nuit» et animateur de l’émission «Faites entrer l’accusé», si ce n’est la diffusion sur cette chaîne d’un reportage où le Sahara est décrit comme étant «marocain». Sacrilège pour un pays qui prétend soutenir depuis toujours les intérêts territoriaux du Royaume ?

Une diplomatie sereine

Sans rien céder aux pressions et aux chantages politiques de la France, entamés par la cabale Chris Coleman, le Royaume, imperturbable, a poursuivi sa politique africaine avec une dynamique constamment renouvelée en investissant de nouveaux espaces qui n’ont fait qu’irriter davantage une France dans le doute.  

La reconnaissance américaine sous l’administration Trump de la souveraineté pleine et entière du Royaume sur son Sahara, entérinée par l’administration démocrate de Biden, n’était pas pour plaire à Paris. Elle a déclassé le soutien en mode économie de batterie que Paris prétend apporter au Maroc. Mais pas seulement. Rabat a également habilement géré ses différends avec Berlin et Madrid en les amenant à revoir leurs positions au sujet du Sahara marocain, en cohérence avec l’approche royale faisant du dossier du Sahara «le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international» et l’aune à laquelle il mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit.

Alger et ‘’l’allié’’ français

Pour rester dans la course dans une configuration qui se dessine sans elle, la France a tenté d’intervenir sur l’équilibre régional des forces, en instaurant avec l’Algérie un «partenariat d’exception», en vue de catonner l’action du Maroc dans la région.

L’un des volets de ce «partenariat d’exception» consiste à amener l’Algérie à créer par ses pétrodollars une sorte de polarisation entre les pays africains et à tenter d’affaiblir en conséquence les efforts de co-développement du Royaume en Afrique. Alger qui n’en attendait pas moins et ne cherchait à reprendre la main, lui a emboité le pas en consacrant 1 milliards USD au développement de l’Afrique, tout en déclarant pouvoir aider la France à retrouver leurs marques dans les sables tumultueux du Mali et, au-delà, de toute l’Afrique de l’ouest où les dirigeants français ne peuvent que constater le recul de leur prestige.

L’affaire de l’activiste algérienne Amina Bouraoui a perturbé ces ententes «stratégiques» et précipité les relations franco-algériennes dans une nouvelle turbulence. Le temps dira combien il faudra à l’Algérie pour digérer cette double manœuvre dans le dos. La première lorsque la France a exfiltré l’activiste vers la Tunisie sous le nez de la sécurité algérienne. La seconde quand elle a déjoué le plan de kidnapping de Mme Bouraoui pour la ramener en Algérie, amenant au passage Alger à s’interroger sur le degré de confiance qu’elle peut avoir en Tunis, après que le président tunisien Kaeïs Saïed, privilégiant  l’ami français, ait cédé à ses pressions françaises en autorisant le rapatriement de l’activiste.

Une succession de reculs

La fragilité politique et stratégique de l’Algérie qu’elle doit à son soutien logistique et à son alignement traditionnel sur l’influence russe et iranienne dans la région, l’englue dans l’engrenage de ses propres incohérences et tâtonnements. En vue de maitriser ces contradictions, Alger tente, autant que faire se peut, d’user de sa ‘’nouvelle’’ relation avec la France et de la carotte de l’approvisionnement énergétique de l’Europe espérant ainsi d’alléger les pressions américaines et accessoirement européennes.

D’un point de vue politique et stratégique, les cartes de la France dans la région semblent se neutraliser l’une après l’autre. Elle a d’abord échoué à influer sur les centres de prise de décision en Europe, hormis au sein du Parlement européen où elle n’a que partiellement réussi à convaincre les eurodéputés de la crédibilité des arguments avancés pour faire chanter le Maroc. Elle a ensuite échoué à mettre à l’abri ses relations avec l’Algérie pour en faire la complice de sa gestion hasardeuse de ses enjeux stratégiques dans la région.

En face, Rabat, en dépit des turbulences de différentes sortes, maintient son cap dans la présente conjoncture régionale et internationale. A cela de multiples raisons. 

De par son statut d’allié stratégique des Etats-Unis et de l’Union européenne, le Maroc se présente toujours en rempart dans la région contre toute influence russe ou iranienne, et contre toute menace terroriste qui risquerait de s’étendre au Vieux continent. Il entretient ainsi de fortes relations avec plusieurs pays européens censés du point de vue de Paris, soutenir la France en interagissant favorablement à ses mises en garde pour isoler ce qu’elle appelle la menace d’une «nouvelle Turquie en Afrique du Nord».

A ce dépite, s’ajoute les pertes successives que la France essuie dans ce qu’elle s’entête à considérer comme sa ‘’chasse gardée’’ en Afrique.

 Après l’Afrique centrale et le Mali, c’était au tour du le Burkina Faso de réclamer et d’obtenir, pas plus tard que le mois en cours, le départ des troupes françaises, au milieu de la montée d’un ressentiment anti-français inédit, nourri par le peu d’empressement français à coopérer pour un vrai développement et par sa poursuite d’une politique inéquitable qui maintient la mainmise de l’hexagone sur les ressources du continent africain. 

Le Roi patient

Le Maroc, impassible, continue de cultiver dans la sérénité ses relations extérieures avec les pairs africains. En visite au Gabon, le Roi Mohammed VI a fait don de 2000 tonnes d’engrais aux agriculteurs de ce pays ami, gage et symbole du type de partenariat auquel aspire l’Afrique. Le Souverain entendait également se rendre au Sénégal pour témoigner de la volonté inébranlable du Royaume de renforcer davantage ses relations avec les pays africains, avant de reporter cette visite en raison d’une impromptue grippe.

Une vue d’ensemble sur ces évolutions fait ressortir une France qui grille l’une après l’autre ses cartouches, se montrant incapable de retenir les leçons passées dans la gestion de ses différends avec le Maroc. 

Et l’une de ces leçons historiques, la plus élémentaire, est que le Maroc ne cherche pas à reproduire l’expérience turque. Pour la simple et bonne raison que le califat ottoman n’a pas réussi à mettre le Maroc sous sa coupe. Il en a découlé un empire en occident musulman et un empire turco-ottoman en Orient, tout aussi dérangeant l’un que l’autre pour l’Europe, l’empire ottoman dont la domination s’étendait à des pays européens, un peu plus que le Maroc. 

C’est à ces leçons que les historiens et les intellectuels français devraient normalement sensibiliser les politiciens de leur pays, à l’instar de ce que Louis Massignon a essayé de faire tout au long de la première moitié du vingtième siècle, il est vrai en grande partie pour la sauvegarde de l’empire colonial français. 

La première leçon, d’ordre historique, est que le Royaume ne reproduira, dans son effort de recouvrement de son rôle historique et de ses partenariats en Afrique, aucun autre modèle, si ce n’est le sien propre. La seconde, de nature politique, tient au comportement du Roi Mohammed VI vis-à-vis des provocations fébriles et continues de la France. 

Patient, le Souverain ne donne aucun signe d’empressement à vouloir user de toutes les cartes à sa disposition, préfère attendre, voire espérer que la France revienne à la raison, avant que ses calculs étroits ne s’effritent durablement à l’épreuve des faits. Mais si cela s’avère inévitable, la France court le risque de subir les effets d’une réaction en chaine que le Roi se garde patiemment de déclencher.

Le Maroc, à titre d’exemple, n’a pas brandi la carte de l’abandon linguistique et culturelle en maturation avancée dans les sociétés africaines. Et mal lui en aura pris s’il lui arrivait d’en mésestimer la gravité pour la réduire à une affaire d’enseignement et d’apprentissage des langues étrangères ou à considérer qu’il est difficile à mettre en œuvre ou impossible à engager. 

Le cas échéant, pareille décision est de nature de déclencher un effet d’entrainement, déjà entamé, susceptible d’emporter dans son sillage l’ensemble des pays de l’Afrique de l’Ouest qui ont bien en tête l’exemple de la rupture réussie du Rwanda et de ses succès.  Le projet francophone qui constitue le socle des intérêts stratégiques de la France et de la reproduction des élites acquises à sa cause dans nombre de pays africains, s’en trouverait réduit à sa plus simple expression.

 

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